Le bilan décennal pas franc du collier de Johanna Rolland

Ce jeudi, il y aura dix ans que Johanna Rolland est maire de Nantes. Jeudi, vous êtes sûr ? Elle a pourtant fêté cet anniversaire au début de la semaine dernière, avec interview à Ouest-France, tweet perso sur X, nombreuses reprises dans la presse de son bilan décennal

L’attachée territoriale qu’a été la maire de Nantes connaît sûrement par cœur le code général des collectivités territoriales : elle sait qu’on n’est pas maire avant d’avoir été élu par le conseil municipal. Or elle a été élue maire de Nantes le 4 avril 2014 et présidente de Nantes Métropole le 14. (Le second tour de l’élection municipale avait eu lieu le 30 mars, avec une participation franchement médiocre de 53,8 % contre 62,1 % au niveau national.)

Fêter un anniversaire avec une dizaine de jours d’avance, ça porte malheur, non ? Mais dans son cas, il est probable que fêter à bonne date lui aurait encore plus porté malheur. Elle pouvait se douter que des « bilans » de ses dix ans étaient en préparation. Ainsi, Médiacités allait passer en revue les 425 promesses de sa campagne électorale, et ses autofélicitations allaient marcher beaucoup moins bien, forcément.

En devançant l’appel, elle tente d’imposer ses propres vues sur sa décennie : toutes les critiques ont l’air d’arriver en retard alors que c’est elle qui est arrivée en avance et a saturé l’espace. Habile sur le plan de la com’, mais modérément honnête. Voilà une caractéristique de plus à inscrire à son passif : Johanna Rolland n’est pas hostile aux « vérités alternatives ».

Elle en parsème d’ailleurs le bilan établi par elle-même. Dans ce genre d’exercice, il faut toujours concéder un peu de négatif pour avoir l’air honnête. Ici, le réaménagement de la place du Commerce était une victime toute désignée : difficile de nier qu’il est raté, tout le monde peut le voir. C’est pas vraiment de ma faute, plaide pourtant Johanna Rolland entre les lignes. Elle a fait confiance à une paysagiste, qui s’est plantée dans les plantations. Le réaménagement a commencé par l’abattage de 70 grands arbres. Aurait-il donc été opéré à l’insu de la maire de Nantes ? Quant aux plantations, quand Nantes Métropole en annonçait 30 000, ce nombre comprenait 1 500 plants d’iris et… 29 621 graines de plantes vivaces ! Un platane presque centenaire en échange de 423 brins d’herbe, en somme. Trop occupée à établir le chèque de 30,3 millions d’euros pour payer les travaux, Johanna Rolland n’avait pas fait ce calcul.

Peut-on rattraper le coup ? Johanna Rolland va envisager des propositions d’amélioration. Pas rancunière, elle les a demandées à … la même paysagiste. Perseverare diabolicum : il y a dix ans que ça dure, ça peut bien en durer encore deux.

Sven Jelure

Futur pôle d’écologie urbaine de Nantes : le dialogue citoyen à la poubelle

Faut-il faire confiance au dialogue citoyen ?

Nantes Métropole se gargarise de dialogue citoyen. La concertation sur les lignes de tramway, fin 2020, avait recueilli 1 748 observations, avis ou commentaires. Celle sur la fabrique de la ville, l’an dernier, 646. Celle sur le pôle d’écologie urbaine, à la fin de l’année…  31 contributions individuelles, soit une pour 21 867 habitants métropolitains et 56 fois moins que n’en avait suscitées les tramways trois ans plus tôt. Les Nantais ne croient plus au dialogue citoyen ? On peut les comprendre.

L’une des six grandes promesses de Johanna Rolland pour l’année 2023 concernait « un grand débat sur la fabrique de la ville ». L’année a été « riche en dialogue citoyen » assure Nantes Métropole. Puisqu’on est riche, pourquoi se priver ? Pour alimenter le narratif du débat, on a appelé à la rescousse différents conseils extérieurs.

Le résultat le plus clair de l’exercice, c’est que la notion de « dialogue citoyen » façon Rolland s’est trouvée plus dévaluée à la fin de l’année qu’elle ne l’était au début. Entre jargon sociologisant, étroit encadrement des thèmes autorisés (« les sujets de controverses proposés au débat seront choisis par le commanditaire ») et jeux déjà faits, les Nantais ont fini par conclure : le dialogue, c’est « cause toujours » !

Inutile de s’étonner, donc, s’ils ont boudé la concertation sur le pôle d’écologie urbaine de la prairie de Mauves. (On note l’évolution gratifiante du vocabulaire : les « décharges municipales » sont devenues « centres de traitement des déchets » puis « pôles d’écologie urbaine ».) Un projet à 366 millions d’euros lourd de conséquences pour l’agglomération et sa population, et même pour une bonne partie du département.

La com’ métropolitaine ne mobilise plus

Conformément à la loi, l’opération était placée sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP). Celle-ci est en général bienveillante. Ses critiques envers Nantes Métropole n’en sont que plus saillantes. Or Nantes Métropole était tenue de publier son verdict « sous forme de PDF non modifiable » (on n’est jamais trop prudent). Ainsi commence-t-il :

La concertation s’est déroulée du 25 septembre au 20 décembre 2023. D’importants moyens de communication ont été mis en place par divers canaux en septembre et pendant la concertation pour faire connaître le projet. Les garants font le constat, partagé avec Nantes Métropole, qu’en dépit des efforts déployés, cette concertation a peu mobilisé le public en particulier lors de la majorité des diverses réunion et ateliers. Les contributions sur le site de la concertation, quoique riches, restent très peu nombreuses au regard de l’importance du projet.

Les Nantais ne se désintéressent certainement pas de leur cadre de vie et le battage médiatique orchestré par Nantes Métropole, jamais avare de com’, était abondant. « Le résultat est pourtant incontestablement un échec en termes de mobilisation du public », constate la CNDP. La réunion de clôture du dialogue, le 20 décembre, a culminé à 28 participants. La raison paraît claire : les citoyens en ont assez des concertations de façade. Ils se sont abstenus de participer à un débat visiblement fictif. La CNDP le constate sans détour :

L’exercice de concertation préalable apparaît au garant [la CNDP] comme moyennement satisfaisant. En effet, le projet d’extension du Centre de Traitement et de Valorisation des Déchets (CTVD) est déjà si avancé dans sa définition qu’il n’a pas été présenté de marge de manœuvre par le maître d’ouvrage rendant la concertation assez peu attrayante pour les participants qui ont mentionné un projet « bouclé » et qui ont interrogé à plusieurs reprises sur l’objectif de la concertation.

