Toujours plus de promesses. Foncièrement payant ?

Demain on rase gratis

Depuis quelques mois déjà, une pluie de promesses ferait presque oublier la sécheresse de ces dernières années de mandat. Les prochaines élections municipales auraient pu nous valoir quelques engagements originaux et novateurs. On se contentera des bonnes vielles recettes qui annoncent, à qui veut y croire, qu’on rasera gratis à partir de 2020.

Johanna Rolland avait pris tout le monde de court en annonçant la gratuité des transports, le week-end, si les électeurs avaient la bonne idée de voter pour elle. On suppose que Pascal Bolo, adjoint aux finances et président de la Semitan, avait été prévenu. En lançant la campagne #JR2020(*), la maire de Nantes a également promis qu’elle n’augmenterait pas les impôts. Quel contribuable, ayant reçu ses avis d’imposition cet automne, n’aurait pas envie d’y croire ? Mais qui, en réalité, peut encore croire à ce type de promesse ?

Il est des classements dont, curieusement, Johanna Rolland ne se vante pas. Pourtant Nantes est bel et bien sur le podium des villes dont les impôts ont le plus augmenté ces dix dernières années. Comme Anne Hidalgo, Johanna Rolland promet une pause fiscale. Il est vrai qu’à Paris, les impôts fonciers ont augmenté de… 80,9 % entre 2008 et 2018 et de 54,9 % à Nantes. Une performance qui place la Ville en 3e position, derrière Argenteuil, dans ce palmarès national. Rennes (41,4 %), Angers (36,8%), Bordeaux (29,3) ou Brest (23,8 %) sont loin derrière. Ce qui n’empêche pas la candidate sortante de revendiquer un bilan exemplaire.

Ce classement a été établi, très officiellement, par une étude de l’UNPI (union nationale des propriétaires immobiliers) qui note, curieusement, un “ralentissement” de la tendance en 2019 : entre 2018 et 2019, la hausse a été limitée à 1,90% dans les 50 plus grandes villes de France. Notons que cette augmentation de 1,90% reste toutefois supérieure à l’inflation (1,1%) enregistrée en 2018. Nantes s’inscrit naturellement dans ce mouvement conjoncturel : il convient de ne pas affoler le contribuable/électeur à quelques mois d’un scrutin municipal.

Concernant la taxe d’habitation, théoriquement appelée à disparaître, Nantes, avec un taux de 34,18 %, se classe au 9e rang au plan national. Derrière Lille, sur la première marche du podium, ou Rennes au 5e rang. À Nantes, comme ailleurs, les taux n’ont pas bougé depuis 2017. On peut donc y afficher fièrement 0% d’augmentation en 2018, tout comme à Rezé ou Saint-Herblain. Et, promis, ce sera encore mieux à partir de 2020. Il reste que promettre de raser gratis, à partir de l’an prochain, pourrait valoir à Johanna Rolland un procès en concurrence déloyale de la part d’une profession spécialisée dans l’entretien de notre système pileux.

Julien Craque

(*) le hashtag JR2020 est (encore) en mal de notoriété : sur Google, JR2020 est associé à du matériel de fixation pour les sports de glisse (ski, snowboard…) On suppose que le brainstorming ayant abouti à ce choix de JR2020 voulait anticiper tout risque de dérapage intempestif ou de sortie de piste.

Grande bouffe au musée d’arts

Contrairement au Voyage à Nantes et à son « Disgusting Food Museum » emprunté aux Suédois de Malmö, le musée d’arts n’en fait pas des tonnes pour sa propre exposition alimentaire locavore, « Saveurs d’artistes, dans la cuisine des peintres ». Exposition ? Même pas : simple « accrochage du moment ». On dirait le café du coin qui affiche son plat du jour.

Ses cartels sont plutôt alléchants, pourtant. « S’y joue en effet la gastronomie qui articule le gaster (le ventre et ses impératifs) et le nomos (la culture et ses lois culinaires » assure le musée à l’entrée. On attendrait du rebondi, du plantureux, de l’épanoui. Hélas, il semble que Weight Watchers soit passé par là.

Une salle unique réunit une vingtaine d’œuvres. Une vaste installation attire l’œil irrésistiblement : l’Hommage au jardin d’hiver de la baronne Salomon de Rothschild, de Daniel Spoerri. Le spécialiste des « tableaux-pièges », qui a lui-même fait dans la restauration, a collé sur deux tables de bridge les reliefs d’un modeste repas entourés de tout un bric-à-brac. Et comme l’installation est posée devant un grand miroir, elle se trouve multipliée par deux. Tout cela est collé ensemble depuis 1972, mais on n’a évidemment pas l’occasion de voir souvent cette accumulation un brin encombrante.

