Réaménager Cap 44 en Cité des imaginaires permettrait au moins à Johanna Rolland de parler d’autre chose que des élections ! Mais si la boîte, l’architecture, n’est pas encore bien claire, le contenu l’est encore moins. Qu’y mettre en plus de Jules Verne ? De la poussière de fée ?
Le conseil de Nantes Métropole doit voter le 30 juin la création d’une « Cité des imaginaires » à 50 millions d’euros. Elle associera ce que Nantes a, le musée Jules Verne, et ce qu’elle voudrait avoir, l’imagination. (Ou ce qu’elle a déjà mais qu’elle préfère ignorer : voir ci-dessous l’encadré
Pour prouver que la création nantaise ne se limite pas à Jules Verne, Johanna Rolland a convié à l’annonce du projet devant la presse le sympathique cinéaste Marc Caro, co- réalisateur avec Jean-Pierre Jeunet de La Cité des enfants perdus (1993). Fort bien, et qui encore ?
L’intitulé « Cité des imaginaires » interloque. Une cité des congrès, une cité des sciences, une cité des papes, on voit à peu près où l’on va. Mais une cité des imaginaires ? Imaginaire : « Ensemble de représentations collectives », dit l’Académie française. « L’imaginaire d’un peuple, d’une nation, d’une époque. » L’imaginaire ne naît jamaisex nihilo, d’une épiphanie de neurones en folie, c’est toujours l’imaginaire de quelqu’un, le fruit d’une culture. Il n’y a pas d’imaginaire en soi. A fortiori au pluriel.
Quand on peine à se représenter le sens d’un mot, il faut tenter de le remplacer par des synonymes : Cité des chimères, Cité des illusions, Cité des prétentions… ? Hélas, on en revient toujours au même point : comment faire entrer dans une Cité, si vaste fût-elle (ici, 5 000 m²), tout ce qui n’est pas le réel ? Johanna Rolland se montre bien ambitieuse. Pour ce que ça lui a réussi aux présidentielles… Mais même 1,75 % seulement de tous les imaginaires imaginables, ce serait déjà énorme.
Imagine all the pipeau
Qui trop embrasse mal étreint : pour éviter que ces imaginaires flous ne fassent flaque, il vaudrait mieux en préciser les contours. Les communicants métropolitains s’y essaient : si l’on en croit 20 minutes, Nantes promet que « la Cité des imaginaires invitera les visiteurs à explorer les imaginaires contemporains éclairant les enjeux sociétaux d’aujourd’hui et à revisiter l’œuvre vernienne et ses résonances actuelles ». Compter sur l’imaginaire pour revisiter des résonances, c’est déjà beaucoup d’imagination. Qui n’occultera pas la question pathétiquement concrète : Pour accéder à ces imaginaires-là, combien êtes-vous prêt à payer le billet d’entrée ?
La Cité doit être implantée dans l’immeuble Cap 44, face au Jardin extraordinaire, et l’imaginaire architectural fonctionne déjà. La Cité sera dotée d’un belvédère. « Le bâtiment sera écrêté sur deux niveaux pour donner de la visibilité sur la Loire », assure néanmoins Nicolas Cardou, DGA de Nantes Métropole(1). Un belvédère, plus c’est haut, plus la vue est étendue. Le souci de visibilité exprimé par Nicolas Cardou ne concerne donc pas le visiteur juché en haut du bâtiment mais le simple passant au dehors. Hélas, comme Cap 44 mesure 25 m de haut, raboter les deux étages du haut ne donnerait aucune visibilité au piéton lambda. C’est donc qu’on va supprimer les deux étages du bas…
Sven Jelure
(1) Et ex-directeur de la culture et des sports de la région des Pays de la Loire, au temps où Fontevraud allait dans le mur.
Le projet de Nantes Métropole n’est pas seulement flou, il est tardif et omet de citer ses sources. En 2014, lors du grand débat « Nantes, la Loire et nous », l’association Les Transbordés d’Yves Lainé et Yvon Bézie avait présenté un « cahier d’acteurs » bourré de propositions, dont celle-ci :
LA RECONVERSION DE L’ IMMEUBLE « CAP 44 » et l’accueil du VERNOSCOPE
Sur le quai, l’immeuble Cap 44 dont l’ossature est inscrite au patrimoine architectural (une des premières constructions en béton armé au monde, due à Hennebique) sera en partie reconverti en gare maritime pour les « liners » et les navires fluviaux. Un autre usage de cet espace est proposé, en phase avec les propositions des deux principales candidates aux dernières municipales, à savoir doter Nantes d’un équipement dédié au XXIe siècle (Cité des Sciences et de l’Industrie ou Planète Jules Verne). Cet usage, nous l’avons baptisé VERNOSCOPE.
Sans être un musée, le VERNOSCOPE propose de projeter et conjuguer l’esprit vernien au présent et au futur. La Ville de Nantes a vocation unique pour le faire. Des exemples populaires existent, comme l’Exploratorium de San Francisco ou Tom Tits en Suède.
Plate-forme de diffusion des sciences et des technologies du futur, cet espace ludique destiné à tous les âges peut aussi être une vitrine pour les industries, écoles et universités régionales des secteurs du nautisme, de l’aéronautique, des EMR, pour le pôle EMC2, l’IRT Jules Verne etc… Il ne manquera pas de compétences pour assurer la conception de cet espace.
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