Le CTVD n’était pas tout. Les autres volets du projet, eux, n’étaient pas « bouclés » mais au contraire trop peu avancés pour qu’on en discute ! Le résultat est le même : les citoyens s’en désintéressent :

A contrario les 3 autres projets structurants présentés à la concertation (STEP, Déchetterie, plateforme de valorisation des biodéchets) sont trop peu définis pour donner lieu à une information et une concertation complète sur l’ensemble de leur contour.

En réalité, les seuls à réagir à peu près ont été les Nantais habitant à proximité de la prairie de Mauves. Ils ont quelques raisons d’être inquiets puisque ce projet vise à créer sur ce site un immense centre de traitement de nouveaux déchets, perché sur le million de tonnes de déchets anciens déposés là au 20e siècle. Il centralisera les poubelles d’un territoire immense, allant de Redon à Fontenay-le-Comte ‑ qui devraient être plutôt satisfaites d’en être débarrassées ! Autrement dit, note la CNDP, un projet « qui va mettre sur la route des quantités considérables de déchets et qui conduit à une usine d’incinération de très grande capacité ».

Rien à dire, même en roumain

Ulcérée par les critiques de la CNDP, Nantes Métropole a tenu à publier sur son site web, voici quelques jours, une réponse à ses « remarques et retours » ‑ réponse qui consiste pour l’essentiel à redire sans jolies illustrations ce qui avait été dit dès le départ, mais qui n’avance aucune explication au flop de la consultation.

À coup sûr, on reparlera du sujet. Ne serait-ce que parce que la réalisation du projet comporte un enjeu humain considérable. La prairie de Mauves n’est pas seulement un gros tas de déchets. Des centaines de Roms, un millier peut-être, y ont bâti un immense campement. La « concertation » à la nantaise ne leur a pas demandé leur avis ! Ce que la CNDP relève avec un soupçon d’ironie :

Une des rares remarques concernant le projet a été celle d’un habitant du bidonville qui, parcourant le flyer rédigé en roumain pour l’occasion, a affirmé “ C’est de l’écologie alors ce n’est pas la peine de discuter il faut partir ! ”

En voilà un qui a tout compris au dialogue citoyen !

Nantes Métropole, qui a l’esprit de l’escalier, annonce organiser une réunion publique le 5 juin pour redire le mal qu’elle pense des commentaires de la CNDP (sa « réponse argumentée »). Assurément, elle se débrouillera pour réunir plus de 28 participants. Nous sommes heureux de l’y aider avec cet article.

Sven Jelure

L’Arbre aux Hérons, un projet zombie qui poursuit les Nantais

Stéphane Pajot semble arriver comme les carabiniers quand il évoque dans Presse Océan, le 1er mars, le prochain diagnostic du Grand Héron : le sujet a déjà été traité par Ouest-France le 20 février, par Le Figaro le 22 février et par Nantes Plus le 23 février. Pourtant, il apporte des éléments intéressants.

D’abord, la réaction de François Delarozière, dont il a plus d’une fois été une sorte de porte-parole. Nantes Métropole a publié un avis de marché concernant un diagnostic des réparations à effectuer sur le « Grand Héron » ; l’association La Machine va-t-elle y répondre ? Non, car elle l’a déjà fait il y a un an. François Delarozière ajoute : « À l’époque [début 2023, donc], nous avions alerté Nantes Métropole et tiré la sonnette d’alarme en disant qu’il fallait absolument faire quelque chose car les bois se dégradaient […] Les bois doivent être vernis régulièrement car le soleil qui tape les abîme. »

Les bois en question ont été posés début 2022. Au bout d’une seule année, donc, et d’une seule journée d’utilisation effective, le 22 octobre 2022, leur état justifiait déjà qu’on tire la sonnette d’alarme ! Le Grand Éléphant de Nantes, le Dragon de Calais et le Minotaure de Toulouse, tous recouverts de bois, ne sont-ils pas plus robustes ? En fait non. Ils ont droit à un entretien tous les ans et à de grandes rénovations périodiques, tous les quatre à six ans environ. Le Minotaure de Toulouse, par exemple, sort de cinq semaines de maintenance alors qu’il avait été refait en 2020.

Or ces trois machines sont à l’abri sous un toit en dehors de leurs heures de travail. Elles sont exposées aux intempéries moins de 20 % du temps. Le Héron, lui, c’est 100 % ! Il n’est pas illogique qu’il réclame cinq fois plus de rénovations – c’est-à-dire à peu près une tous les ans. On comprend pourquoi le HellFest de Clisson aimerait tant se faire offrir par les collectivités locales un abri pour sa Gardienne des ténèbres, elle aussi œuvre en bois de François Delarozière.

D’après le témoignage de son co-créateur lui-même, donc, l’entretien du Héron sera probablement très coûteux. On n’ose penser à la facture s’il avait fallu l’effectuer à 35 mètres de hauteur, selon la promesse de l’Arbre aux Hérons. D’autant plus que l’Arbre était destiné à recevoir en plus un tas d’autres machines, sans doute pas plus robustes. Nantes Métropole s’était gardée de présenter ces perspectives aux Nantais.

Les promesses n’engagent que les mécènes qui les écoutent

Le deuxième témoin convoqué par Stéphane Pajot est Fabrice Roussel, vice-président de Nantes Métropole. Aux côtés de Johanna Rolland, il avait annoncé en septembre 2021 l’abandon de l’Arbre aux Hérons. Il n’était pas question à l’époque d’en conserver un morceau. Aujourd’hui, pourtant, cette solution croupion est devenue une ardente obligation : « Ce que nous voulons et nous nous y sommes engagés par rapport aux mécènes, c’est le mettre en exploitation comme le Grand Éléphant à partir de 2025 ».