Pour le dire de manière chic, comme le musée, « Daniel Spoerri désacralise le processus artistique et offre paradoxalement au rituel du repas, dans sa forme la plus quotidienne, une pétrification périssable, élevant la banalité au rang d’œuvre. » Mais rassurez-vous, visiteurs de la HAB galerie qui vous esclaffez devant les poissons pourris ou la table à manger du cerveau de singe, ce « rang d’œuvre » est finalement très distrayant, et vous passerez un bon moment à détailler la foultitude des détails de l’installation : cendriers pleins à ras bord, bouteilles de Tuborg, babouches, etc.

Le reste de l’exposition ne fait pas non plus dans l’excès alimentaire. une jeune fille pèle une carotte, une autre récure un chaudron, un bourgeois lève son verre, une bande de mauvais plaisants tente de nourrir à la cuiller un chat emmailloté (le rapport avec la cuisine est peut-être davantage dans le nom du peintre : Niccolo Frangipane)…

Le pire, c’est la Cène. À propos de peintres et de nourriture, les repas bibliques sont évidemment incontournables. « Ces banquets évangéliques peuvent se parer d’une véritable composante divertissante » note savamment un cartel. Alors, pourquoi le musée a-t-il choisi sa Cène la plus diététique ? Pour treize convives, à peine une petite galette sur un coin de table : on fait mieux comme « composante divertissante ». Il ne manquait pourtant pas d’autres choix possibles. Il aurait pu exposer son Repas chez Simon le pharisien par Philippe de Champaigne, autrement plantureux, ou à la rigueur l’un de ses Souper à Emmaüs.

Ah, mais à bien y regarder, il y a même là une deuxième Cène, un panneau de bois multicolore signé Gaston Chaissac. Même avec beaucoup d’imagination, on n’y devine rien de la scène biblique. Que fait-elle là ? Tout s’explique quand on apprend que le panneau de bois a été une table de cuisine dans une existence antérieure. Mais si les bornes sont aussi élastiques, pourquoi n’avoir pas exposé aussi le Gorille enlevant une femme, d’Emmanuel Frémiet ? « Il emporte dans les bois une petite dame pour la manger », constatait Nadar. Ce n’est pas de la grande cuisine, mais au moins c’est spectaculaire.

Pour appuyer Les Tables de Nantes, « l’événement qui pense vos assiettes » (et qui carbonise vos chefs étoilés), le musée aurait mieux fait de mettre les petits plats dans les grands. Allez, allez, Sophie Lévy, lâchez-vous un peu !

Musée d’arts de Nantes, 10 rue Georges-Clemenceau, Nantes. Salle 25. Jusqu’au 2 février 2020.

Sven Jelure

Locations de tourisme : Nantes déloge Lamotte-Beuvron

Grue jaune et nuages bas

Cinq françaises dans le classement mondial des dix destinations les plus recherchées pour les locations pendant les vacances de la Toussaint : ça c’est épatant. Et encore plus épatant : la cinquième française, la dixième mondiale, n’est autre que Nantes !

L’enthousiasme est à peine tempéré par l’apparition en numéro un d’une éternelle rivale : Toulouse. Entre Toulouse et Nantes s’étagent Santorin, Rome, La Réunion, Porto, Paris, Palma de Majorque, Nice et New York. Des calibres ! Venir juste après New York dans un palmarès mondial, c’est pour notre modeste agglomération une belle revanche sur le dédain des grands guides touristiques. Jean Blaise aurait-il enfin atteint l’objectif poursuivi depuis tant d’années : faire de Nantes l’une des cinq principales destinations françaises ?

On se demande pourquoi Presse Océan et Ouest France ont attendu une dizaine de jours pour publier une nouvelle aussi sensationnelle. Serait-ce parce que, sans être vraiment fake, l’information n’est pas blanc-bleu non plus ?

Elle résulte d’un communiqué de HomeToGo. HomeToGo GmbH, une société allemande créée en 2014, est réputée posséder aujourd’hui le plus grand moteur de recherche de locations de vacances. Il fonctionne comme un comparateur des données d’une centaine de sites de location. HomeToGo dispose donc d’une masse d’informations fiables en provenance directe des internautes. Mais toute statistique est susceptible d’être un peu sollicitée.

