FCN : toujours plus bas ?

En juin dernier, Waldemar Kita se félicitait d’avoir trouvé en Miguel Cardoso un entraineur à la hauteur de ses ambitions. Trois mois plus tard, les jours de l’entraîneur semblent déjà comptés. Il est vrai que le président du club a au moins apporté un titre au FCN et à la ville : celui du record de France de changement d’entraîneurs.

Depuis son arrivée à Nantes en 2007,  l’homme d’affaires, habitué des déclarations fracassantes, n’a pas grand chose d’autre à présenter en terme de bilan. Il embauche les entraîneurs aussi rapidement qu’il les vire. Avant Miguel Cardoso, il avait ainsi fait appel à Claudio Ranieri “pour deux ans”. Une seule année avait suffi au coach pour prendre la mesure des difficultés de travailler avec Kita. Les candidats au (futur) remplacement de Cardoso sont prévenus.

Avant son arrivée, le club affichait 8 titres de champion de France, trois coupes de France, une coupe de la Ligue… En 11 ans à la direction du club nantais, Waldemar Kita a tout de même réussi une performance : faire baisser régulièrement le nombre d’abonnés au FCN. Ils sont tout juste un peu plus de 7 000 cette saison. Et comme s’il y en avait trop, le Président fait interdire de stade ceux qui contestent un peu trop bruyamment sa façon de gérer le club.

Pour redorer un blason sérieusement terni, le Président Kita s’est trouvé une nouvelle vocation dans l’immobilier. Le projet YelloPark – dont Médiacités Nantes a décortiqué le montage – est son nouveau dada. Le projet de stade “à la hauteur des ambitions du club” n’a pas manqué de provoquer des vagues. Chez les riverains de la Beaujoire qui craignent les nuisances de cette lourde restructuration de leur quartier. Chez les supporters qui dénoncent, pour les plus modérés, un écran de fumée pour cacher la misère du club. Chez les élus écologistes qui ont réclamé à la maire de Nantes une étude plus sérieuse de l’impact environnemental de ce projet.

Pour l’instant, officiellement, la Ville soutient le projet immobilier de Waldemar Kita. Un président qui aurait sans doute plus de légitimité à réclamer un nouveau stade si son club jouait les premiers rôles en championnat et si la Beaujoire affichait complet. En janvier 1985, le FCN accueillait Bordeaux. Il y avait à l’époque plus de 44 000 spectateurs dans le stade. Mais ne soyons pas cruels…

Julien Craque

Toujours pas de récompense pour les 101 « gros » donateurs de l’Arbre aux Hérons

Des « récompenses » ont été promises aux contributeurs de L’Arbre aux Hérons. Un peu plus que des cacahuètes puisque, avec les frais de la campagne Kickstarter du printemps dernier, elles absorberont quelque chose comme un quart des sommes récoltées, de l’aveu même de Karine Daniel, directrice du Fonds de dotation. Cinq mois plus tard, certaines manquent encore à l’appel.

Elles avaient été annoncées pour juin-juillet, ce qui ne dénotait déjà pas une grande célérité. Les récompenses numériques, simples fichiers télétransmis, ont été envoyées fin juillet. Les récompenses en dur, elles, commencent seulement à être livrées sans un mot d’excuse, sans une tentative de justification, ce qui soulève pas mal de commentaires acides. « Un petit message pour tenir informé.e serait le bienvenu, le dernier datant de juin, ça commence à faire longuet » déplore ainsi Fanny Maillet. « Still nothing for me. I hope they arrive before the tree is built… », persifle Barbara Kendall.

Certaines récompenses, cependant, semblent remises aux calendes grecques. Aux donateurs de 1.000 euros, la campagne Kickstarter avait promis ceci : « les NOMS des 250 grands donateurs seront GRAVÉS SUR LES BANCS installés sur le site des Machines de l’île ! ». Le travail est moins lourd que prévu puisque seulement 101 gros dons ont été reçus au lieu des 250 espérés. Les graveurs sur bois auraient pu sortir gouges et maillets dès la campagne achevée, en avril dernier. À ce jour, pourtant, les bancs installés autour des Machines de l’île sont vierges de toute gravure.