Elle est bien bonne ! Ce à quoi « nous » s’est engagé, c’est à construire l’Arbre aux Hérons ! Engagement moral, faut-il le préciser, car Nantes Métropole n’a légalement aucune obligation envers les mécènes ‑ Intermarché, Crédit Mutuel, Brémond, ETPO, Harmonie mutuelle, Bati-Nantes, Charier, Groupe DV, Idéa Industries, La Fraiseraie, Pépinières du Val d’Erdre, etc. Ceux-ci n’ont contracté qu’avec le Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons, destiné à « financer les actions concourant à la création d’une œuvre d’art dénommée « Arbre aux Hérons » sur le site de la carrière Chantenay à Nantes ». Ils ne peuvent que ravaler leur rancœur avec le sentiment de s’être fait avoir.

Pire : faire tenir par Nantes Métropole un engagement du Fonds, qui existe toujours, pourrait éventuellement être considéré comme une subvention déguisée alors que les collectivités locales n’ont pas le droit de financer les fonds de dotation.

On pourrait imaginer les mécènes poursuivant le Fonds et ses dirigeants au titre des promesses mensongères qu’ils leur ont faites ; il serait cocasse de voir Karine Daniel, ex déléguée du Fonds, aujourd’hui sénatrice socialiste de Loire-Atlantique, sur le banc des accusés. Cependant, l’objet du Fonds a été élargi fin 2019 : il est devenu Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons et du Jardin extraordinaire. Ce jardin, du moins, il existe : les mécènes qui ont signé après cette extension n’ont plus lieu de se plaindre*.

Mais ils pourraient se montrer pointilleux. M. Roussel ne sait pas où installer le Héron. « Nous avons pensé à plusieurs endroits pour l’installer mais rien n’a encore été acté », dit-il. C’est faire bon marché de l’engagement pris lorsque l’objet a été étendu : « Cet élargissement marque le fait que le projet d’Arbre aux Hérons est aujourd’hui indissociable de son jardin. » S’il est indissociable, ne le dissociez pas ! Et puis, vous devez bien ça à Yann Trichard, président de la CCI, presque sauveur de l’Arbre aux Hérons, dont Médiacités révèle qu’il a cru au projet au point de racheter un restaurant face à la carrière de Miséry. L’établissement est en redressement judiciaire depuis quelques mois ; peut-être l’arrivée tardive du Héron pourrait-elle encore le sauver ?

Sven Jelure

* Les 5 511 donateurs de la campagne Kickstarter, eux, peuvent s’adresser au créateur du projet. « Lorsqu’un projet est financé, le créateur doit terminer le projet et tenir ses promesses », précise le règlement de Kickstarter, pour qui le créateur n’est ni François Delarozière, ni Pierre Orefice, ni Johanna Rolland, ni Karine Daniel mais Bruno Hug de Larauze, à l’époque président du Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons. Comme il a quitté la présidence sans même un message pour les donateurs, il ne se montrera peut-être pas très coopératif. Il est pourtant probable que c’est lui qui court le plus de risques dans cette affaire s’il tombe sur un mauvais coucheur.

Le Voyage en hiver sera encore un grand succès l’an prochain

Un monde de dingue !

Le Voyage en hiver a duré six semaines, du 25 novembre 2023 au 7 janvier 2024. Il en a fallu cinq de plus pour en tirer un bilan présentable ! Le 14 février, enfin, Jean Blaise vient présenter le Grand Succès de sa manifestation. Avec ce large délai, compte-t-il que les Nantais montreront une mémoire de poisson rouge ? Le glorieux bilan imaginaire fait quand même tousser.

« Au Voyage en hiver tout le monde était content », écrit Philippe Corbou dans la version papier de Presse Océan le 15 février. « Jean Blaise, le boss du Van, Fabrice Roussel (PS) au nom de la métropole, Gildas Salaün (PS) élu au commerce de la Ville », etc. Mais la version en ligne de son article commence ainsi : « le Voyage en hiver s’est terminé sur un satisfecit général. Mercredi midi, c’était un peu le pays des bisounours au Voyage à Nantes. Tout le monde était content : Jean Blaise, le boss du Van », etc.

Tous les bisounours sont censés emboucher la même trompette : le Voyage en hiver 2023 est une superbe réussite. Jean Blaise a eu soin de s’entourer d’institutionnels et d’obligés qui ne risquent pas de le contredire. Le président de Plein Centre vient dire que les commerçants du centre-ville sont ravis de leur saison. « À Nantes, le Noël pas très joyeux des commerçants », titrait pourtant Presse Océan début janvier. Mais Plein Centre voit forcément les choses d’un œil plus enjoué : cette année encore, ses subventions augmentent (104 000 euros de subvention municipale et 35 750 euros de subvention métropolitaine).

Pas mieux que l’an dernier, mais plus cher

Hélas, même au pays des bisounours, certains s’expliquent mal, ou peut-être sont-ils mal compris. « Les indicateurs nous disent que la fréquentation a été bonne, puisqu’elle est stable avec celle de l’année dernière », déclare Gildas Salaün, quinzième adjoint à la maire de Nantes.

La gaffe ! La grosse gaffe ! Car la première édition du Voyage en hiver, fin 2022, a été un flop. « La cohérence d’ensemble de nos installations artistiques n’apparaissait pas vraiment de façon évidente », ergotait Jean Blaise, cité par Ouest-France, avant d’annoncer mieux pour 2023 : « Cette année, l’éclairage des façades et les compositions sonores créées par les cloches transformeront puissamment l’ambiance de la ville. » Cette transformation puissante n’est pas gratuite : d’une année sur l’autre, Nantes Métropole a rajouté 340 000 euros (+ 45 %) au budget initial. Si la fréquentation est « stable avec celle de l’année dernière », l’échec est cuisant.

D’autant plus que ce deuxième Voyage en Hiver a duré cinq jour de plus que le premier (+ 13 %) ! Comptait-on vraiment sur les décors d’Olinet, les cloches de Blais et la mère Noël de Virginie Barré ? On a surtout allongé d’une semaine le Marché de Noël : voilà au moins de quoi brasser des passants à coup sûr.