Déjà, s’interroger sur les destinations choisies pour la période de la Toussaint, c’est la certitude que les Français feront masse dans le classement : la France est le seul pays au monde à accorder à ses écoliers deux semaines de vacances pour la Toussaint. Quelques pays en donnent une. Beaucoup se contentent d’un jour ou de rien du tout.

Surtout, le classement dont on se réjouit n’a rien de « mondial ». C’est en réalité celui de HomeToGo.fr, site destiné aux Français. HomeToGo a créé des sites propres à chaque pays. HomeToGo.fr est un site important, mais sa fréquentation est bien inférieure à celle du site anglophone HomeToGo.com ou du site allemand HomeToGo.de.

L’information est donc à lire ainsi : les Français consultant HomeToGo.fr sont plus nombreux à envisager de se rendre à Santorin, Porto ou New York qu’à Nantes pendant les vacances de la Toussaint. Ce qui relativise un peu. Mais sa dixième place est tout de même un sacré progrès pour notre belle ville. Dans le palmarès HomeToGo.fr des dix locations de vacances les plus recherchées en France pour le mois de juillet, publié début juin, Nantes n’apparaissait pas du tout. À la dixième place figurait Lamotte-Beuvron.

Sven Jelure

Plus de gradinerie en bord de Loire

Plonger dans la Loire

Me voilà fier comme Artaban. Le conseil métropolitain a découvert le 4 octobre le projet de réaménagement de la place de la Petite-Hollande. Les débats ont surtout porté sur le parking, dans sa partie est. Mais c’est à l’ouest que la nouveauté se passe. Le projet prévoit la suppression de l’extrémité du parking au profit d’une « cale gradinée » (sic) descendant vers la Loire.

Voici ce que j’écrivais le 12 février 2015 dans ma deuxième contribution au Grand débat sur la Loire :

« Il nous faudrait un endroit à la gloire de la Loire, un lieu de rencontres et de réjouissances au contact du fleuve. On l’imagine comme un amphithéâtre descendant vers une petite rade, où les Nantais viendraient se promener, se rencontrer, manifester, pique-niquer aux beaux jours, assister parfois à des spectacles flottants. À marée montante, on évacuerait les gradins inférieurs. Au jusant, on les réinvestirait. Cette Tribune Loire devrait être toute proche du centre-ville. On pourrait lui sacrifier une partie du parking de la Petite-Hollande, face à la médiathèque. »

En somme, exactement le dispositif présenté au conseil métropolitain. Pour être honnête, je proposais aussi un autre emplacement pour cette cale : la creuser à la place d’un palais de justice en voie d’autodestruction. Mais il ne faut quand même pas trop en demander.

Loireschwimmen et ghats de Nantes

Là où je me sens moins flambard, quand même, c’est que l’idée n’est pas vraiment neuve. « Ta cale gradinée, c’est du déjà vu », m’avertissent d’un air blasé Victor Hublot et Aphrodite Duras, qui ont toujours un temps d’avance. « Il y en a une belle à Bâle. On s’y est baigné il y a pas longtemps. » Chaque été depuis près de quarante ans, Bâlois et visiteurs se jettent à l’eau par milliers pour la Rheinschwimmen.

Jacques Chirac avait promis qu’il se baignerait dans la Seine en 1988. Il avait été réélu maire de Paris l’année suivante. Johanna Rolland sait ce qui lui reste à faire : promettre qu’elle sera la première à plonger dans la Loire depuis sa cale gradinée.

Et puis, le gradinage c’est impeccable pour la fête de la musique : le fêtard qui trébuche du dernier gradin émergé de la cale ne tombera pas plus bas que le premier gradin immergé, où il aura pied. Comme le bon goût a de moins en moins cours, il y aura bien quelqu’un pour proposer de la baptiser cale Steve Maia Caniço.

Mais comment reprendre l’avantage sur Bâle ? Là, j’ai un joker, ma quatrième contribution au grand débat sur la Loire : l’aménagement de lieux de cérémonie sur les bords du fleuve. Avec la suppression de la voie sur berge (mais à quelle voie donnera-t-on le nom d’André Morice en échange ?), on pourrait prolonger la cale gradinée sur 1, 5 km pour former les ghats de Nantes. Comme à Bénarès (oups, Varanasi, hindouisation oblige), on pourra y organiser des crémations par milliers. On viendra du monde entier pour voir ça !

Et toc ! Victor Hublot, Aphrodite Duras, l’incinération au bord de l’eau, vous n’avez pas encore pratiqué ça, tout de même ? Quant à Johanna Rolland, personne ne lui demandera d’être la première à monter sur le bûcher.

