Ce 27 avril était le 175ᵉ anniversaire du décret d’abolition de l’esclavage signé par Victor Schœlcher, ministre des colonies. Contrairement au président de la République, Johanna Rolland est passée complètement à côté.
Pourquoi Emmanuel Macron n’est-il pas venu à Nantes ? Il a effectué jeudi dernier, indique le site Elysee.fr, un « déplacement au Château de Joux à l’occasion du 175ᵉ anniversaire de l’abolition de l’esclavage en France ». Or il n’y a strictement aucun rapport entre le décret du 27 avril 1848 et la forteresse de Joux !
L’illustre Toussaint Louverture y est mort, mais c’était quarante-cinq ans plus tôt, en 1803 ; l’année précédente, l’esclavage avait été non pas aboli mais rétabli à Saint-Domingue. Et puis, célébrer d’un même mouvement Toussaint Louverture et l’abolition de l’esclavage est un rapprochement hâtif quand on se souvient que le leader de la révolution haïtienne a substitué à l’esclavage le… travail obligatoire.
Tandis que Nantes… Nantes a un Mémorial de l’abolition de l’esclavage. S’il y avait un lieu pour célébrer le 175ᵉ anniversaire de l’abolition de l’esclavage en France, c’était bien là. Il donne même comme adresse postale « passerelle Victor-Schœlcher », du nom du signataire du décret de 1848 – un nom porté aussi par des rues et boulevard à Nantes, Saint-Herblain et Rezé.
La sainteté de l’abolition
Alors bien sûr, même si c’est moins qu’à Joux, le lien est un peu tiré par les cheveux. Victor Schœlcher est complètement étranger à Nantes. D’origine alsacienne, il a fait toute sa carrière de journaliste puis d’homme politique à Paris et aux Antilles. Rien ne dit même qu’il ait jamais mis les pieds dans la capitale des ducs de Bretagne ! À Nantes, d’ailleurs, bien que ce soit écrit dessus, certains ont du mal à intégrer que le Mémorial commémore l’abolition de l’esclavage, un événement positif, et non l’esclavage lui-même, une pratique honnie ; pour eux, parce que certains Nantais, à une certaine époque ont pratiqué un commerce indigne entre faiseurs d’esclaves et utilisateurs d’esclaves, la ville entière serait comme affectée d’un péché originel inexpiable.
Par ailleurs, en 1848, même s’il concernait encore 180 000 personnes, l’esclavage était en voie d’extinction. Interdit en France depuis un édit royal du 3 juillet 1315, il avait été autorisé dans les colonies de 1642 à 1794, puis rétabli dans certaines colonies en 1802, dans des conditions peu à peu adoucies par un chapelet de réglementations. En 1845, la loi Mackau était explicitement destinée à préparer son interdiction prochaine. (Étrangement, le site web du Mémorial ne mentionne même pas l’existence de cette loi.) Le décret du 27 avril 1848 n’était que le point final d’un processus. Victor Schœlcher en était parfaitement conscient. Lui-même se considérait comme un militant et pas comme un héros. « Tout le monde est d’accord sur la sainteté du principe de l’abolition », écrivait-il en 1847 dans son Histoire de l’esclavage pendant les deux dernières années.
Mémorial vandalisé
La venue d’Emmanuel Macron aurait été d’autant plus opportune que Nantes Métropole vient de lancer sur le réseau de panneaux JCDecaux une campagne publicitaire en faveur du Mémorial (sur le thème « Nantes face à son histoire » : la com’ municipale n’a sans doute pas bien assimilée la distinction entre abolition et esclavage signalée plus haut). Et elle aurait réparé l’outrage récemment subi par le monument. Car ce lieu qui aurait dû être intangible (pour lui, Jean-Marc Ayrault avait fait exception à son refus des caméras de surveillance) a été largement vandalisé au cours des manifestations contre la réforme des retraites.
Il y avait donc, cahin-caha, un petit alignement des planètes. Pas de quoi exercer une force d’attraction irrésistible, la preuve, mais c’était quand même mieux que rien en cette période de vaches communicantes maigres pour la maire de Nantes. Hélas, avec ou sans président de la République, Johanna Rolland est totalement passée à côté de ce 175ᵉ anniversaire.
Sven Jelure
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