Cinq ans fermes

Le clan Blaise revendique 3,7 millions de visiteurs, comme ça, en vrac. Le chiffrage, fourni par Flux Vision, un service d’Orange, est établi d’après les signaux de smartphones. En soi, il ne veut rien dire. On a pu totaliser, par exemple, toutes les fois où un smartphone est passé à proximité d’une des installations du Voyage en Hiver. À la louche, je compterais alors pour un bon millier de « visiteurs » à moi tout seul. Flux Vision permet des analyses de fréquentation beaucoup plus subtiles, en particulier sur l’origine des visiteurs ‑ locaux, nationaux, étrangers… ‑ comme celle effectuée pour Loire-Atlantique Développement en 2022. Mais Le Voyage en hiver, c’est 3,7 millions, et débrouillez-vous avec ça…

Le vrai étonnement dans l’affaire est quand même que Jean Blaise persiste et signe : puisque ça marche très bien comme ça, quoi qu’en disent les polémiques forcément de mauvaise foi, on va continuer l’an prochain ! Peut-être tente-t-il de cacher la poussière sous le tapis. Peut-être s’essaie-t-il à la méthode Coué. Peut-être habite-t-il vraiment un monde parallèle. Le plus probable, cependant, c’est qu’il n’a pas le choix. Les guirlandes de Noël resteront exclues des rues de Nantes, moins par opiniâtreté que pour une raison toute bête : Le Voyage à Nantes s’est lié les mains en signant des contrats pour cinq ans. À cause de cette erreur stratégique du grand chef, les Nantais n’échapperont pas au Voyage en hiver.

Sven Jelure

Pour Nantes Métropole, le Héron sans arbre n’est plus une œuvre d’art

Et à la fin, qui est-ce qui paye ?

Nantes Métropole s’apprête à dépenser jusqu’à 220 000 euros H.T. pour une étude intitulée « Diaghéron », alias « la réalisation d’un diagnostic complet de l’état général du « Grand Héron » ». C’est à la fois une BONNE nouvelle et un terrible aveu.

Une bonne nouvelle parce que pour la première fois, Nantes Métropole passe une commande concernant l’Arbre aux Hérons sous forme d’un marché public ordinaire. Pendant des années, elle a considéré qu’elle pouvait s’en dispenser en invoquant l’article R2122-3 du code de la commande publique (ou son prédécesseur l’article 30 du décret 2016-360 du 25 mars 2016), car l’Arbre était pour elle une œuvre d’art jusqu’au dernier de ses boulons.

Elle utilisait systématiquement cette possibilité pour passer des marchés de gré à gré, toujours attribués aux mêmes : M. Orefice, M. Delarozière et la Compagnie La Machine. Pour la loi, il s’agit d’une possibilité, pas d’une obligation. Mais Nantes Métropole faisait comme si…

Son avis de marché (pour un Diaghéron) signale donc un changement de doctrine : pour elle, le Héron ne serait plus une œuvre d’art. Vu son état, certes, on est tenté d’y voir une épave, un héron-ventouse abandonné sur l’esplanade des Machines. Pourtant, il s’agit bien de cette œuvre pour laquelle Nantes Métropole, une cinquantaine de mécènes et 5 511 donateurs de Kickstarter ont versé quelque chose comme une dizaine de millions d’euros.

Économies immédiates

On connaîtra peut-être un jour les raisons de ce revirement. Mais on en voit tout de suite le résultat financier : 220 000 euros c’est une somme presque ridicule par rapport aux millions d’euros dépensés au nom de l’art. Fin 2017, Nantes Métropole a commandé aux prestataires cités plus haut, la « Réalisation d’une étude de définition du projet d’arbre aux Hérons permettant de confirmer sa faisabilité ». Prix hors TVA : 2 575 000 euros, dont 140 000 euros de droits d’auteur à partager entre M. Orefice et M. Delarozière. (On note au passage que Nantes Métropole s’est fait rouler dans la farine puisque l’étude a conclu à la faisabilité du projet…)

Mais en même temps, cet avis de marché à 220 000 euros est le terrible aveu que le recours à l’article R2122-3 du code de la commande publique n’était absolument pas nécessaire précédemment. Nantes Métropole aurait probablement économisé des millions d’euros d’argent public en appliquant tout simplement la loi. Surtout si ses prestataires lui avaient rendu dès 2019 un verdict sincère : non, l’Arbre aux Hérons n’est pas faisable dans les conditions annoncées.

Sven Jelure

Périscolaire : la médiocrité du système nantais

La chambre régionale des comptes a consacré à l’Association Léo Lagrange Ouest (LLO) un rapport plutôt sanglant. « Sanglant » est une métaphore, bien sûr, puisque la Chambre y use comme toujours d’un langage très mesuré. Ses critiques les plus féroces sur l’accueil périscolaire à Nantes peuvent paraître anodines au lecteur distrait.

La ville de Nantes en prend pour son grade au passage. Le contraire serait étonnant. Elle a confié à LLO ses 115 accueils périscolaires. Ce qui représente pas mal d’argent : 120 millions d’euros sur six ans et demi. Or, LLO n’est pas pour elle un prestataire lambda mais un endroit où elle compte beaucoup d’amis.

Léo Lagrange Ouest dépend d’une vieille organisation, la Fédération Léo-Lagrange, dont le nom rend hommage à un ministre du Front populaire. Celle-ci a été créée voici plus de 70 ans par un futur Premier ministre de François Mitterrand, Pierre Mauroy, alors patron des Jeunesses socialistes. La Fédération est restée très proche du Parti socialiste depuis lors. Alain Chenard en a été un haut responsable avant d’être maire de Nantes. Plus récemment, Philippe Grosvalet, ex-président du conseil départemental de Loire-Atlantique aujourd’hui sénateur, y a fait carrière pendant vingt-cinq ans avant de devenir politicien professionnel.

Cette proximité peut expliquer que la chambre régionale des comptes pointe un certain laxisme dans leurs relations. En particulier, l’accord passé par la Ville avec LLO pour la période 2022-2024 est affecté de plusieurs irrégularités qui « fragilisent [sa] validité ». Le flou règne aussi sur les conditions d’évolution du prix des marchés. Qu’on se rassure : ce prix augmente ! Par ailleurs, la ville s’est lié les mains envers LLO : en pratique, il lui est impossible de résilier leur accord cadre, ce qui « entraîne un déséquilibre certain dans les négociations ». Mais tant que la confiance règne…

Confiance aussi quant aux services facturés. La ville ne contrôle pas bien les heures effectuées par LLO, pas plus que les prestations « complémentaires », commandées en toute imprécision. La Chambre a même déniché une « refacturation à la ville de Nantes, par LLO, des surcoûts liés à une mauvaise évaluation des moyens humains nécessaires à la réalisation de la prestation au stade de l’offre ». Quant aux paiements, ils sont effectués avant exécution des prestations, ce qui « constitue un manquement caractérisé […] et est financièrement risqué en l’absence de constitution de garantie à première demande du cocontractant. »

Des « arrangements » avec le droit de grève

La bienveillance financière de la ville envers LLO est-elle justifiée par une qualité de service impeccable ? Même pas ‑ les parents ne peuvent que le constater. Et la Chambre aussi : dès la première page de son rapport de 72 pages, elle indique que « Le pilotage financier et qualitatif de cette activité n’est pas correctement assuré ». Et aussi que « La qualité du service doit […] être renforcée. Le turn-over et l’absentéisme élevés des équipes sont en effet susceptibles de nuire à la sécurité des enfants accueillis ». Une sécurité mal assurée pour les enfants ? Voilà une information qui fait froid dans le dos des parents.