Sven Jelure

Plus de fromage qui pue à Nantes

Le Voyage à Nantes nous a habitués aux superlatifs louangeurs placardés sur des œuvres dont le principal mérite était d’avoir plu à Jean Blaise. Alors, quand il annonce une exposition sur « les aliments les plus dégoûtants au monde », on se méfie. Les a-t-il vraiment goûtés, Jean Blaise, ces décoctions de souris, ces couilles de taureau, ces œufs à l’urine de jeunes garçons ? (Bon, pour le foie gras et le homard, on n’a pas tant de doutes.)

Après tout, pourquoi pas ? Presque tous, les aliments exposés à la HAB Galerie (Hangar à bananes) sont considérés comme des mets de choix dans leur pays d’origine. Les considérer comme « dégoûtants » relève du réductionnisme culturel le plus basique. Pour les disqualifier, on est allé chercher les métaphores les plus répugnantes (odeur de pieds sales, de vomi, de caoutchouc brûlé…). Ces Péruviens, ces Mongols, ces Ougandais sont décidément des gens peu fréquentables ! À défaut de les exhiber en personne comme dans les expositions universelles du 19e siècle, on montre leur cuisine, et c’est déjà tout un programme.

« Ce qui est dégoûtant pour les uns ne l’est pas forcément pour les autres », note cependant le prospectus du Voyage à Nantes, légèrement faux-cul sur les bords. En insistant sur le dégoût, il s’agit surtout d’épater la HAB Galerie et d’attirer le chaland vers une exposition qui n’a pas été conçue à Nantes mais à Malmö, sous le titre original « Disgusting Food Museum ». Les Suédois ne sont pas réputés très audacieux en manière culinaire. On ne s’étonne donc pas de trouver parmi les 80 dégoûtants plusieurs aliments désignés comme français ‑ foie gras, roquefort, époisses, vieux-boulogne, steak tartare, escargots, ortolans ‑ qui voisinent avec la tarentule frite, la panse de brebis farcie ou le lait de cheval fermenté. Histoire sans doute de ne pas paraître trop arrogants, les Suédois ont tenu à y introduire une spécialité à eux : les bonbons à la gélatine. Il paraît qu’un Suédois en mange en moyenne 16 kg par an. Pas dégoûté, lui.

L’exposition, visible jusqu’au 3 novembre, est intéressante. Dire qu’elle met en appétit serait excessif ; on parlera plutôt de gastro-antinomie. Du coup, on se demande si elle n’a pas été installée à la HAB Galerie pour consoler et mettre en valeur par contraste la Cantine du Voyage, bras armé des tentatives gastronomiques du Voyage à Nantes, à deux pas de là. On y sert à longueur de saison un plat unique : le poulet pommes de terre. Histoire de promouvoir la gastronomie nantaise. Un choix prudent (Neptune ne favorise pas toujours les audacieux), sans risque de dégoûtation ? Pas sûr du tout. D’une année sur l’autre, la réputation de la maison, d’une grande régularité, est carrément désastreuse. Malgré son site idéal au bout du Hangar à bananes, l’établissement pointe à la 688e place des restaurants nantais au classement de TripAdvisor !

Sven Jelure

Encore plus de millions pour l’Arbre aux Hérons

Mission d'expert

Faut-il vraiment rallonger la sauce ? Le conseil de Nantes Métropole réuni le 4 octobre sera invité à augmenter de 1 481 700 euros hors taxes, soit 1 778 040 euros TTC, les frais d’études consacrés à l’Arbre aux Hérons. Une somme coquette dans l’absolu et énorme dans le relatif : quatre fois supérieure au montant obtenu par la collecte Kickstarter l’an dernier, elle revient à augmenter de 50 % les frais d’études !

Ces études comprenaient des études de sol et de sécurité et surtout, le procès-verbal du conseil métropolitain du 8 décembre 2017 en fait foi, des « pré-études portant sur la faisabilité de l’Arbre aux Hérons ». Ces dernières étaient confiées, moyennant un étrange détour par Nantes Métropole Aménagement (qui de son côté a perçu 520 000 euros à ce titre), à un groupement composé de Pierre Orefice, François Delarozière et l’association La Machine. Un attelage chargé donc de valider un projet imaginé… par MM. Orefice et Delarozière eux-mêmes.