Il est vrai que, juridiquement, le cas est épineux puisque ces bancs – immeubles par destination car fixés au sol – appartiennent à Nantes Métropole. En faire le support de récompenses aux donateurs serait une subvention en nature au profit du Fonds de dotation de L’Arbre aux Hérons. Hélas, un fonds de dotation ne peut recevoir de subvention des collectivités locales…

« A l’inauguration de l’Arbre aux Hérons, ces bancs seront implantés dans le jardin extraordinaire… » a néanmoins promis le Fonds de dotation. Vu leur état, beaucoup d’entre eux risquent de ne pas y survivre. Pas grave : inspirés par Jules Verne et Léonard de Vinci, qu’ils disent, les créateurs du projet trouveront bien une solution.

Et il n’est question ici que des récompenses les plus simples. Or pourquoi faire simple quand Nantes Métropole peut faire encore plus compliqué ? On y reviendra donc un de ces jours…

Sven Jelure

Gare aux intempéries…

Nous les testerons aux premières pluies

Début septembre, le tramway a repris du service entre Commerce et Manufacture. Les travaux de la gare se poursuivent, rendant un peu plus difficile encore son accès. La Ville de Nantes conseille donc sagement d’éviter la face Nord (sauf pour celles et ceux qui prennent le tram) et invite la population à partager la joie des embouteillages côté sud.

Reste que la ligne 1 du tram a repris du service dans la continuité et que le public a pu découvrir le nouveau mobilier urbain. À la gare, il convenait de faire un clin d’œil au Jardin des Plantes. D’où ces jolis abribus semblant sortir d’une bande dessinée. Des arbres, ou plutôt de larges feuilles blanches, sous lesquelles les voyageurs sont invités à attendre le tram.

Est-ce un avant-goût de ce qui attend les voyageurs lorsque le projet de Rudy Riciotti sera terminé ? On nous vend déjà une gare “perchée dans les arbres”. Ni plus, ni moins. Tout juste peut-on se demander si les concepteurs des abribus n’étaient pas eux-mêmes un peu perchés lorsqu’ils ont dessiné le mobilier. Qu’un abribus soit joli plutôt que moche, tout le monde en sera d’accord. À condition toutefois qu’il remplisse sa fonction première d’abri. Il est probable que les voyageurs déchanteront lorsque la bise sera venue. Sans parler de ce crachin qui nous rappelle, l’automne venu, que Nantes n’est pas loin de la Bretagne.

J. C.

 

Toujours plus de vélos…

S’il y a plus de vélos que de voitures dans les rues de Copenhague (comme l’a rappelé récemment la presse), la ville de Nantes accuse un retard certain par rapport à nombre de villes françaises dans la place faite au vélo. Strasbourg, Bordeaux ou… même Grenoble font beaucoup mieux.

Certes Nantes peut légitimement s’enorgueillir de disposer (sur le cours des 50 otages) de la seule piste cyclable surélevée aménagée entre deux voies de bus mais beaucoup de cyclistes hésitent à l’emprunter pour des raisons de sécurité. D’autant que ce parcours cycliste est interrompu par des ronds-points difficilement carrossables.

Le gouvernement vient d’annoncer le lancement d’un plan vélo qui entend “tripler la part du vélo dans les déplacements quotidiens”… La part du vélo en France passerait ainsi à 9 % en 2024… si tout va bien. Dans un pays qui fait volontiers la leçon au monde entier, rappelons qu’à Amsterdam, elle était de 40 % en 2017. Et que Bâle (25 %) Florence, Munich et Bologne (20 %) ont pris quelques longueurs d’avance. La part du vélo en France n’était que de 3 % l’an dernier.

