Saint-Herblain a voté, ce vendredi 9 avril, une subvention à Royal de Luxe. Avec aussi Nantes et Nantes Métropole, la troupe devrait toucher plus de 420 000 euros en 2021, à quoi s’ajouteront probablement des subventions du département, de la région et de l’État, plus la mise à disposition de vastes locaux dans le Bas-Chantenay, pour une valeur proche de 100 000 euros par an. Royal de Luxe est un rentier à l’aise.
Parmi les innombrables troupes de théâtre de rue nées dans l’après-mai 1968, Royal de Luxe est l’une des réussites matérielles les plus éclatantes : après avoir tiré le diable par la queue comme les autres, la troupe obtient de la ville de Nantes les moyens de produire ses idées grandioses : La Véritable Histoire de France en 1990, Cargo 92 en 1992, Le Géant tombé du ciel en 1993. Sa renommée est au pinacle, de grandes villes étrangères achètent ses spectacles, Nantes la comble d’attentions. Et c’est le début de la décadence.
Les déclinaisons du Géant ne suffisent pas à camoufler le déclin de l’imagination. La Visite du Sultan des Indes sur son éléphant à voyager dans le temps, en 2005, un énorme succès à Nantes puis à Londres, Anvers et Calais fait exception. Mais ce spectacle entraîne le départ de François Delarozière, qui créera désormais ses machines de spectacle de son côté, toujours aux frais de la princesse nantaise. Depuis lors, Royal de Luxe n’est plus que l’ombre de lui-même. La troupe se partage entre des autopastiches de son Géant et des spectacles de patronage, en moins pieux. Le Mur tombé du ciel, en 2010, est une jolie réalisation grâce au talent de David Bartex mais procède d’une idée plutôt téléphonée (encore un truc tombé du ciel). Et puis, ça fait déjà plus de dix ans…
Demander à voir avant de payer
L’année 2020 est à mettre entre parenthèses, bien entendu. Mais qu’avait fait Royal de Luxe en 2019 ? La reprise de Miniatures, créé en 2017, un spectacle « tout petit-petit-petit-petit » selon Jean-Luc Courcoult lui-même, la tente de « Monsieur Bourgogne » accrochée au mur d’un immeuble de Bellevue, un lampadaire à nœud déjà vu deux ans plus tôt, une voiture transpercée par un arbre vite transformée en feu de joie par des amateurs d’art locaux, et une ou deux autres bricoles.
Après quasiment un an de relâche pour cause de covid-19, Royal de Luxe va-t-il revenir en 2021 plein d’idées nouvelles et surprenantes ? On annonce cinq nouvelles créations, dont un Retour de Monsieur Bourgogne qui n’avait pu avoir lieu l’an dernier. Royal de Luxe refuse d’en dire plus. Vu la faible productivité de la troupe ces dernières années, les collectivités locales feraient pourtant bien de demander à voir avant de payer.
Car les maigres réalisations de 2019 leur ont coûté cher. Cette année-là, Royal de Luxe a touché plus d’un million d’euros de subventions (1 009 142 euros exactement) et 96 717 euros de prestations en nature. Ses quelques représentations de Miniatures vendues à Anvers, Calais et Villeurbanne n’ont rapporté que 276 000 euros. Paradoxalement, les villes qui achètent les spectacles à l’unité les paient moins cher que Nantes qui les finance en gros. En 2017, chacun des 16 000 spectateurs de Miniatures avait coûté plus de 40 euros aux contribuables locaux.
La créativité peut-elle rebondir ?
Il y a d’ailleurs un côté grippe-sou chez Royal de Luxe. En 2019, la troupe a beaucoup économisé sur ses frais de personnel. Ils ont chuté de 1 162 519 euros (1,75 million avec les charges sociales) à 517 716 euros. Cela représente environ 34 500 euros brut par personne en équivalents temps plein (ETP). Mais il y a peu de temps plein et beaucoup d’intermittents chez Royal de Luxe. Au lieu lieu de 130 personnes en 2018, la troupe n’a rémunéré que 60 personnes en 2019.
Si bien que, malgré sa faible activité, Royal de Luxe a encore gagné pas mal d’argent en 2019. Au 31 décembre 2019, la troupe dormait sur un matelas de 488 792 euros de liquidités. Comme elle a continué à recevoir des subventions en 2020 sans dépenser grand chose en créations, ce pactole a dû continuer à s’arrondir. Pour les contribuables, il serait assez logique de décréter une année blanche : laisser Royal de Luxe se débrouiller par ses propres moyens et voir si ce respectable vestige de l’époque Ayrault reste capable d’imaginer de grandes idées.
Sven Jelure