Encore un instant, monsieur le bourreau

Le délai fixé était de deux ans. Les travaux avaient même pris de l’avance : « Nous allons rendre l’étude de faisabilité le 30 juin prochain », annonçait Pierre Orefice à Magali Grandet, d’Ouest France, début mars dernier. Et voilà que trois mois après cette date, on apprend que l’argent est dépensé, que le travail est loin d’être achevé et qu’il faut remettre une pièce dans la machine afin de repartir pour un tour.

Une seule conclusion s’impose : si l’étude de faisabilité s’enlise, c’est que L’ARBRE AUX HÉRONS N’EST PAS FAISABLE !

En réalité, on le savait depuis plusieurs mois. L’Arbre aux Hérons vers lequel ont dérivé les études n’était déjà plus celui qui avait été proposé au conseil métropolitain. On lui a ajouté des dizaines d’étais sans lesquels il ne pourrait tenir debout. Pierre Orefice a beau prétendre que c’est toujours un arbre – un banian, ou « figuier étrangleur », qui projette des racines aériennes –, il est désormais bien différent de sa représentation par Stephan Muntaner affichée un peu partout. Cet arbre idéalisé, c’est acquis sans être admis, n’était pas faisable.

Pas seulement de doux zéphyrs

Et même transformé en un vaste échafaudage solidement fixé au sol, on peut douter que son successeur le soit davantage. Le cas n’est pas simple. Les aménageurs du « Jardin extraordinaire » soulignent que la carrière de Miséry est abritée des vents d’ouest. C’est vrai, mais sa partie est, réservée à l’Arbre aux Hérons, est totalement exposée aux vents de sud-ouest, qui ne sont pas moins redoutables.

« Les études se passent bien », assurait pourtant Pierre Orefice à Nantes Métropole. « Dans la carrière Miséry, nous procédons à des essais avec des anémomètres pour mesurer le vent. » On espère qu’il plaisantait. Une construction métallique érigée devant une paroi rocheuse est soumise à des phénomènes aérauliques complexes qu’un anémomètre est bien incapable de révéler. Or on parle là d’une attraction qui ferait tourner des gens en l’air, au bout d’un bras en métal, à plus de 30 mètres de haut !

Le vent n’est pas le seul problème, bien entendu. Il faudrait y ajouter les effets des chaleurs caniculaires sur le métal et les visiteurs, la difficulté de gérer deux circuits de visite indépendants, la sécurité, en particulier à l’égard des apprentis acrobates (le mouvement Yamakasi est très vivace à Nantes), l’enlisement des financements, etc. Bref, il vaudrait mieux regarder la vérité en face.

Ce qui est perdu est perdu

Pourquoi continuer ? Sans doute parce que Nantes Métropole poursuit une chimère, comme un joueur lessivé qui espère toujours se refaire au casino. Les Machines de l’île n’ont pas suffi à asseoir la notoriété internationale de Nantes ? On fera l’Arbre aux Hérons. L’Arbre aux Hérons n’est pas faisable ? On continuera quand même à le financer pendant des années.

C’est ce que Dan Ariely et Jeff Kreisler appellent les « coûts irrécupérables » : souvent, quand on s’aperçoit qu’on a investi dans quelque chose qui ne fonctionnera pas, on continue quand même à y mettre de l’argent pour ne pas perdre celui qu’on y a déjà mis. Ou plutôt pour ne pas s’avouer qu’il est perdu. « Nous ne voyons pas seulement le montant en argent, nous voyons tous les choix, les efforts, les espoirs investis avec cet argent », écrivent Ariely et Kreisler*. « Ils ont acquis plus de poids. Comme nous les surévaluons, nous sommes moins disposés à y renoncer et nous n’en courons que davantage le risque de continuer à creuser le trou. » Dirait-on pas que les deux Américains parlent de notre chimère nantaise ?

L’Arbre aux Hérons est devenu L’Arbre aux Millions, dit Laurence Garnier. C’est même l’Arbre aux Illusions. La patronne de l’opposition municipale réclame « un état des lieux détaillé ». C’est une bonne idée, à condition de ne pas faire établir ce constat par le groupement Orefice-Delarozière-La Machine.

Sven Jelure

* Dans L’Argent a ses raisons que la raison ignore, Paris, Alisio, 2019.

Plus de câlins pour les commerçants

Plus de câlins

La manifestation du 14 septembre dernier a de nouveau laissé quelques traces dans le centre-ville nantais. Même si ce “rassemblement national contre le pouvoir en place” a réuni moins de 2 000, les commerçants ont connu un nouveau samedi soir.

