À en croire Johanna Rolland et Fabrice Roussel, l’Arbre aux Hérons est abandonné à cause d’un surcoût. Aux 52,4 millions d’euros H.T. annoncés le 9 juillet 2021 s’ajouteraient 13 millions à cause de l’obligation de passer des marchés publics et 15 millions à cause de l’envolée du prix de l’acier. Total, donc, 80,4 millions d’euros.
Or, publié pourtant sur le site de Nantes Métropole, le calcul de l’augmentation du coût est carrément bidon. Cela saute pourtant aux yeux dès qu’on se penche dessus.
Passer des marchés publics au lieu d’une seule commande provoquerait « un renchérissement important du projet, de l’ordre de plus de 13 millions d’euros », assure la maire de Nantes. Comment le sait-elle ? La réponse est simple : elle n’en sait rien. Des essaims d’économistes ont étudié les coûts de transaction sans parvenir à une conclusion définitive. La maire de Nantes prétend néanmoins évaluer un surcoût avec un degré de précision inférieur au million d’euros (« de l’ordre de plus de »).
Un surcoût de 13 millions d’euros sur un budget de 52,4 millions, c’est plus 24 %. Énorme ! Mais les marchés publics ne porteraient pas sur 52,4 millions d’euros ! Dans le budget présenté par Johanna Rolland le 9 juillet 2021, « la part la plus importante (est) la conception et la réalisation de l’Arbre pour 39,611 M€ ». Le surcoût dû aux marchés publics serait donc de presque 33 % : encore plus énorme !
On admire la précision à 1 000 euros près de l’évaluation de juillet 2021. Mais elle n’est pas si étonnante. En 2018, Nantes Métropole a confié au groupement La Machine-Pierre Orefice-François Delarozière une « étude de définition du projet d’arbre aux Hérons permettant de confirmer sa faisabilité dans le respect des contraintes du site retenu, du coût d’opération défini et des contraintes réglementaires ». Pas le genre de travail qu’on fait sur un coin de nappe en papier : le budget était de 2 575 000 euros HT. C’est cette étude qui a permis ensuite de fixer le coût de 52,4 millions. Pour y parvenir, MM. Orefice et Delarozière ont nécessairement demandé des devis aux entreprises pressenties. Leur dossier de presse de juillet 2021 annonçait d’ailleurs que 90 % des entreprises retenues étaient régionales. Autrement dit, ils savaient déjà qui pourrait faire le travail et ils avaient été capables de spécifier le travail à effectuer.
Le meilleur moyen pour savoir : essayer
Ainsi, tous les éléments nécessaires pour établir les avis de marché, y compris même des prix de référence, sont déjà disponibles. Il ne reste qu’à les gérer. Nantes Métropole lance des marchés publics tous les jours ou presque. Elle sait ce que cela coûte et elle a du personnel ad hoc. Supposer que la procédure coûterait 13 millions d’euros, c’est estimer que son service des marchés publics serait considérablement moins efficient que le groupement La Machine-Orefice-Delarozière. Voilà qui est fort désobligeant pour les fonctionnaires de Nantes Métropole. À moins bien sûr – hypothèse d’école ‑ de supposer que les marchés publics seraient truqués et artificiellement gonflés. Mais l’hypothèse la plus plausible reste quand même que Johanna Rolland a tout simplement inventé ces 13 millions pour les besoins de la cause.
Il y aurait pourtant un moyen simple pour vérifier : lancer effectivement des appels d’offres assortis de prix plafonds. On verrait bien si les entreprises en situation de concurrence sont incapables de faire des économies sur les prix convenus entre elles et les créateurs de l’Arbre.
On pourrait même lancer un seul appel d’offres : Nantes avait pu freiner le dérapage des coûts du musée d’arts en s’adressant à un unique opérateur. Ainsi fait-on régulièrement pour construire des bâtiments publics. Ici, il ne serait sûrement pas trop difficile de confier la conception à MM. Orefice et Delarozière, tenant le rôle de l’architecte, puis de publier un avis de marché portant sur l’ensemble de la construction, avec un montant maximum conforme au budget de juillet 2021.
Et là, je prends les paris : la première offre reçue sera signée du groupement La Machine-Pierre Orefice-François Delarozière. Je parie même sur le prix final résultant de sa proposition : 52,4 millions d’euros hors taxes.
L’acier en chute
Mais non, s’insurgeront les rollandophiles, vous oubliez l’autre volet du calcul du surcoût : « la hausse des coûts de la construction ». Elle existe. Pour tout le monde. Le prix du nouveau CHU va sûrement augmenter : va-t-on cesser de le construire pour autant ? Les salaires des fonctionnaires vont augmenter : va-t-on les licencier ?
L’inflation affecterait bien sûr les dépenses à venir, pas celles qui ont déjà été faites. Sur les 52,4 millions prévus, 8,6 millions ont déjà été dépensés. Avec ses 15 millions, Johanna Rolland prévoit donc une hausse de 34,2 % sur les 43,8 millions restants. On confine à l’hyperinflation, là. C’est que, fait valoir la maire de Nantes, l’Arbre aux Hérons serait spécialement impacté à cause « en particulier du prix de l’acier qui a bondi de près de 56 % ». Mais 56 % entre quand et quand ? Implicitement, on suppose que c’est entre le 9 juillet 2021, annonce d’un Arbre aux Hérons à 52,4 millions d’euros, et le 15 septembre 2022, annonce de son abandon.
Les cours mondiaux de l’acier sont volatils. Globalement, le prix de l’acier a progressé de juillet 2021 au mois de mai dernier, puis a fortement chuté. Résultat, entre la fin août 2021 et la fin août 2022, il a perdu 26 %. Aujourd’hui, l’acier vaut moins cher que lorsque le prix de 52,4 millions a été annoncé ! À ce jour, ce n’est pas un surcoût de 15 millions d’euros que la maire de Nantes devrait prévoir, mais peut-être bien une baisse de quelques millions. Finalement, MM. Orefice et Delarozière pourraient même s’offrir le luxe de présenter une offre à 52 399 999 euros !
Sven Jelure
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