Pourquoi moi ? Est-ce une expression de haute culture, de grande intelligence et de profonde humanité qui me donne l’air d’un représentant du Voyage à Nantes ? En tout cas, devant l’installation de Stéphane Vigny sur la place Royale, cette dame me hèle, l’index pointé vers un pénis qui l’est moins :
– C’est pas possible ! On voit le sexe des hommes !
Ma réponse (« Heureusement, on voit aussi le sexe des femmes ») ne semble pas la satisfaire ; elle tourne les talons. Est-elle un cas unique d’hyperpruderie ? Peut-être, mais on voit bien quels troubles pourrait susciter la profusion de personnages dévêtus des deux sexes ou l’étalage sur la voie publique de figures chrétiennes, y compris Jésus lui-même, en plusieurs exemplaires, au coude-à-coude avec des dieux païens. (Et encore, on a évité les effigies bouddhistes ou égyptiennes.)
Pourquoi cette exposition de statues en pierre reconstituée largement disponibles dans de grandes jardineries et des boutiques en ligne ? (Le Bon Vivre solde en ce moment l’Hercule Farnèse à 690,40 euros au lieu 863,00, profitez-en.) Nantes Tourisme explique ainsi l’illumination créative de l’auteur :
Ayant découvert que l’ensemble des façades de la place Royale ne sont en quelque sorte qu’un décor – les immeubles, soufflés par les bombardements de 1943, ont été reconstruits à l’identique – et intrigué par la statuaire de la fontaine monumentale, Stéphane Vigny s’amuse de cette mise en scène urbaine entre falsification du décor, faste et profusion.
Belle histoire ? Pur bidonnage, oui ! Vigny ne doit pas son inspiration à la place Royale reconstruite. Il s’était déjà fait un prénom en réalisant une installation analogue en 2015* dans la cour du château de Maisons-Laffitte, bâti au milieu du 17ème siècle et jamais reconstruit.
Servitude et grandeur budgétaires
Une fois de plus, le Voyage à Nantes fait dans le déjà vu. Comme les « nids » de Tadashi Kawamata ou, l’an dernier, les statues de Philippe Ramette, ses installations emblématiques ont déjà été montrées ailleurs. Faisons semblant de ne pas le savoir. Une œuvre unique, même faite de statues de pierre reconstituée éditées à des milliers d’exemplaires, ça a plus de valeur.
Et la valeur, ça compte. Le Voyage à Nantes, qui a enregistré une perte d’exploitation de 484.459 euros en 2018 ferait bien de resserrer les cordons de la bourse avant les municipales. Après deux mois d’exposition en plein centre ville, pourquoi ne pas vendre les statues aux enchères ? À 300 euros pièce en moyenne, il y en aurait pour 210.000 euros quand même… Mais il est vrai que cela obligerait Stéphane Vigny à racheter tout le stock pour sa prochaine installation.
Sven Jelure
* Nantes Tourisme fait état de cette exposition précédente.
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