Comme après chaque manifestation, Johanna Rolland n’a pas tardé à dénoncer les actes de violence et ceux qui étaient venus à Nantes avec “l’intention de casser”. Il est vrai que, du côté du Square Feydeau, en particulier, les dégâts ont été spectaculaires. Au point que TF1, dans son journal de 13h, a pu décerner à Nantes le titre de capitale des violences urbaines.

Une aide psychologique
Du côté de l’hôtel de ville, à quelques mois des municipales, on commence à s’inquiéter. Au point d’imaginer (défense de rire !) “une aide psychologique” pour les commerçants. Le “scoop” d’Ouest-France, signé Stéphanie Lambert (que quelques confrères facétieux ont baptisée “la voix de son maire”), a suscité des réactions mitigées chez les commerçants nantais qui n’y ont vu qu’un “simple pansement”. Ces ingrats auraient-ils déjà oublié que la Ville (donc les contribuables nantais !) leur a d’ores et déjà accordé une aide de 500 000 euros ? Pour quoi faire ? Pour faire face au remboursement des franchises d’assurances au lendemain des manifestations et pour organiser les animations dans le centre-ville. On croyait que les Gilets Jaunes et associés en étaient chargés…

Pour qui l’ignorait encore, la campagne des municipales est bel et bien lancée. Les 500 000 euros attribués aux commerçants ne seront bien sûr pas comptabilisés dans les frais de campagne mais on ne lésinera pas sur les moyens. Ouest-France se félicite ainsi de la multiplication “des actions pour reconquérir l’hyper-centre”. Place donc à la calino-thérapie municipale et aux opérations de communication déjà programmées.

Un lourd bilan
Il est sans doute trop tôt pour établir un bilan économique des différents mouvements sociaux depuis un an. L’addition s’annonce sévère. Les commerçants, en effet, ne sont pas les seules victimes. Le mobilier urbain est, par exemple, à l’état d’abandon sur le cours des 50 otages. Les passagers des bus et tramways y seront sans doute plus sensibles lorsque la pluie et le froid seront là. À ce jour, aucun chiffre n’a été communiqué sur le montant de ces dégâts. Et pas davantage d’informations sur les moyens mis en œuvre et sur leur coût pour le nettoyage des rues et des façades aux petites heures du dimanche matin.

Fort opportunément, le 21 septembre a été décrété “journée citoyenne de la propreté”. Afin que nul ne l’ignore, la Ville a mis en place une vaste campagne de communication rappelant que “la propreté, c’est l’affaire de tous”. La propreté, c’est simple comme une belle affiche. Compte tenu de l’état de certaines rues, comment ne pas regretter qu’il n’y ait pas davantage de 21 septembre au calendrier ?

Voilà au moins une occasion offerte à chacun de balayer devant sa porte. Et on attend avec impatience, dans la presse, les photos de nos élus s’activant très concrètement à nous rendre (enfin !) la ville plus belle.

 

Royal de Luxe toujours plus déplumé ?

En 2013, Royal de Luxe s’était fait taper sur les doigts par la chambre régionale des comptes pour différentes raisons. L’une d’elles était que la troupe ne publiait pas ses comptes annuels au Journal officiel comme la loi l’y oblige. Elle avait alors fait mine de rentrer dans la légalité en publiant ses comptes au 31 décembre 2012.

Et elle était aussitôt revenue à son opacité antérieure.

Jusqu’à ce 28 août 2019, où elle a publié ses comptes au 31 décembre 2018 (un peu tardivement, mais mieux vaut tard que jamais). On se perd en conjectures sur les raisons qui l’ont poussée à se mettre en règle cette année. Peut-être faut-il regarder du côté des élections municipales de 2020 ? Les successeurs de Johanna Rolland pourraient imaginer de faire le ménage dans les subventions. Le non-respect de la loi serait un excellent prétexte pour couper les vivres à une association hors-la-loi. Il n’était que temps de revenir dans les clous.

L’année 2018 n’a pas été très brillante pour Royal de Luxe. La compagnie a montré ses géants dans des configurations déjà vues à Liverpool en Angleterre et à Leuwarden aux Pays-Bas. Rien de nouveau sous le soleil, mais ça lui a tout de même permis de faire bouillir la marmite en encaissant 1.802.094 euros pour ses prestations. Elle avait fait 41 % de mieux en 2017 ! Heureusement, le contribuable nantais est fidèle : malgré son peu d’activité, Royal de Luxe a touché en 2018 le même montant de subventions qu’en 2017, à l’euro près : 470.127. Et dispose toujours gratuitement de son ancienne usine du Bas-Chantenay, soit une aide en nature évaluée à 96.717 euros par an.