La situation tient pour une part à une culture de la grève instaurée dès la conclusion du premier contrat entre la Ville et LLO en 2018. Johanna Rolland avait fait semblant de taper sur la table sans guère se faire respecter. La grève prend chez LLO des formes pernicieuses : « Des salariés peuvent se déclarer grévistes afin d’inciter la direction à fermer le site, puis venir travailler, entraînant une perturbation du service (l’ouverture d’un service ne pouvant se décider à la dernière minute), sans impact salarial pour eux. » Aux grèves s’ajoutent des « débrayages » abondants et d’une légalité douteuse : « un animateur ayant débrayé 15 mn (5 mn matin, midi et soir) sur une journée où il devait assurer 6h d’accueil paralysera le service pour toute la journée mais sera payé à hauteur de 5h45mn ». Et la facture sera payée par la ville de Nantes bien qu’aucun service n’ait été ouvert pour les enfants !

Paradoxalement, les Nantais s’en sortiraient mieux si la Ville ne faisait pas appel à un prestataire car « en tant qu’opérateur privé, LLO dispose de moyens juridiques plus limités pour organiser le service en cas de grève qu’une collectivité locale gérant le même service en régie ». Faire travailler des amis n’est pas toujours la garantie d’obtenir le meilleur service !

Sven Jelure

Affaire Steve : fiasco judiciaire

Sauf erreur, personne n’a encore parlé de « fiasco judiciaire » dans le dossier de la disparition de Steve Maia Caniço lors de la Fête de la musique 2019. Pourtant, l’instruction s’avère déjà beaucoup plus longue que productive.

Dès le premier jour, l’affaire est des plus délicates. Rassembler des milliers de fêtards en pleine nuit sur un quai de Loire est une grosse prise de risque, intervention policière ou pas. En cas de pépin, la jurisprudence ne donne pas cher de Johanna Rolland. Exemple : une commune organise un feu d’artifice, une zone interdite est délimitée par un ruban, une personne le franchit, elle est blessé par une fusée qui retombe, le maire est condamné à six mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende car un ruban n’est pas une protection suffisante. (En l’occurrence, la limite était fixée à 150 m de la zone de tir, soit trois fois la largeur du quai Wilson, mais ne comparons pas ce qui n’est pas comparable, puisqu’à Nantes il n’y avait même pas de ruban.)

La maire de Nantes est mieux protégée que le quai. Dès la disparition de Steve signalée, bien avant que son sort ne soit connu et avant la moindre enquête, un narratif simple s’installe : Steve a été jeté à l’eau par une charge de police. Là, pas question sur l’organisation de la fête ou les pouvoirs de police du maire. Ce récit est propagé par une convergence, délibérée ou pas, entre des militants locaux, des membres de la presse locale (voire nationale puisque l’un d’eux est aussi correspondant du Monde à Nantes) et l’avocate de la famille de Steve Maia Caniço.

Charger le commissaire pour dédouaner la maire

Cette avocate déploie beaucoup d’énergie pour que l’enquête vise uniquement le commissaire de police qui a mené une intervention sur le quai Wilson. Selon Le Monde, elle « redoutait de voir délayées les responsabilités dans cette affaire ». En attaque, on clarifie, en défense, on obscurcit, dit un dicton en usage chez les avocats. Un seul suspect, c’est plus clair ! Mais dans une affaire où il y a mort d’homme, faire passer la tactique avant la recherche de la vérité est tout de même très moyen.

Et probablement très maladroit. Dans l’affaire du feu d’artifice évoquée plus haut, la commune a été condamnée à indemniser la blessée. En misant tout sur la responsabilité d’un policier, il n’est pas dit que l’avocate agisse dans l’intérêt de ses clients. En revanche, elle contribue à protéger Johanna Rolland, dont elle est très, très proche. Contre Attaque, qui détaille les liens entre elles, se montre sévère :

Bien sûr, ce n’est pas Johanna Rolland qui a poussé le jeune danseur dans la Loire, mais sa responsabilité dans la cascade d’événements qui ont abouti au drame ne fait aucun doute. Depuis le début, la mairie fait tout pour canaliser la colère légitime provoquée par la chute dans la Loire de jeunes nantais-es un soir de fête. Les camarades socialistes de l’avocate portent une responsabilité dans la mort de ce jeune homme qui ne souhaitait que danser pour la fête de la musique.

Instruction cabossée

Pour les « camarades socialistes », malgré tout, les perspectives paraissent moroses quand, fin 2022, l’instruction s’achève. Le procureur de la République résume : il y a eu « deux types de fautes », les unes au stade des préparatifs de la fête, les autres au stade de l’intervention policière, qui ont « contribué de manière certaine » au décès de Steve. La thèse du coupable unique est rejetée.

Volens nolens, les juges d’instruction ont remonté toute la chaîne causale. Une dizaine de personnes sont mises en cause pour homicide involontaire. Le préfet de Loire-Atlantique de l’époque, son directeur de cabinet et le commissaire de police sont mis en examen. La maire de Nantes, son adjoint à la sécurité et l’opérateur de sound system qui a déclenché la bagarre sont placés sous statut de témoin assisté.

L’instruction n’est pourtant pas sans reproche. En octobre 2022, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Rennes a infligé un double camouflet au juge. Elle a annulé la mise en examen de l’ancien préfet de Loire-Atlantique (qui reste tout de même placé sous statut de témoin assisté). Surtout, elle a prononcé la nullité d’une expertise vidéo commandée par le magistrat à une association ouvertement militante, spécialisée dans la lutte contre les violences policières. Un doute plane sur la neutralité de l’instruction.

