Le Théâtre des opérations : Le Voyage à Nantes brigadier

Théâtre des opérations : « la zone des combats, l’aire géographique où sont déployées ou engagées des unités militaires », dit l’Académie française. Tel est le nom épatant donné par Hélène Delprat à son installation visible dans le cadre du Voyage à Nantes 2022. Jean Blaise l’a tant apprécié que Le Théâtre des opérations sert aussi de titre à son éditorial dans le livret distribué aux visiteurs. Mais une sonnerie de clairon suffit-elle à réveiller une édition un peu terne ?

Jean Blaise tartine la métaphore : « nous nous mettons à penser que si la petite cervelle de Poutine avait été percutée par la force de l’art plutôt que par celle des tanks, nous n’en serions pas là aujourd’hui ». Ça c’est envoyé ! « Quand j’écoute du Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne », disait Woody Allen. Le VAN, en revanche, ôterait à Poutine toute envie d’envahir l’Ukraine.

Si le président russe avait bien voulu faire un saut à Nantes, « nous n’en serions pas là aujourd’hui » : alors, où en sommes-nous ? Il y a donc, pour commencer, l’incontournable Théâtre des opérations composé principalement de deux douzaines de hautes silhouettes noires assemblées. Bouc, singe, loup, ours, personnages à tête de rapace, soldats en armure… : cet attroupement fantasmagorique d’inspiration satanico-médiévale, surmonté d’étendards herminés, est saisissant, dérangeant même pour certains. Immobile et silencieux (un « brouhaha muet », note Le Monde), il empoignerait davantage le visiteur, pourtant, s’il ne restait sagement groupé au milieu d’une place Félix-Fournier qui ne ressemble pas à grand-chose. On l’aurait plutôt vu envahir franchement le parvis de Saint-Nicolas.

Ou mieux encore, la place Graslin. Le Théâtre des opérations y possède une modeste succursale. Environnée de deux ou trois accessoires et posée sur une malheureuse étoile noire en carton-pâte (attention à ne pas y mettre le pied), une figure ailée y paraît oubliée plutôt qu’exposée. On se demande pourquoi Le Voyage à Nantes n’a pas choisi de mettre là le gros des troupes et de renvoyer l’égarée à la place Félix-Fournier.

Décoration ou interprétation

Davantage « théâtre » et moins « opérations », Façades chromatiques, d’Alexandre Benjamin Navet, place du Commerce, est l’autre installation spectaculaire de cette édition. Ses hautes ornementations griffonnées aux couleurs « pétantes », comme écrit le JDD, inspirent la bonne humeur. Hélas, qu’on y vienne depuis la station de tram, depuis la place de la Bourse ou depuis la place Royale, ce qu’on remarque d’abord, ce sont ses gros bâtis de bois soulignant le côté pas fini de cet espace depuis si longtemps en travaux.

Le côté face égaie, le côté pile attriste. Lequel commande l’autre ? Jean Blaise est clair sur ce point : « Depuis dix ans, nous ne cessons d’affirmer avec l’assurance de ceux qui savent [sic] que Le Voyage à Nantes ne demande pas aux artistes de décorer la ville mais, au contraire, de l’interpréter d’une façon singulière et sensible ». Quitte à partir dans tous les sens à force de multiplier les façons singulières ‑ sombre avec Hélène Delprat, lumineuse avec d’Alexandre Benjamin Navet. Ici, le contrat est rempli : la distinction entre décoration et interprétation est frappante. Les toiles colorées ne sont que décor, telles des bâches illustrées dissimulant des échafaudages. L’important, l’interprétation, ce sont les poutres, symbole des travaux mais aussi des arbres abattus quai Duguay-Trouin. Où l’on constate que, quand les temps sont durs, un décor peut avoir du bon…

Déprime post-électorale ?

Bien entendu, il y a plein d’autres choses à voir au long de la ligne verte. Les Miroirs des temps de Pascal Convert, poétiques œuvres de verre au milieu de tombes décaties et d’allées mal entretenues, justifient un détour par le cimetière Miséricorde ‑ et accessoirement par le passage Sainte-Croix. À L’Atelier, L’entre-zone réunissant Lucas Seguy, Céleste Richard-Zimmermann et quelques autres donne à voir des créations franchement originales.

Globalement, pourtant, l’édition 2022 paraît poussive. Naguère aisément dithyrambique, la presse peine à s’enthousiasmer : « Après dix éditions d’œuvres spectaculaires sur des places incontournables de la ville, le Voyage à Nantes se la joue un peu plus discret pour sa 11e édition » (20 minutes), « Le festival artistique, qui traverse la ville jusqu’au 11 septembre, prend cette année un tour plus sombre et fantasmagorique » (Le Monde), « Une atmosphère de fête nimbée d’une mélancolie persistante flotte sur l’ancienne cité des ducs de ­Bretagne » (Le Journal du dimanche)…

Il est arrivé au Voyage à Nantes d’aller dans le mur en klaxonnant. Cette année, on dirait qu’il y va en couinant. Ou peut-être est-ce la ville de Johanna Rolland qui depuis l’élection présidentielle a cessé d’être forcément sublime ?

Sven Jelure

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