Une entreprise vieillotte mais qui paie bien

Association loi de 1901, Royal de Luxe n’a jamais cultivé la vie démocratique censée aller avec son statut. En 2013, la chambre régionale des comptes lui avait reproché de ne même pas faire semblant. Cinq ans plus tard, les choses se sont-elles arrangées ? Royal de Luxe a encaissé 3 euros de cotisations en 2018. De quoi financer 4 minutes de son existence cette année-là.

L’entreprise est devenue vieillotte. Ses installations techniques, matériels et outillages sont amortis à près de 93 %, ses autres immobilisations corporelles à près de 89 %. Heureusement, elle dort toujours sur un confortable matelas financier contenant 217.518 euros de valeurs mobilières de placement et 381.188 euros de disponibilités. Mais c’est en partie parce qu’elle tarde à payer ses fournisseurs. Au 31 décembre, elle leur devait 304.777 euros, soit un montant équivalent à presque neuf mois de fonctionnement.

Jean-Luc Courcoult est-il un bon patron ? OUI ! En 2018, pour 31 salariés ETP (équivalent temps plein), soit trois cadres et vingt-huit employés, Royal de Luxe a versé 1.162.519 euros de salaires bruts, hors charges patronales ‑ 37.500 euros par personne, environ 50 % de plus que la moyenne des salaires dans le département. Les trois cadres se sont partagé 193.969 euros, soit 64.656 euros bruts en moyenne par personne.

Épuisement créatif

Ces comptes 2018 éveillent bien sûr quelques craintes pour ceux de 2019. Car Royal de Luxe aura été encore moins actif cette année qu’en 2018. Incapable d’imaginer et/ou de vendre des projets ambitieux, la troupe s’est frileusement recentrée sur « Miniatures » ‑ un spectacle qui tourne depuis le printemps 2017 et dont le nom est à lui seul un étendard défraîchi. Quelques représentations à Villeurbanne au mois de juin puis à Anvers au mois de juillet, une vingtaine à Saint-Herblain en juillet-août et six prévues à Calais en septembre : il n’y a sûrement pas de quoi faire vivre la compagnie.

Va-t-elle demander une rallonge à sa subvention ? Mais au nom de quoi ? Seule création de l’année, la tente de M. Bourgogne accrochée verticalement à la façade d’un immeuble de Bellevue n’est qu’un pâle écho des fantaisies d’il y a vingt ans. Et le public du quartier ne s’est pas bousculé aux représentations de Miniatures malgré les relances de la presse.

Dans la logique de l’époque Ayrault, les faveurs accordées à Royal de Luxe visaient à donner à Nantes une réputation internationale de créativité. La chambre des comptes avait montré que les retombées, sur ce plan, étaient déjà minces avant 2013. Elles doivent être à peu près nulles aujourd’hui(1). Au nom de l’imagination, Nantes Métropole peut-elle vraiment continuer à dépenser plus d’un demi-million d’euros par an pour une vieille coquette qui vit sur sa réputation ?

Sven Jelure

(1) Le spectacle de Bellevue a néamoins été subventionné par Nantes Métropole au titre de « l’attractivité touristique ».

Navette à hydrogène : une presque première

“La première navette à hydrogène de France…” La presse nantaise n’a pas tardé à nous faire part de cette nouvelle “première” nantaise. Il est vrai qu’à quelques mois des municipales, il convient de souligner combien Nantes innove et comment notre “belle et grande métropole” (comme aime le répéter Johanna Rolland) donne le bon exemple s’agissant du développement durable.

Hélas, la réalité est, à nouveau, est un peu moins brillante que celle qui nous est “vendue”. En effet cette navette à hydrogène n’est pas du tout une “première en France”. Il existe en effet une navette à hydrogène en circulation, depuis novembre 2017, dans le port de La Rochelle. Après les navettes autonomes (cf l’article de Nantes +), après cette navette à hydrogène, Presse-Océan et Ouest-France devraient bientôt nous apprendre, via un communiqué de Nantes Métropole, que Nantes vient d’inventer le fil à couper le beurre. Blanc naturellement.