Un très long délai de réflexion

Mais ce n’est rien à côté de la surprise du chef qui intervient fin 2023 : soudain, tout le monde descend, ou presque ! Ordonnance de non-lieu général, sauf pour le commissaire de police. La « cascade d’événements » s’est tarie. Après une année supplémentaire de réflexion, faisant suite déjà à plus de trois ans d’instruction, les juges considèrent que les fautes commises au stade des préparatifs de la fête ne sont pas « caractérisées ». Les protagonistes n’étaient sans doute pas conscients des dangers du quai Wilson.

À six jours de Noël – sûrement un hasard du calendrier ‑ ce coup de théâtre ne fait guère de vagues. Les Nantais sont absorbés dans la contemplation des œuvres du Voyage en Hiver. Libération s’étonne tout de même : en novembre 2022, le ministère public considérait que le directeur de cabinet du préfet avait « pleinement conscience du risque de chute en Loire », puisqu’il avait même été décidé de faire appel aux sauveteurs de la Sécurité Nautique Atlantique ! Et puis finalement non…

Est-ce un changement d’avis ou plutôt un aveu de faiblesse ? Au « cœur de l’enquête », selon l’expression du Monde en juin 2020, se trouve le téléphone de Steve Maia Caniço : « L’objectif, c’est d’obtenir une géolocalisation précise de Steve au moment du drame ». Ce moment, suppose-t-on, est immédiatement postérieur au dernier signal émis par le téléphone, à 4 h 33 secondes. Un premier nuage de gaz lacrymogène vient alors de balayer sur une centaine de mètres le quai Wilson (qui mesure environ 1 km de la grue Titan grise au pont des Trois-continents). Steve se trouve-t-il à cet endroit ? Sans une géolocalisation précise, le « cœur de l’enquête » est opaque.

Manque de discernement et de renseignements

Dans ces conditions, il est probable qu’une dizaine d’avocats, y compris ceux de la maire et du préfet, auraient défilé pour dire : « On ne sait pas où Steve est tombé à l’eau. On ne sait pas comment. Il a pu être poussé, il a pu glisser, il a pu être attiré par le chant des Sirènes [Il n’y a pas de Sirènes dans la Loire ? Qu’en savez-vous, surtout après 4 heures du matin ?]. Quant à reconstituer à l’envers un parcours depuis la grue jaune, lieu de la découverte du corps, jusqu’à un point de chute précis dans un autre bras de Loire cinq semaines plus tôt, c’est mission impossible. » Le non-lieu presque général coupe court à cette litanie improductive.

Bien entendu, l’avocat du commissaire Chassaing pourra en dire autant. Mais il sera seul et craint que son client ne serve de bouc émissaire dans une affaire plus riche en émotions qu’en éléments objectifs. Il se référera sans doute au rapport établi par l’Inspection générale de l’administration (IGA), qui contient les principaux éléments connus. Pour mémoire, ses conclusions sont triples :

« 1. L’organisation administrative de la Fête de la musique a mobilisé […] les services de la ville et ceux de la préfecture de Loire-Atlantique, sans accorder une attention suffisante à la présence des sound systems sur le quai Wilson. «

« 2. La ville de Nantes et la préfecture de la Loire-Atlantique […] disposaient de moyens réglementaires pour davantage prendre en compte la sécurité de l’événement. »

« 3. […] la gestion des dispositifs de sécurité et de secours conduit à s’interroger sur la pertinence de certains choix opérés quai Wilson et à constater un manque de discernement dans la conduite de l’intervention de police. »

Dans ce « manque de discernement » maintes fois évoqué, certains voient la condamnation du commissaire. Or l’expression a manifestement été choisie pour éviter le mot « faute ». Et elle s’applique apparemment à la première partie de l’intervention policière, l’approche des lieux sans précautions particulières. Quant à l’emploi des gaz lacrymogènes, l’IGA le qualifie expressément de « légitime défense » car il fait suite à des incidents au cours desquels cinq policiers ont été blessés. Autrement dit, même une géolocalisation précise sur le quai Wilson ne préjugerait en rien de la suite que le désir primal de vengeance l’emporterait sur la présomption d’innocence.

Communication catastrophique

À ce stade, l’avocate sait forcément que son dossier est mal embarqué : elle a misé sur un narratif très difficilement démontrable. Quelles possibilités lui reste-t-il ? Présenter l’accusé sous le plus mauvais jour possible. Presse Océan lui a consacré deux pleines pages le 16 janvier ‑ une besogne confiée à un journaliste indépendant et non à un membre de sa rédaction. Grégoire Chassaing y est décrit comme « trop impulsif », « diversement apprécié », « un peu psychorigide », « parfois obtus », etc., aimables appréciations recueillies auprès de syndicalistes policiers qui ne sont pas de ses amis.

Or voici que le commissaire est promu ! Il prendra un nouveau poste le 1er juin, deux semaines avant le début de son procès. Évolution de carrière statutaire pour un fonctionnaire qui bénéficie de la présomption d’innocence, assure le ministère de l’Intérieur. « Provocation vis-à-vis de la justice », répond la mère de Steve (Presse Océan, 10 février 2024), qui s’exprime pour la première fois, dans les bureaux de son avocate. La douleur d’une mère qui a perdu son enfant est forcément poignante. Et voilà que sa propre avocate l’instrumentalise en vue de transformer un deuil privé en conflit police/justice ! Cette dernière cartouche parachève le fiasco.

Sven Jelure

Corsair joue un tour au préfet de Loire-Atlantique !

difficile de comparer Corsair et le fonds de dotation pour le développement culturel de la Ville de Nantes, mais si le préfet doit se tromper également, qu'il le fasse vite !

Il semble que le préfet accentue sa surveillance des fonds de dotation. Ce n’est pas forcément du luxe. Mais sa première sanction est à côté de la plaque. Il pourrait trouver un cas plus intéressant du côté des fonds de dotation créés par la ville de Nantes.

Corsair n’est pas du genre sabre entre les dents : c’est l’abréviation de « Confluent recherche santé innovation en région », un fonds de dotation lié à l’hôpital privé Confluent, alias les Nouvelles cliniques nantaises. Il se trouve malgré lui au centre d’une grande première administrative en Loire-Atlantique.