Les associations nantaises font quant à elles remarquer que l’aménagement (plus ou moins adapté…) de pistes cyclables n’est pas le seul problème rencontré par les usagers. Circuler en vélo, pourquoi pas mais, une fois à destination, on fait quoi de son deux roues ? Difficile à glisser sous un bureau ou à laisser au vestiaire. Le centre-ville de Nantes se signale ainsi par une accumulation anarchique de deux roues, attachés ou abandonnés faute de mieux en fonction des possibilités offertes par les grilles, les poteaux et autres points d’attache potentiels.

La gare de Nantes, réaménagée à grands frais, n’a pas prévu de faire davantage de place pour les deux roues. On finira bien par caser quelques arceaux ici ou là mais on peut d’ores et déjà douter que ce soit suffisant.

Julien Craque

Sortons la calculette pour L’Arbre aux Hérons

La calculette des Hérons

Il suffit parfois d’un rien pour ébranler les certitudes les mieux assises. Depuis juillet 2013, on croyait savoir que l’Arbre aux hérons coûterait 35 millions d’euros. En réalité, il semble que personne n’en sait rien.

Maintes fois mentionné par Pierre Orefice et François Delarozière, le montant de 35 millions d’euros a même été officialisé par le conseil métropolitain du 17 février 2017 :

« Le coût prévisionnel du projet Arbre aux hérons est de 35 millions d’€ et repose sur un objectif de cofinancement assuré pour un tiers par Nantes Métropole, un tiers par d’autres personnes publiques et un tiers par des partenaires privés (entreprises, particuliers, collectifs…). » 

D’un seul coup, la certitude vacille. L’association La Machine, constructrice exclusive des Machines de l’île, recrute un ou une « chargé.e d’économie de projet – Arbre aux hérons ». Sa mission principale sera « la réalisation d’une estimation complète et détaillée du coût du Projet et des frais annexes (frais d’études, d’expertises, de coordination, d’assurances, de communication etc.) ».

Un calcul déjà fait, à refaire quand même

Une estimation complète : ainsi, l’entité a priori la mieux informée ne sait pas ce que la construction coûterait ! Ce n’est pourtant pas faute d’y avoir réfléchi. La première tranche des Machines de l’île comportait dès 2004 « l’étude de l’Arbre aux hérons et la branche prototype ». Ce poste représentait pas moins de 12,5 % du coût de cette tranche, 0,6 million sur 4,8 millions d’euros – contre 2 millions pour le Grand éléphant et 2,2 pour la Galerie des Machines. (Oui, le budget initial de l’Arbre aux hérons serait 17,5 fois plus élevé que celui de l’Éléphant.)

On a bien noté : « l’étude de l’Arbre aux hérons et la branche prototype » ont coûté 0,6 million d’euros. La Machine ayant disposé d’une somme conséquente et de quatorze ans de délai pour réaliser cette étude, on avait toutes les raisons de penser que les 35 millions évoqués avaient été mûrement calculés. Il semblerait que non puisqu’il faut aujourd’hui réaliser une « estimation complète »qu’un seul chargé d’étude est censé réaliser en moins d’un an, les travaux devant commencer début 2020.

Ce cafouillage comporte cependant une bonne nouvelle : peut-être L’Arbre aux hérons pourra-t-il ainsi échapper à ce budget ridicule de 35 millions d’euros, soit à peine une vingtaine de ronds-points, selon l’étalon financier favori de François Delarozière. Nantes disposerait enfin d’un bidule à la mesure d’une grande métropole.

Voyage à Nantes : toujours plus de virtuosité dans le bidonnage

On aura sûrement l’occasion de revenir sur le bilan du Voyage à Nantes 2018, fidèle à une longue tradition de trituration des chiffres. Mais signalons déjà ce petit bijou finement ciselé :

«la fréquentation reste quasi stable avec 609.217 visites contre 648.408 en 2017 sur les sites comparables »

En treize mots et trois nombres, Le Voyage à Nantes est parvenu à glisser trois cartes biseautées (toutes à son avantage, est-il nécessaire de le préciser ?).

