Yann Trichard, président de la CCI de Loire-Atlantique, annonce avoir mis sur pied une solution privée pour réaliser quand même l’Arbre aux Hérons mis au rancart voici deux mois par Johanna Rolland. De toute évidence, il manque quelque chose à ses explications. De même qu’il manquait quelque chose à celles de la maire de Nantes.
« À peine enterré, il renaît de ses cendres », écrit Ouest-France à propos de l’Arbre aux Hérons. La métaphore est hardie puisque les cendres supposent une crémation plutôt qu’un enterrement. Mais elle est parlante : le héron est en fait un phénix. Le phénix des hôtes de ces boires, sans doute. Maître Trichard, par l’odeur alléché, lui tint à peu près ce langage, toujours selon Ouest-France :
« On finalise le modèle économique.
« On est capable de le construire, c’est fantastique ! »
Le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Loire-Atlantique annonce que « le budget est bouclé » : pour construire un Arbre aux Hérons privé, il a trouvé 53 millions d’euros. L’exploit n’est pas mince. En cinq ans, à la tête du Fonds de dotation Arbre aux Hérons, Karine Daniel, ancienne députée, chercheuse en économie dans une école d’ingénieurs, n’avait pu trouver que 6 ou 7 millions d’euros – et encore, même pas versés intégralement. Il a suffi de deux mois à Yann Trichard pour en trouver sept ou huit fois plus.
Or il a dû repartir de zéro : statutairement, l’argent versé au Fonds de dotation ne peut aller qu’à Nantes Métropole, et pas à la société de droit privé qui sera créée pour construire l’Arbre. Les montants à six chiffres apportés par le Crédit Mutuel, Intermarché, Bati Nantes, Charier, Idéa Groupe, Cetih, Cameleon Group ou Vinci Airports sont déjà tombés ou tomberont tout droit dans les coffres métropolitains. Pareil pour les sommes plus modestes apportées par une cinquantaine d’autres mécènes et par les 5 511 donateurs de la campagne de financement participatif sur Kickstarter en 2018. On imagine que tous ceux-la ne sont pas pressés de signer un nouveau chèque.
Un peu de sorcellerie dans le compte d’exploitation
Pour être franc, cette résurrection, on n’y croyait pas. Et on est encore plus épaté quand Yann Trichard « savoure d’avance la possible restitution de l’Arbre aux hérons à la collectivité », une fois que les actionnaires auraient rentabilisé leur investissement. Pierre Orefice, co-créateur de l’Arbre et patron des Machines de l’île, a dit plus d’une fois qu’il prévoyait 500.000 entrées annuelles et un déficit d’exploitation de 20 % par an. Et voilà que, en deux mois de cogitation, l’Arbre est censé dégager des bénéfices suffisants pour le rentabiliser.
Chapeau ! Déjà, si l’on suppose que chaque visiteur paie son billet en moyenne 6,90 euros, soit le montant du tarif réduit des Machines de l’île, il faut encaisser 862.500 euros supplémentaires par an pour combler les 20 % de déficit. Et ce n’est encore rien à côté de l’amortissement de l’équipement, soit sur dix ans, 5,3 millions par an. Total : 6.162.500 euros de recettes supplémentaires à trouver chaque année, soit 893.116 billets à 6,90 euros. L’Arbre aux Hérons pourrait-il vraiment attirer à lui seul 1.393.116 visiteurs par an ? Ce serait plus de trois fois la fréquentation totale des Machines de l’île (433.000) en 2021. On dirait la multiplication des balais dans L’Apprenti sorcier de Walt Disney. Pourtant, la capacité d’emport du Héron ne devrait pas dépasser une centaine de passagers par heure et l’attrait de la balade dans les branches de l’Arbre reste à démontrer.
Le patron de la CCI sait ce qu’est un compte d’exploitation prévisionnel. Il y a donc un gros trou dans ses explications. Et l’argent n’est pas tout. Il y a la politique aussi. Yann Trichard avait toujours pédalé dans la roue de Johanna Rolland. Sa nouvelle initiative ridiculise une maire de Nantes incapable de faire en dix ans ce qu’un chef d’entreprise fait en deux mois avec le secteur privé. Pourtant, il ne peut se permettre de se fâcher avec elle. S’il veut reprendre le projet, il lui faudra l’accord de Nantes Métropole pour construire dans la carrière de Misery, pour exploiter les études détaillées déjà financées à hauteur de 6 ou 8 millions d’euros et même pour utiliser le nom « Arbre aux Hérons », déposé à l’INPI en 2017.
Quel magicien pour sauver le tourisme nantais ?
Un accord impossible ? Sûrement pas. Au fond, Yann Trichard pourrait enlever une sacrée épine du pied de la maire de Nantes. Car il y a un trou tout aussi gros dans les explications fournies par celle-ci lors de l’annonce de l’abandon de l’Arbre aux Hérons. Et cet abandon lui a aliéné les partisans du projet, qui sont nombreux. Le vol d’adieu du héron, le 22 octobre, n’a pas réuni les 15 000 personnes alléguées par les tenants du projet, toujours prompts aux exagérations, mais la foule présente était quand même considérable(1). Après l’échec cuisant de la campagne présidentielle, il y a de quoi vous cabosser sérieusement le prestige d’une édile ! La reprise du projet par quelqu’un d’autre apporterait une certaine consolation. Elle permettrait aussi de contourner habilement l’opposition municipale d’EELV.
Voire de reconfigurer par la même occasion l’entier dispositif touristique de Nantes Métropole, mal pensé par Jean-Marc Ayrault dès le départ et sérieusement essoufflé aujourd’hui. Le départ en retraite de Jean Blaise et Pierre Orefice pourrait être l’occasion de se débarrasser de tout le paquet entre les mains de professionnels. Derrière les messages apparemment antagonistes de Johanna Rolland et Yann Trichard, y aurait-il en fait une complicité plus stratégique ?
Sven Jelure
(1) La « photo de famille » publiée entre autres par Ouest-France permet de s’en faire une idée. Elle couvre une aire d’environ 1.000 m² de foule dense (quatre à cinq personnes au m²) et 1.000 m² de foule clairsemée (une personne au m²), soit 5 à 6.000 personnes au total.
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