Le Voyage à Nantes entretient depuis toujours un rapport… particulier avec les chiffres. Pour inaugurer la saison 2023, lecture d’un graphique qui vérifie une fois de plus l’apophtegme attribué à Churchill : « There are lies, damned lies, and statistics » (il y a les mensonges, les foutus mensonges et les statistiques).
Rituellement, chaque fin d’été, Le Voyage à Nantes présente un bilan touristique estival plus ou moins bidonné. Cette année, il innove : le bilan est un coup d’envoi (Presse Océan du 24 mai 2023). Présenté sous le titre « Nantes Métropole : une fréquentation toujours à la hausse », un graphique est censé démontrer la réussite de Jean Blaise et de son équipe. Il met en évidence des nuitées annuelles en hausse de 80 % de 2010 à 2019, et des nuitées estivales en hausse de 95 % sur la même période. Puis respectivement de 45 % et 32,5 % entre 2020 et 2022.
Or ce graphique d’aspect innocent est quintuplement mensonger !
Premièrement, non, contrairement à ce que dit son titre la fréquentation n’est pas « toujours à la hausse ». Elle a lourdement chuté en 2020 – comme le constate aussitôt le lecteur qui ne se contente pas du titre. L’épidémie de Covid-19 et le confinement en sont la cause, bien entendu, mais la hausse permanente est une fantasmagorie – dans la vraie vie, il y a des aléas.
Deuxièmement, s’il est légitime de traiter à part les années 2020-2022, il ne l’est pas d’inclure les années 2010-2011 dans le graphique. On sait que le tourisme a subi une crise en 2008-2010, et spécialement dans les Pays de la Loire. Faire débuter les statistiques en 2010, année creuse, donne l’impression que le rebond d’après-crise est dû au Voyage à Nantes. Ce qui est faux pour une raison très simple : il n’existait pas encore ! Sa première opération estivale ne date que de 2012.
Troisièmement, non, le graphique ne représente pas la « fréquentation ». Du moins, pas toute la fréquentation. Il ne porte que sur les nuitées en « hébergements marchands » (hôtels, camping…). Or les « hébergements non marchand » (dans une résidence secondaire, dans la famille, chez des amis…) ne sont pas du tout anecdotiques. Ils peuvent représenter plus de la moitié des nuitées au niveau national. Au niveau régional, 70 % des séjours touristiques étaient réalisés en hébergements non marchands en 2017.
Les hébergements marchands sont faciles à dénombrer grâce au versement de la taxe de séjour. Pour les hébergements non marchands, c’est plus difficile. Le Voyage à Nantes s’y essaie pourtant. À l’été 2013, par exemple, il revendiquait 129 000 touristes en hébergement non marchand pour 150 000 en hébergement marchand. Il est vrai que le bilan de cette année-là était plus que suspect. Le Voyage à Nantes « a ainsi pu communiquer des données variables pour l’année 2013 », a pudiquement noté la chambre régionale des comptes.
Bien, mais peut mieux contrefaire
Quatrièmement, l’absence des hébergements non marchands dans le graphique du 24 mai 2023 n’est pas neutre. D’abord, ces hébergements ont très bien résisté à la crise sanitaire en 2020 ; ils auraient même été plus fréquentés qu’en 2019 pendant l’été. Autrement dit, la baisse réelle de la fréquentation totale à l’été 2020 serait inférieure à ce que le graphique laisse penser.
Ensuite, selon l’Insee, « depuis juin 2022, les habitants de France métropolitaine passent davantage de nuitées dans l’hébergement marchand (hôtels, campings, locations auprès de particuliers, etc.) que dans le non-marchand ». Autrement dit, la hausse réelle de la fréquentation totale à l’été 2022 serait inférieure à ce que le graphique laisse penser.
Prendre en compte ces mouvements de sens opposé auraient rendu le graphique du 24 mai beaucoup moins flatteur pour la période estivale, celle du Voyage à Nantes : on serait parti de moins bas en 2020 pour rebondir moins haut en 2022 !
Cinquièmement, la présentation matérielle du graphique enjolive les choses : la ligne de base de la frise chronologique n’est pas située à 0 mais à 300 000 nuitées estivales ou à 1,5 million de nuitées annuelles. Visuellement, la progression de l’activité est ainsi plus flatteuse : quand les nuitées doublent, un œil distrait a l’impression qu’elles sont multipliées par quatre ou cinq.
Grosso modo, Nantes reçoit quand même deux fois plus de visiteurs qu’en 2010. Un magnifique succès du Voyage à Nantes ? Il faut le dire vite. La marée soulève tout ce qui flotte : depuis une douzaine d’années, toutes les métropoles françaises ont profité de la mode des city breaks et de l’essor des compagnies aériennes low cost. Nantes n’est pas passée à côté, c’est déjà ça. Mais l’objectif posé par Jean Blaise au lancement du Voyage à Nantes, « entrer dans le top 5 des destinations françaises » (Grenoble exprime la même ambition dans les mêmes termes) est loin d’être atteint. Nantes, sixième ville de France, se situe au huitième rang touristique, loin derrière Paris, Nice, Bordeaux ou Lille. Reste à se demander si les moyens investis pour n’en arriver que là (1) étaient nécessaires (2) ont été bien utilisés.
Sven Jelure
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