Un fonds de dotation est un organisme de mécénat destiné à collecter des dons pour aider à réaliser une œuvre ou une mission d’intérêt général. Corsair vise avant tout à « soutenir l’innovation technologique, scientifique, médicale ». Rien que de très classique. Le CHU de Nantes a lui aussi créé un fonds aux objectifs analogues.

Avec 11 160 euros de recettes en 2021, Corsair n’est pas une grande puissance financière. Mais comme tous ses homologues, il est soumis à quelques obligations. En particulier, la loi oblige les fonds de dotation à déposer à la préfecture leurs comptes annuels certifiés par un commissaire aux comptes ; ils doivent aussi les publier au Journal officiel. (Idem pour les associations recevant plus de 153 000 euros de subventions dans l’année.)

L’obligation n’était pas toujours respectée. Mais, depuis une loi du 24 août 2021, l’absence de publication des comptes est punissable d’une amende de 9 000 euros. Ce qui a fait réfléchir plus d’un dirigeant. L’épée dans les reins, plusieurs organisations de Loire-Atlantique ont régularisé leur situation ces derniers mois. Dernier en date, le Centre socioculturel intercommunal Mireille Moyon, à Paimboeuf, précédé par le NHG, le Fonds de dotation Réalités, etc.

Une double première départementale

La surveillance des fonds de dotation est exercée par le préfet. Elle ne semblait pas d’une grande sévérité jusqu’à présent. Or, le 19 décembre dernier, le préfet de Loire-Atlantique a suspendu pour six mois l’activité du fonds « CONFLUENT RECHERCHE SANTÉ INNOVATION EN RÉGION (CORSAIR) ». Motif : « Défaut de transmission des rapports d’activité et des comptes annuels 2017, 2018, 2019, 2020 et 2021, défaut de parution des comptes annuels au Journal officiel de la République Française ». C’était une première dans le département !

Hélas, le fonds récalcitrant avait publié ses comptes pour les cinq années en retard le 23 novembre 2023 ! Si bien que le préfet, qui lui-même devait être en retard dans ses lectures du Journal officiel, s’est trouvé obligé de publier ce 16 janvier une annonce d’annulation de la suspension. Ce qui est également, une première départementale.

Courteline aurait encore de quoi faire. Mais cet épisode aura sans doute poussé la préfecture de Loire-Atlantique à surveiller de plus près les publications légales des fonds de dotation. Et justement, il y en a un dont on aimerait bien voir les comptes : le Fonds de dotation pour le développement culturel. Ce fonds créé par la Ville de Nantes est l’une des vedettes de l’affaire de La Folle journée. Il n’a pas encore publié ses comptes des trois dernières années, et l’on pressent que ce n’est pas joli à voir : il est en liquidation judiciaire depuis tout juste deux ans.

Sven Jelure

Nantes Métropole a perdu la clé des tuyaux

Le doublement en hauteur donnerait une meilleure vue sur la ville sans trop recouvrir la Loire. Cela permettrait de circuler en haut quand les travaux sont en bas et en en bas quand les travaux sont en haut.

Le pont Anne-de-Bretagne, qui relie le quai de la Fosse à l’île de Nantes, ex île Sainte-Anne, doit être élargi. Tous les modes de circulation – piétons, deux roues, automobiles ‑ seront maintenus sur le pont pendant les travaux. Et puis finalement non, une fois toutes les études effectuées dans cette perspective, et tous les contrats passés, ça va pas être possible. Ou plutôt, ça ne servirait à rien car au bout du pont il y a le boulevard Léon-Bureau qui, lui, sera coupé. Plus de boulevard, plus de pont.

On voit de temps en temps des ponts construits au milieu de nulle part, sans qu’aucune route y mène, et l’on incrimine chaque fois les fonctionnaires irresponsables, les politiciens corrompus, les collectivités versatiles, les écolos extrémistes, les réglementations absurdes et/ou les administrations inextricables. Mais Nantes Métropole ne souffre d’aucun de ces maux, n’est-ce pas ?

« C’est vrai que le passage du pont Anne-de-Bretagne est un point clé », déclare Nicolas Martin (EELV). Adjoint aux transports doux, il va devoir gérer un non-transport dur parce que sa clé n’a pas de serrure. À moins qu’il ne tape sur la table ? Car il y a de l’abus :

  • Nantes Métropole annonce que la circulation sera coupée pendant toute la durée des travaux du pont, soit plus d’un an. Où et quand a-t-il fallu à Nantes une année entière pour remplacer des canalisations sur 400 m de boulevard ? Et si les travaux du boulevard durent moins d’une année, pourquoi ne pas maintenir la circulation comme prévu pendant au moins quelques mois ?
  • On ne va pas élargir le pont Anne-de-Bretagne pour en faire un pont-jardin ou un pont-belvédère, comme le proclame Nantes Métropole, mais pour y faire passer deux nouvelles lignes de tramway. On a dû étudier tout leur parcours en même temps que le pont. On n’a pas découvert l’existence du boulevard Léon-Bureau au mois de novembre 2023.
  • Pour fermer le boulevard, on invoque la nécessité d’y remplacer des tuyaux vétustes. Mais on va aussi y créer deux lignes de tram, ce qui exige de défoncer pareillement la chaussée. En quoi les tuyaux seraient-ils plus exigeants que les rails, qui, eux, n’imposaient apparemment pas qu’on coupe la circulation ?
  • Les tuyaux, Nantes Métropole sait faire. Tiens, à deux pas de là, par exemple, on installe un vaste réseau de chaleur. Dans la plupart des cas, on se débrouille pour maintenir la circulation. Au pire, on aménage une déviation – ce que permettrait ici la rue Arthur III, presque parallèle au boulevard sur toute sa longueur.
  • Les entreprises de BTP sont capables de maintenir la circulation sur un pont en travaux. Elles devraient bien être capables de le faire aussi sur la terre ferme. Nantes Métropole a été capable d’exiger ce maintien pour le pont ; elle devrait en être capable aussi pour le boulevard.

Depuis la noyade de la belle Angèle et de son frère aîné sur son bateau doré, les ponts de Nantes n’ont jamais eu bonne réputation. Ça ne va pas s’arranger. Et attention ! le pont a deux bouts. Nantes Métropole a découvert bien tardivement les problèmes de l’un d’eux. A-t-elle exploré à fond tous ceux de l’autre, le quai de la Fosse ?

