Nantes Métropole a récemment publié son projet de transformation du pont Anne de Bretagne. Ce sera un monstre de 61 m de large à l’un de ses bouts. Pas moyen de faire autrement si l’on veut que le tram passe… et pas moyen de se passer de tram si l’on veut faire le CHU.
Il a bon dos le débat. En 2015, Johanna Rolland avait invité les Métropolitains à s’exprimer sur le thème « Nantes, la Loire et nous ». L’un des quatre volets du Grand débat portait sur la mobilité et les franchissements. Sans surprise, les automobilistes, surtout ceux qui résidaient au sud de la Loire, s’étaient plaints d’avoir du mal à franchir celle-ci. Oubliant que le problème ne tenait pas au fleuve lui-même mais à leur désir de le traverser ! A fortiori quand un choix résidentiel les amenait à vouloir traverser tous en même temps aux heures de pointe.
Dès l’énoncé du Grand débat, Nantes Métropole n’envisageait pas d’autre futur qu’une augmentation permanente des besoins de franchissement, et surtout « du fait des grands projets urbains à venir », entre le pont Anne de Bretagne et le pont de Cheviré. Inviter les citoyens à s’exprimer en tenant compte de projets encore « à venir » était étrange. Mais cela revenait à flécher les propositions : si vous ne voulez pas que ça s’aggrave, réclamez des ponts.
Cela n’avait pas empêché des avis divergents, pourtant. Manifestement gênée aux entournures, la commission du débat avait bien été obligée de le signaler : « le projet du CHU sur l’Ile de Nantes questionne certains contributeurs sur l’accessibilité d’un tel équipement dont l’implantation insulaire continue d’inquiéter ». Si le franchissement de la Loire était déjà un problème et si la construction du CHU sur l’île de Nantes devait l’aggraver, la solution logique eût été de construire le CHU ailleurs. La commission était néanmoins parvenue à la conclusion souhaitée par Nantes Métropole : « devant la croissance annoncée du nombre de franchissements à court et moyen terme et l’ouverture programmée du CHU à l’horizon 2025, l’élargissement voire le doublement du pont Anne de Bretagne est à privilégier ».
Vastitude obligatoire
Sept ans plus tard, Nantes Métropole a fini par présenter un projet de transformation du pont Anne de Bretagne. La commission préconisait « l’élargissement voire le doublement » du pont ? « Le pont de 145 m de long verra sa largeur tripler jusqu’à 53 m en moyenne », annonce Johanna Rolland. Qui ajoute : « c’est l’exact équivalent du cours Saint-André ». Pas si exact, l’équivalent : si le cours mesure à peu près 53 m de large, sa longueur n’est pas de 145 m mais de plus de 200 m. Surtout, sa largeur est régulière alors que celle du pont varierait de 61 m côté nord à 48 m côté sud. Pour mémoire, elle est aujourd’hui de 18 m.
Veut-on de plus justes comparaisons ? Le pont de Cheviré n’est large que de 36 m. Le célèbre O’Connell bridge de Dublin, plus large que long, ne dépasse pas 50 m. Le pont le plus large du monde, Bay Bridge Eastern, à San Francisco, mesure 78,74 m et comprend dix voies d’autoroute. Le second du palmarès, à Boston, ne dépasse pas 55,7 m. Nantes a-t-elle le pont plus gros que le ventre ?
L’appel d’offres prévoyait un pont de 40 à 50 mètres de large. Mais les 61 m du côté nord ne sont pas une fantaisie d’architecte. À cause du tram, pas moyen de faire à moins. Le rayon minimal d’une ligne de tramway est de 25 m, or il s’agit d’avaler non pas une seule courbe à 90° mais deux ! On notera au passage que plus la courbe est serrée, plus les rails s’usent et doivent être remplacés souvent. Ce qui annonce pas mal de nuisances sur le quai de la Fosse pour les Nantais de demain. Sans parler des cyclistes qui, dans le sens Salorges vers Commerce, devront franchir pas moins de huit rails en biais au niveau du pont. Casse-gueule. Heureusement, le CHU ne sera pas très loin.
Un pont triplé pour une circulation divisée par deux
Pour le citoyen lambda, à l’époque du Grand débat, « doublement du pont Anne de Bretagne » signifiait implicitement doublement de son débit automobile. Cela aurait tenu du miracle, bien sûr, à moins de doubler aussi le quai de la Fosse. Or à l’époque, le pont comportait deux voies de circulation automobile dans chaque sens. Depuis, il est passé à deux voies dans un sens et une dans l’autre, puis, avec les « coronapistes » cyclables depuis 2020 (le covid-19 a le dos large), à une voie dans chaque sens.
Il n’est pas question de rétablir le statu quo ante : le futur pont a beau être énorme, il comprend une seule voie de circulation automobile dans chaque sens. Pour les conducteurs, en fait de doublement du pont, il y a division par deux ! Et le casse-tête du raccordement avec le quai de la Fosse et ses quatre voies de tram en courbe devrait imposer, en plus, un ralentissement du débit.
Du moins, une fois la construction achevée. En attendant, il faudra probablement passer par zéro débit. Le fait que le pont soit élargi ne signifie pas que la circulation sera maintenue sur la partie existante pendant les travaux. Car le projet prévoit de l’abaisser : toute la chaussée actuelle devra disparaître. Le chantier sera « volontairement sobre et responsable », mais ce sera quand même un chantier. Cela fait partie du prix à payer pour avoir un CHU sur l’île de Nantes. Les travaux devraient commencer au deuxième semestre 2024 pour s’achever en 2027.
Sven Jelure
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