1 – Il faut vraiment compter sur un public endormi pour qualifier de « quasi stable » un nombre de visites en baisse de 39.191. La fréquentation de 2017 a été en réalité supérieure de 6,43 % à celle de 2018.

2 – Encore moins quasi stable est la durée de la promo estivale. Le Voyage à Nantes 2018 a duré une semaine de plus que Le Voyage à Nantes 2017, soit 12 % de temps en plus. À durée équivalente, il aurait fallu engranger 726.217 visites (648.408 x 1,12) pour parvenir à la stabilité. Plus de 100.000 manquent à l’appel.

3 – Qu’est-ce que c’est que cette histoire de « sites comparables » ? L’an dernier, le Voyage à Nantes revendiquait 2.389.943 visiteurs sur vingt-cinq sites. Deux d’entre eux ont disparu : l’ancienne maison d’arrêt et l’installation Hécate de la place Graslin, soit au total 246.239 visites. Les vingt-trois sites restants avaient reçu en 2017 pas moins de 2.143.704 visites. Faut-il être très paranoïaque pour imaginer qu’on a retiré de l’enveloppe tout ce qui a franchement moins bien marché en 2018 qu’en 2017, à l’instar du Musée d’arts, dont la fréquentation a été divisée par deux ? Les comparaisons sont plus faciles ainsi !

Conclusion : l’Éloge du pas de côté représente assez bien Le Voyage à Nantes. Y a un truc !

Nantes plus de circulation apaisée

Depuis bientôt trente ans, Nantes s’ingénie à compliquer d’année en année la vie des automobilistes. En tête du palmarès 2018 trône l’interdiction aux voitures du haut de la rue Henri IV.

Dommage pour la rue Joffre
petit détour par une rue qui serait tellement plus sympathique sans voiture

À moins de 100 m de la place Louis XVI, les conducteurs doivent bifurquer à droite dans la rue Clemenceau, puis à gauche dans la rue Stanislas Baudry et la rue Lorette de La Refoulais, puis à gauche dans la rue du Maréchal Joffre pour enfin retrouver la colonne Louis XVI, objet de leur désir, après un détour de 800 m riche en promesses d’embouteillages.

 Les cyclistes ont pu paraître un temps mieux lotis. On leur a créé des bandes cyclables et des « tourne à droite » aux feux. Il était grand temps de doucher leurs prétentions. Nantes Métropole a sagement imaginé à leur intention quelques innovations perverses. Dernière en date, la pose de trois plots barrant la bande cyclable au beau milieu du cours Franklin-Roosevelt paraît spécialement rock-n’roll.

Et les piétons, alors ? Nantes Métropole n’a-t-elle rien prévu pour leur rappeler leur condition d’assujettis ? Eh ! bien, si, ça vient, comme le montre ce panneau de chantier remarqué le week-end dernier en bas de la rue Geoffroy-Drouet et qui appelle des visions à la Jérôme Bosch. Piétons traversés par quoi ? On devait le savoir bientôt, mais ça ne sera sûrement pas joli-joli.

Plus de couleurs à Nantes

Quand, vers la Noël 2017, Nantes avait été autorisée à expérimenter les marquages publicitaires éphémères sur les trottoirs, ça n’avait été qu’un cri : Touche pas à mon macadam !
La Ville, sans doute inscrite à l’insu de son plein gré sur la liste des expérimentateurs, avait repoussé la perspective avec horreur.
Elle avait stigmatisé « une pollution visuelle en contradiction avec la volonté de Nantes de valoriser les atouts patrimoniaux et environnementaux de son centre ville ».

Elle avait aussi rappelé les grands principes : « C’est pour cela aussi que Nantes s’est doté d’un Plan de sauvegarde et de mise en valeur de son centre-ville. La Ville souhaite s’en tenir aux codes de la route et de l’environnement et refusera toute demande de marquage au sol. » Le Plan de sauvegarde et de mise en valeur venait justement d’être révisé ; après une enquête publique fin 2016, il avait été soumis au conseil métropolitain le 24 mars 2017. On n’allait pas si vite s’asseoir dessus !