Soyons sérieux. On ne peut bien sûr que se féliciter de voir Nantes, après d’autres métropoles, se soucier de mettre en place des transports moins polluants. Mais on peut légitimement s’interroger sur la qualité de l’information donnée quotidiennement aux Nantaises et aux Nantais. Une navette à hydrogène, c’est de la bombe, coco ! Personne, ni à Presse-Océan, ni à Ouest-France (quotidien de référence ?), n’a pris le temps de vérifier l’information donnée par le service communication de Nantes Métropole. On reprend donc, mot pour mot, les (bonnes] paroles d’élu(e)s, ravi(e)s de participer à cette “première en France”. Et on en rajoute, photos à l’appui, sur l’importance de cet événement.

Sauf que cette première n’en est pas vraiment une. Même s’il convient de souligner que cette nouvelle navette a été mise en service sur l’Erdre et que celle de La Rochelle, faisant la navette entre le vieux port et les Minimes, circule en eau salée ! Dans l’attente d’analyses plus précises sur la salinité de l’eau de l’Erdre, Nantes peut donc légitimement revendiquer la première “navette fluviale”. Subtil, non ? Reste juste à la presse locale de mettre un bémol à son concert de superlatifs… mais c’est un autre débat.

Nantes toujours plus oubliée des palmarès touristiques

Lonely Planet, spécialiste mondial du tourisme, vient de publier son palmarès Best in Travel 2019 : la liste des meilleures destinations du moment, établie sur avis d’un panel de professionnels. Nantes n’y figure pas. On l’a échappée belle !

Car Lonely Planet a aussi publié ses Top Travel Trends for 2019 : les grandes tendances des voyageurs. Et la première de celles-ci est de rester à l’écart des grands flux touristiques (Getting off the touristed path). Il faut choisir des endroits peu visités. Nantes a donc sa chance.

Quand même, le palmarès de Lonely Planet laisse une petite amertume. Car parmi les meilleures villes touristiques de 2019, derrière Copenhague, Shenzhen et Novi Sad, figure en neuvième position une ville croate : Zadar !

Zadar… un mauvais souvenir pour Nantes. Mais qui s’en souvient ? C’était il y a un peu plus de trois ans. Le Voyage à Nantes avait décidé de présenter sa candidature au palmarès European Best Destination 2016. C’était bien son tour : Bordeaux avait été lauréat en 2015. Jean Blaise avait mobilisé ses soutiens… et Zadar avait gagné. Nantes n’avait été classé que quatrième, derrière Athènes et Plovdiv. Il est vrai que Zadar dispose, pour son attractivité, de quelques ruines avec lesquelles Nantes ne peut pas encore rivaliser. La tour de Bretagne y pourvoira-t-elle ?

Depuis lors, Nantes ne figure même plus au classement général annuel d’European Best Destination, ni à ses nombreux palmarès européens annexes (des meilleurs marchés de Noël, des villes gay-friendly, des joyaux cachés, etc.). Il faudra attendre la création d’un palmarès des monuments à l’abolition de l’esclavage ou d’un palmarès des machines mécaniques géantes (et même là, attention à Toulouse et Calais).

Une com’ touristique schizophrène

Nantes ne figure pas non plus parmi les World’s Best Places to Visit de U.S. News (n° 1 : Paris), ni les 18 Best Budget Destinations de Forbes, ni les Top Holiday Destination de CN Traveller (Arles, en revanche, y figure), ni le Top 25 des destinations de Tripadvisor (n° 2 : Paris), ni les 50 Best Places to Travel in 2019 de Travel+Leisure, ni les Best Trips 2019 de National Geographic (n° 5 : la Dordogne), ni le Where to Go in 2019 de Bloomberg… En fait, pour les grands du tourisme, le voyage à Nantes demeure une incongruité. Les millions d’euros investis dans le tourisme local depuis 2007 n’ont pas produit grand chose.

L’image compte. Pour en revenir à Lonely Planet, le leader mondial des guides de voyage n’ignore pas totalement Nantes. Il lui a consacré une page sur son site web. On y lit : « Welcome to Nantes. You can take Nantes out of Brittany (as when regional boundaries were redrawn during WWII), but you can’t take Brittany out of its long-time capital, Nantes (Naoned in Breton). » (on peut séparer Nantes de la Bretagne, comme lorsque les limites régionales ont été redessinées pendant la Seconde Guerre mondiale, mais on ne peut pas séparer la Bretagne de la ville qui a longtemps été sa capitale, Nantes ‑ Naoned en breton).

Si tel est notre principal atout touristique, Le Voyage à Nantes fait bien de l’éviter, histoire de rester off the touristed path.

Sven Jelure

P.S. Le dernier numéro de La Lettre à Lulu se penche longuement sur l’« AirBNBisation » de Nantes.