Un gros nuage sur Le Voyage à Nantes et sur un député de Loire-Atlantique

Décidément, Le Voyage à Nantes n’est pas une promenade de santé. Après la mise en examen de Jean Blaise l’an dernier dans l’affaire du Carrousel des fonds marins, la SPL est à présent au centre d’une enquête pour favoritisme. La mairie de Saint-Sébastien-sur-Loire a été perquisitionnée voici quelques jours. Les policiers s’intéressaient à la Station Nuage, cette guinguette toute bleue aménagée par l’Atelier Yok Yok sur l’île Forget. Sa création a fait l’objet d’un contrat signé le 7 juillet 2020 entre la commune et le Voyage à Nantes, qui la présente comme l’une de ses « œuvres pérennes ». L’enquête est la suite logique d’un rapport publié par la chambre régionale des comptes en juin 2022.

Pour la Chambre, l’affaire est simple : « le contrat passé sans négociation par la commune pour la conception et la réalisation de la Station Nuage en collaboration avec le Voyage à Nantes, pour un montant prévisionnel de 167 000 €HT, contrevient au principe de la liberté d’accès à la commande publique, car ce contrat portant sur la réalisation d’un équipement a été conclu sans mise en concurrence. »

Le Voyage à Nantes est allé au-delà de la simple « collaboration », souligne la Chambre : « la SPL VAN ne s’est pas limitée à un rôle  d’assistant à maîtrise d’ouvrage puisqu’elle a également pris à sa charge certaines dépenses […], payées dès janvier 2020, avant même la conclusion du contrat de coproduction. En réalité, le contrat comme la convention ont été signés alors que les travaux avaient été lancés depuis mars 2020 et que les missions d’assistance du VAN se déroulaient depuis 2019. La SPL est ainsi sortie d’un rôle habituel d’assistance à maîtrise d’ouvrage, qui plus est au bénéfice d’une collectivité non actionnaire, sur la base d’un montage complexe qui dans  les faits a conduit à contourner le cadre légal défini par l’article L. 1531-1 du code général des  collectivités territoriales. »

Mais le plus ennuyeux, c’est que la commande à l’Atelier Yok Yok a été passée sans appel d’offres ni négociation, en invoquant l’article R2122-3 du code de la commande publique (CCP), qui autorise une dérogation au droit normal pour les œuvres protégées par des droits d’exclusivité. La Station Nuage est une œuvre d’art, prétendait la mairie. Non, a fermement répondu la Chambre : il n’y a d’œuvres d’art que réalisées par leurs auteurs. Ce qui est sous-traité, comme la charpente de la Station Nuage, ne peut être considéré comme tel.

La Chambre « ne conteste nullement la qualité d’œuvre de l’esprit qui s’attache à l’esquisse et à la conception de la Station ». En revanche, les mobiliers, les parasols, l’installation d’un filet, etc., auraient dû faire l’objet d’une publicité et d’une mise en concurrence. Diverses autres irrégularités s’y ajoutent ; le conseil municipal n’a même pas été informé. La Chambre est donc tout à fait affirmative : « La procédure suivie était irrégulière ».

Un rapport avec l’abandon de l’Arbre aux Hérons ?

Allons, 167.000 euros, ce n’est qu’une bricole, n’est-ce pas ? L’ennui, c’est que Le Voyage à Nantes a fonctionné sur le même principe pendant des années. Se pourrait-il que des cadavres dorment dans ses placards ? Aymeric Seassau, élu de Nantes Métropole qui sera bientôt intronisé président de la SPL Le Voyage à Nantes, a déjà vécu les ennuis de la SEM La Folle Journée et de l’École des beaux-arts de Nantes-Saint-Nazaire. Il n’est peut être pas pressé de repiquer. Quant à Sophie Lévy, qui s’apprête à quitter la direction du Musée d’arts pour prendre celle du Voyage à Nantes, a-t-elle exactement mesuré dans quoi elle allait s’aventurer ? L’un et l’autre seraient bien inspirés de réclamer un audit de la chambre régionale des comptes, histoire de partir du bon pied sans qu’on vienne un jour leur reprocher ce qu’ont fait leurs prédécesseurs.

Ce n’est encore pas tout, bien sûr : depuis des années, Nantes Métropole passe aussi des contrats du même genre au nom de l’article R2122-3 du CCP. Cela concerne entre autres plusieurs millions d’euros de dépenses liées à l’Arbre aux Hérons.

Le rapport de la Chambre a été publié en avril 2022, mais un rapport provisoire a été communiqué à MM. Laurent Turquois et Joël Guerriau, maire et ancien maire de Saint-Sébastien-sur-Loire le 23 décembre 2021. Des extraits ont aussi été adressés à « divers tiers concernés par certaines observations ». Parmi ces tiers figure sûrement le président de la SPL Le Voyage à Nantes, visé p. 46 du rapport comme signataire du contrat  du 7 juillet 2020 avec Saint-Sébastien-sur-Loire. Or ce président, Fabrice Roussel, est aussi premier vice-président de Nantes Métropole, chargé du tourisme et des équipements culturels à vocation métropolitaine.

Une certaine inquiétude règne sans doute déjà. En 2020, Nantes Métropole a passé un marché avec un cabinet d’avocats parisien pour se faire conseiller sur l’Arbre aux Hérons et les contentieux qui pourraient en résulter. Elle a budgété jusqu’à 80.000 euros pour quatre ans. C’est beaucoup mais, deux ans plus tard, le budget est déjà consommé ! On ne dit pas ce sur quoi les avocats ont planché. Quoi qu’il en soit, un nouveau contrat est signé dès le 3 mars 2022, dans des conditions qui ont fait tiquer l’association Anticor et le préfet de Loire-Atlantique.

Début septembre 2022, trois mois après la publication du rapport de la chambre régionale des comptes sur Saint-Sébastien, Fabrice Roussel fait une annonce inattendue aux côtés de Johanna Rolland : l’Arbre aux Hérons est abandonné ! Tout cela peut aujourd’hui lui paraître lointain : il a été élu voici deux mois député (P.S.) de Loire-Atlantique. Ce qui ne veut pas dire que la page soit forcément tournée : en cas de favoritisme, le délai de prescription est de six ans.

Sven Jelure

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