Sven Jelure

Johanna Rolland danse le moonwalk sur le pont Anne-de-Bretagne

Johanna Rolland présentera prochainement son projet de pont provisoire pour le Voyage à pied 2024.

Le plus anxiogène, dans le projet du pont Anne-de-Bretagne, c’est que Johanna Rolland avance à reculons. Elle avait annoncé que la circulation serait maintenue sur le pont pendant les travaux d’agrandissement. Et soudain, il n’en est plus question.

Mon taxi progresse doucement sur le quai de la Fosse. Le confort de la Tesla favorise une conversation détendue. Jusqu’à cette question innocente :

‑ Avez-vous déjà repéré des itinéraires de rechange pour la période de fermeture du pont Anne-de-Bretagne ?

Fatale imprudence ! Le chauffeur explose :

‑ Ça sera le bordel ! Comment on pourra faire ? J’en sais rien ! Ils sont fous !

En apprenant le 14 novembre que le pont sera fermé à la circulation du printemps 2024 au printemps 2025, plus d’un conducteur nantais ou péri-nantais a senti ses cheveux se dresser sur la tête. « Ça va être un sacré merdier ! » prophétise France3-régions. Faut-il que la situation soit grave pour que le service public use d’un tel langage !

Le maintien de la circulation n’était ni un fantasme, ni une simple éventualité. Publié en octobre 2020, l’avis de marché portant sur la construction du pont imposait expressément un « maintien de la circulation en phase chantier (sur et sous le pont pour tous les flux) ». Le marché a été signé le 29 septembre 2022 : les différents protagonistes ont eu le temps d’étudier le dossier. Dès décembre 2018, déjà, Nantes Métropole avait confié à Systra et à Barryquand et Frydlender, pour près de 400.000 euros H.T.,  une mission d’assistance pour étudier un nouveau franchissement de Loire.

En décembre 2022, un nouvel avis de marché portant sur la coordination en matière de sécurité et de protection de la santé insistait : « Il est précisé qu’il est impératif que la circulation pour tous les modes dans les sens Nord- Sud et Sud-Nord soit maintenue pendant toute la durée du chantier sauf coupure exceptionnelle et ponctuelle. »

Et voilà que cet impératif n’est même plus un conditionnel : fermé le pont sera.

Voici encore un mois, le site de Nantes Métropole assurait, en rubrique « Dialogue citoyen » : « 2e semestre 2024 : préparation du chantier et démarrage des travaux (le chantier prévoit le maintien de tous les modes de circulation durant la durée des travaux) ». Jusqu’à l’apparition de cette mise à jour, le 24 novembre 2023 : « les études complémentaires ont montré la nécessité de réhabilitation préalable des réseaux d’eau du boulevard Léon Bureau. Ces travaux de réhabilitation préalable impliquent la fermeture de la circulation motorisée (sauf véhicules de secours) dans le secteur concerné à partir d’avril 2024 pour une durée d’un an. »

Le dialogue citoyen préfigure le pont : il est coupé !

Personne n’y a donc pensé ?

Bertrand Affilé, deuxième vice-président de Nantes Métropole, tente de faire valoir que « techniquement, le pont ne sera pas fermé à la circulation, les vélos et les piétons pourront d’ailleurs le franchir ». Bien essayé, mais spécialement sournois : c’est bien de « tous les flux » qu’il était question !

Les attributaires des différents marchés sont tous de grands noms dans leur domaine : les filiales de Vinci GTM Ouest et Dodin Campenon Bernard, spécialiste des ponts hors normes, SCE, expert entre autres en hydraulique urbaine, le cabinet d’architectes Dietmar Feichtinger Architects, Schlaich Bergermann Partner, Cimolai, concepteur de structures métalliques complexes, etc. Et en trois ans de réflexion, aucun d’eux n’aurait réfléchi au fait que, pour passer sur le pont, il faudrait d’abord emprunter le boulevard Léon-Bureau ? Et Nantes Métropole, qui a inspecté les canalisations du quartier quand une fuite est apparue sous le pont Anne-de-Bretagne en 2020, n’avait pas repéré qu’il faudrait les réhabiliter ?

Et tous ces experts capables de maintenir les circulations sur un pont en grand travaux ne seraient pas capables de les maintenir sur un boulevard, avec diverses déviations possibles, le temps de réhabiliter des réseaux d’eau ? Et il faudrait une année entière pour mener à bien cette réhabilitation ? On a l’impression que Nantes Métropole est en train de fabriquer petit à petit un rétroplanning improvisé, comme si le projet du CHU n’avait pas rendu ces étapes indispensables depuis des années. Décidément, ce projet ressemble de plus en plus à un caprice princier.

Une ligne rouge juridique à ne pas franchir

Par-dessus le marché (public), ce changement d’avis pourrait ouvrir une insécurité juridique. En renonçant à exiger le maintien de la circulation, Nantes Métropole accorde un avantage énorme au groupement chargée du chantier. Puisque c’était une condition du marché et que celui-ci a été attribué, cette exigence a sûrement été inscrite au contrat. Et voici qu’elle est abandonnée.

Le sujet est sensible. « Les clauses omises de manière inexplicables dans le cahier des charges ou les documents qui l’accompagnent (cahier des clauses administratives générales, notamment), peuvent être des éléments de preuve pour l’infraction de favoritisme », souligne l’OCDE dans un document sur La lutte contre la fraude et la corruption dans les marchés publics. En ajoutant, pour que les choses soient claires : « Lorsque ces clauses de pénalité existent, la connivence entre le décideur et l’entreprise se manifeste par leur non-application. De même, si des prestations indispensables au bon fonctionnement du projet ont été omises dans le cahier des charges de manière inexpliquée et que l’on constate l’absence de contentieux ou de recours contre les auteurs de ces fautes professionnelles (maître d’ouvrage, architecte, bureau d’étude…), l’enquêteur doit légitimement soupçonner l’existence d’une ou de plusieurs infractions pénales. »

Pour Bertrand Affilé, le pont Anne-de-Bretagne restera ouvert, c’est le boulevard qui sera fermé ! Mais cette argutie grossière risque de nourrir les soupçons au lieu de les écarter. On espère que les services juridiques de Nantes Métropole ont réglé la question avec plus de soin. Mais c’est encore un travail supplémentaire occasionné par un chantier dont le coût prévisionnel dépasse déjà largement le milliard d’euros.

Sven Jelure)à