« La nécessité d’une écriture homogène architecturale s’impose », affirmait le Plan. « Celle-ci s’affirme aujourd’hui avec le recours quasi systématique au granite en dallage, pavage ou bordure, de préférence de la couleur gris beige du granite des immeubles et un mobilier urbain métallique peint en vert nantais. »

        

Mais Nantes, on le serine sur tous les tons, est une ville créative : son imagination ne saurait se borner au gris beige et au vert nantais. Et puisque la Ville refuserait les marquages, il suffisait de ne pas demander : une nuit de début juin, un commando nocturne, qui avait sans doute quelque chose à dire, avait peint en six couleurs (de bas en haut, rouge, orange, jaune, vert, bleu, violet) l’escalier de la rue Beaurepaire, qui rejoint le cours des 50 otages en son milieu.

Nantes lave plus blanc

Six jours plus tard, un autre commando nocturne, qui avait sans doute autre chose à dire, repeignit en blanc une partie des marches. La Ville, ç moins tolérante aux marches blanches qu’aux marches de couleur, envoya ses nettoyeurs déblanchir les lieux. Las ! Les Kärcher municipaux sont daltoniens : incapable de distinguer le blanc des couleurs, ils enlevaient tout. Horrifiés, les nettoyeurs stoppèrent le travail en son milieu. Voilà pourquoi les touristes ont pu admirer tout au long de l’été cet étrange décor où le « gris beige du granite » le dispute aux couleurs survivantes.

Repentante, la Ville a officiellement fourni un stock de peinture aux partisans des couleurs. On espère que la comptabilité publique a une ligne pour inscrire ce genre de cadeau, mais là n’est pas la question. On espère surtout que la Ville a fourni sept couleurs et non six, car traditionnellement c’est ainsi qu’on représente l’arc-en-ciel. Et plus encore, on espère qu’elle ne s’en tiendra pas là.

Car les escaliers aux couleurs de l’arc-en-ciel sont d’une affligeante banalité. Du Brésil à la Turquie, ils abondent. Même larges, quelques marches peinturlurées ne sont pas suffisantes pour valoir à Nantes le badge de créativité auquel elle aspire. Alors, allons-y franco, peignons partout, ce n’est pas MM. Castorama et Dulux qui s’en plaindront.

Sven Jelure

Nantes plus jobarde : La Machine à Toulouse

Dans deux mois, La Halle des mécaniques créée par Toulouse Métropole concurrencera directement Les Machines de l’île créées par Nantes Métropole, avec un concept pratiquement identique et des engins encore plus spectaculaires. Un revers majeur pour Nantes et un succès incontestable pour François Delarozière.

François Delarozière doit beaucoup à son talent et pas mal aussi à Jean-Marc Ayrault. Il n’avait que 26 ans quand ce dernier, en 1989, offrit le gîte et le couvert à Royal de Luxe, jusque-là basé à Toulouse. Royal de Luxe n’était alors que l’une des innombrables troupes de théâtre de rue fondées dans les années 1970. Comme presque toutes, elle vivotait. Les généreux financements de la ville de Nantes lui permirent de réaliser ses idées en grand. En grand au propre et au figuré : le succès international de Royal de Luxe repose sur ses Géants. Et les géants sont les enfants de François Delarozière.

Le second tournant capital pour celui-ci date de 2004. Nantes Métropole voulait aménager un équipement « structurant » sur le site des anciens chantiers navals, abandonné depuis dix-sept ans. Une dizaine de projets avaient été présentés. Un cabinet-conseil les avait rangés par ordre d’intérêt. Lors du conseil métropolitain du 18 juin 2004, Jean-Marc Ayrault imposa pourtant l’un des moins bien classés : celui des Machines de l’île, présenté par Pierre Orefice et François Delarozière.

