CHU sur l’île de Nantes : la chambre régionale des comptes s’inquiète – et nous aussi

Le nouveau CHU de l’île de Nantes va coûter cher. Au moins 278 millions d’euros de plus que prévu par Johanna Rolland. Dont 55 millions d’euros rajoutés dernièrement par la chambre régionale des comptes. Et cela pourrait être beaucoup plus en cas d’erreur de conception, car le CHU s’est lui-même fourré dans une drôle de situation.

Le budget du CHU de l’île de Nantes dérape. Il faut y ajouter 55 millions d’euros, annonce Xavier Boussion dans Presse Océan (15 mai 2023). Explication : « un surcoût prévisionnel de 4 % lié à l’inflation, mis en avant par la chambre régionale des comptes ». L’inflation, on n’y peut rien, circulez, y a rien à voir ? D’ailleurs, qu’est-ce que 55 millions d’euros ? À peine plus qu’un Arbre aux Hérons ! La plupart des commentaires se focalisent sur ce montant.

En réalité, la situation est autrement plus grave. La chambre régionale des comptes vient de le révéler dans un audit. D’abord, ces 55 millions d’euros sont « un minimum », dit-elle. Ça rassure tout de suite. Ce montant « découle d’hypothèses d’inflation plus prudentes ». Autrement dit, les hypothèses antérieures, établies par les mêmes dirigeants, étaient peu prudentes !

Les hypothèses et tout le reste, d’ailleurs : Johanna Rolland et le CHU ne pourront pas dire qu’on ne les a pas avertis. Sans même parler de l’inflation, la Chambre, sévère, signale, dès le début en 2013, « un coût prévisionnel du projet sous-estimé ». En effet, « certaines hypothèses du projet présentaient un décalage très important avec les données historiques, notamment en matière de dépenses de personnel ».

Bienheureux décalage : il autorise Johanna Rolland, présidente du conseil de surveillance de l’hôpital, à présenter en grandes pompes, le 1er juillet 2015, un projet du nouveau CHU inférieur au milliard d’euros. Il faut quand même compter 976 millions d’euros « toutes dépenses confondues ».

En 2020 arrivent les premières réponses aux appels d’offres. Les coûts de construction envisagés s’avèrent intenables. On négocie, on rogne ce qu’on peut rogner, on abandonne (pardon, on « met en option ») l’un des bâtiments prévus ‑ oh, une bricole, il devait seulement abriter l’école des sages-femmes, le centre d’enseignement des soins d’urgence, un institut de formation des ambulanciers, un centre de vaccination, la médecine du travail et la maison de la recherche et de l’administration. Mais le budget dépasse quand même le milliard d’euros, dont 696 millions (+ 35 %) pour les seuls coûts de construction.

Plein de voyants à l’orange bien mûr

Mais les économies prévisionnelles « ne reposent que sur un simple changement d’hypothèses », note la Chambre. Celles-ci sont vite démenties. À l’été 2022, la chambre réclame au CHU des hypothèses plus réalistes, intégrant un taux d’inflation de +5,5 % en 2023. Elles révèlent le fameux surcoût de 55 millions d’euros. Le coût de la construction atteint 834 millions d’euros et le coût prévisionnel total du projet 1,254 milliard d’euros. On en est là : le surcoût par rapport à l’annonce de Johanna Rolland n’est pas de 55 millions d’euros mais de 278 millions (+ 28,5 %) !

Il faut donc revoir le budget et trouver 55 millions d’euros supplémentaires. Le CHU comptait faire des économies sur son fonctionnement. « La principale marge de manœuvre théorique sur l’exploitation courante concernait les effectifs dans le projet arrêté en 2013 », note la Chambre, sceptique. Baisser les effectifs ? Réduire les salaires ? Ce n’est pas exactement à l’ordre du jour pour l’hôpital public ! Alors, à présent, le CHU espère plutôt augmenter ses recettes avec des lits supplémentaires en gériatrie à l’hôpital Nord. Laënnec, naguère voué à la fermeture, viendrait ainsi à la rescousse du CHU Île de Nantes… Hélas, la Chambre montre avec force détails que la « trajectoire des recettes » espérée est hautement improbable.

Suffit-il de mettre en regard des coûts de construction qui dérapent et des recettes de fonctionnement hypothétiques ? Ce serait trop beau ! Pour payer la construction, le CHU s’est endetté. Il a souscrit entre autres deux prêts « toxiques » indexés sur le franc suisse. « La prospective financière du CHU comprend par conséquent un élément de volatilité notable en matière de frais financiers ». Autrement dit, non seulement le prix du béton va sûrement augmenter, mais le prix de l’argent destiné à payer le béton pourrait augmenter aussi. Ou baisser ‑ mais on dirait que la Chambre n’y croit pas trop.

Toute erreur est aux frais du CHU

La « seule note positive dans ce sombre tableau » est le respect des délais, souligne Xavier Boussion. Le chantier a été lancé à la date prévue. En soi, c’est presque un événement. Car une fâcherie s’est élevée avec le maître d’œuvre désigné. Après différentes modifications du projet, il réclame une rémunération supplémentaire. Et, pas fou, il refuse de garantir le coût des travaux tel que prévu par le projet. Le CHU préfère alors le remplacer ‑ une décision, « très rare dans une opération de telle envergure », souligne la Chambre.

Il pourrait en résulter un procès long et coûteux. Une solution transactionnelle est préférée. Mais elle comporte une clause non moins rare qui fait frémir la Chambre : « le CHU renonce à engager toute action fondée sur la responsabilité contractuelle de la maîtrise d’œuvre ». En clair, si le projet souffre d’une erreur de conception, le CHU devra seul en assumer les conséquences. L’avocat du CHU déconseille cette prise de risque ? Ses dirigeants l’acceptent quand même. « Le CHU s’expose ainsi à un important risque financier », note la Chambre..

Ce n’est donc pas une épée de Damoclès mais toute une panoplie qui est suspendue au-dessus de la tête des contribuables nantais…

Sven Jelure

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