Ce dernier, sans doute conscient de son grand destin, avait créé dès 1989, à Tournefeuille, dans la banlieue de Toulouse, une association vouée aux métiers du spectacle, La Machine. C’est à elle que serait confiée la réalisation des machines géantes installées sur le site des chantiers. Plus étonnant encore, ces travaux lui seraient confiés par marchés de gré à gré, sans appel d’offres. Payées par Nantes Métropole, donc par les contribuables, les machines coûtent ce que deux amis de longue date décident qu’elles valent. La Machine bénéficie ainsi d’une situation financière extrêmement confortable – mais difficile à apprécier exactement*. Si Pierre Orefice dirige les Machines de l’île, le grand gagnant de l’opération est François Delarozière.

Delarozière bientôt concurrent des Machines de l’île

La Machine put ainsi développer des compétences, un savoir-faire, une notoriété, une démonstration commerciale et des relations d’affaires qui allaient lui permettre de vendre des spectacles basés sur ses machines dans le monde entier. On dit merci qui ?

Eh bien justement, on ne dit pas merci. Jean-Marc Ayrault, négociateur déplorable, n’avait exigé aucune exclusivité de la part de François Delarozière. Il a fallu attendre fin 2017 pour que les droits de Nantes Métropole sur l’image des machines construites à ses frais soient formalisés (moyennant une solide rémunération au profit de leurs deux auteurs). Mais rien n’interdit à François Delarozière d’entrer frontalement en concurrence avec les Machines de l’île. Sa situation désormais assurée, c’est ce qu’il s’apprête à faire.

Il inaugurera le 9 novembre à Toulouse Montaudran une Halle des mécaniques où ses machines monumentales seront exposées en permanence. Les préparatifs vont grand train. Le quotidien régional La Dépêche en a rendu compte samedi dernier. « De l’empilement des gros containers aux effluves atlantiques, tout juste arrivés de Nantes, émergent les membres démantibulés d’une araignée géante », écrivait ainsi l’auteur de l’article, Gilles-R. Souillés. Car les 5.000 m² de la halle de Montaudran seront remplis de machines construites pour la plupart à Nantes et en partie financées par Nantes Métropole.

Le clou de l’exposition sera un Minotaure d’une douzaine de mètres de haut qui, longtemps stocké dans les ateliers nantais, fera sa première sortie dans le centre de Toulouse le 1er novembre. Ça ne vous rappelle rien ? Bien sûr, ce sera un alter ego du Grand éléphant. En plus spectaculaire encore : comme le cheval-dragon Long Ma, qu’on a pu voir à Nantes, il crachera du feu et pourra galoper et se cabrer. Avec ses sprints à 1,5 km/h et ses barrissements enroués, le Grand éléphant fera parent pauvre. D’autant plus que le Minotaure arpentera une ancienne piste d’aéroport prestigieuse, d’où s’envolèrent les pionniers de l’Aéropostale.

Delarozière seul maître à bord

Quant à la Halle, cinq fois plus vaste que la Galerie des Machines de l’île, elle exposera dès son premier jour des mécaniques spectaculaires. Il est probable que François Delarozière aura profité de son expérience nantaise pour éviter des défauts auxquels son ami Pierre Orefice n’a jamais su remédier : mauvaise gestion des files d’attente, absence de présentations en langues étrangères, sentiment d’inéquité des visiteurs quand une ou deux personnes seulement ont accès aux machines, etc.

Car oui, le patron de l’affaire, le seul, ce sera François Delarozière, via sa nouvelle association La Machine Toulouse. Toujours sans le moindre appel d’offres, Toulouse Métropole lui a confié les clés et y a rajouté 577.000 eurosde subvention par an. L’ancien maire socialiste, initiateur de l’affaire, avait pourtant affirmé qu’elle ne coûterait rien aux contribuables.

Que L’Arbre aux Hérons se fasse ou non n’aura sans doute plus beaucoup d’importance une fois l’établissement toulousain ouvert. On peut même se demander si ce n’est pas un rideau de fumée qui a permis à François Delarozière, jusqu’à présent, de travailler avec les Toulousains sans irriter les Nantais. En tout cas, la Halle sera pour lui un couronnement auquel peu d’artistes peuvent prétendre.

Il revient pourtant de loin. Le nouveau maire de droite élu en 2014 avait juré que la Halle aux mécaniques ne se ferait pas. Après un entretien avec François Delarozière, il avait changé d’avis du tout au tout. Delarozière n’est pas seulement un grand créateur, c’est un négociateur d’une redoutable efficacité.

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* Contrairement à une obligation légale, La Machine a cessé de publier ses comptes annuels depuis son exercice 2011. Cette année-là, les salaires versés par l’association s’élevaient, sans les charges, à 1,3 millions d’euros pour un effectif de 25 équivalents temps plein, dont quatre cadres, soit 52.000 euros par personne en moyenne.. Elle avait aussi payé plus de 38.000 euros de redevances pour brevets et licences.

Plus de détails diaboliques pour le Fonds de dotation de L’Arbre aux Hérons

  • Le diable est dans les détails, dit-on. Ces détails, le Fonds de dotation de L’Arbre aux Hérons paraît s’acharner à les multiplier.

Dans sa chronologie, d’abord. Sa création a été décidée le 26 juin 2017 par le conseil de Nantes Métropole. Il n’a été créé que le 11 novembre 2017. Pourtant, le recrutement de sa déléguée générale avait été lancé près de deux mois plus tôt. En double exemplaire, même. Une campagne de financement participatif devait être lancée fin 2017, pour 200.000 euros. Elle l’a été au mois de mars 2018, pour 100.000. Les donateurs devaient recevoir leurs récompenses entre mai et juillet. Ils n’en ont reçu qu’une partie, dans les derniers jours de juillet. De par la loi et ses statuts, les fondateurs disposaient de 90 jours après la création du Fonds pour verser sa dotation initiale de 15.000 euros. Il leur a fallu près de 120 jours : elle n’a été versée que le 7 mars 2018. Enfin, Le Fonds devait publier les comptes de son exercice 2017 au Journal officiel (J.O.) au plus tard le 30 juin 2018. Il l’a fait fin juillet.

Quoique… des comptes, ça ? Les experts comptables pourront s’amuser à en recenser les bizarreries, à commencer par l’écart de 1 euro entre le montant du passif et celui de l’actif. Mais surtout, à ces quelques chiffres qu’on dirait griffonnés sur un coin de nappe en papier, il manque quelque chose d’essentiel : ils ne sont pas certifiés par un commissaire aux comptes, ainsi que la loi l’exige.


Un commissaire aux comptes a pourtant été désigné (RSM). Il a bien envoyé sa facture au Fonds (2.400 euros). Alors, pourquoi les comptes ne sont-ils pas certifiés ? Il y a sûrement un détail qui coince. Quand le commissaire aux comptes relève « des faits de nature à compromettre la continuité de l’activité »précise la loi, il doit demander des explications au président du conseil d’administration et prévenir le préfet. Trop de dépenses, pas assez de recettes, cela pourrait faire partie des « faits » visés… Et Bruno Hug de Larauze, président du Fonds de dotation de L’Arbre aux Hérons n’est peut-être pas trop ravi d’avoir été envoyé en première ligne par Johanna Rolland.

Les problèmes du Fonds de dotation de L’Arbre aux Hérons pourraient en outre provoquer un dommage collatéral. Son déficit considérable de 2017 est dû essentiellement aux 77.680 euros facturés par Le Voyage à Nantes pour la sous-location de la station Prouvé, des travaux d’aménagement et surtout la mise à disposition de Pierre Orefice et l’une de ses collaboratrices – pendant moins de deux mois. Cette facture abracadabrantesque n’a pas empêché la SPL Le Voyage à Nantes de plonger dans le rouge en 2017. Mais sans elle, son déficit aurait dépassé le seuil psychologique du quart de million d’euros.

Sven Jelure