Éloge du « Pass » de côté

La Loi impose aux fonds de dotation de publier leurs comptes au Journal officiel au plus tard six mois après la fin de leur exercice. Le Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons devrait donc publier les siens avant la fin juin. On est impatient de savoir comment leurs aspects les plus acrobatiques auront été traités.

Ainsi, on se rappelle que lors de sa campagne de financement participatif sur Kickstarter, au printemps 2018, le Fonds a promis à ses gros donateurs (1.000 euros) de graver leurs noms sur les bancs des Machines de l’île Ça n’était toujours pas fait en fin d’année, mais comme les fonds de dotation doivent tenir une comptabilité d’engagement, leurs dettes sont immédiatement inscrites dans leurs comptes. Il sera intéressant de voir comment ces gravures futures ont été comptabilisées au 31 décembre.

Mais il y a mieux encore.

« Nous avons gardé des cartouches pour tenir le buzz », assurait Pierre Orefice en mars 2018, pendant la campagne Kickstarter, en promettant des « Pass ambassadeurs » aux gros donateurs : un don de 500 euros donnait droit à un pass – un abonnement gratuit – pendant dix ans, un don de 1.000 euros à deux pass pendant dix ans. Il y en a au total pour 2.360 années d’utilisation gratuite ! Mais avec ces cartouches, le Fonds pourrait bien s’être tiré une balle dans le pied, ce qui compliquerait les « pas de côté » chers au Voyage à Nantes.

A première vue, la promesse est banale : les récompenses des projets Kickstarter sont souvent les fruits des projets eux-mêmes. Si vous financez la création d’un CD, par exemple, vous recevez un exemplaire du CD. Il s’agit davantage de prévente que de cadeau. Eh bien, quoi ? Vous financez L’Arbre aux Hérons, vous recevez le droit d’y grimper gratuitement pendant dix ans, il n’y a pas de différence avec le CD, n’est-ce pas ? Hélas si :

1) Contrairement à l’éditeur du CD, le Fonds de dotation ne fournira pas lui-même le cadeau. Il a récolté l’argent mais ne gérera pas l’Arbre aux Hérons. Ses promesses devront être tenues par quelqu’un d’autre. Mais elles représentent quand même une dette envers ses donateurs. Comme il tient une comptabilité d’engagement, cette dette a dû être inscrite immédiatement dans ces comptes.

2) La promesse devra être tenue par quelqu’un d’autre. Le Fonds a dû obtenir un engagement de ce « quelqu’un ». Son président, Bruno Hug de Larauze, y a sûrement veillé. Car il est « seul responsable des promesses formulées dans le cadre de son projet », spécifie Kickstarter dans la section 4 de ses conditions d’utilisation. « S’il n’est pas en mesure de respecter les conditions de l’accord, il peut être poursuivi en justice par les contributeurs. »

3) Qui a pu souscrire cet engagement ? On ignore à ce jour qui serait l’exploitant de l’Arbre. Les Machines de l’île font comme si c’était elles. Mais cela supposerait que Nantes Métropole décide d’abord de construire l’Arbre, ensuite de confier sa gestion aux Machines via une délégation de service public à leur propriétaire, la SPL Le Voyage à Nantes. Le Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons a-t-il spéculé sur deux décisions futures du conseil métropolitain ? Ce serait spécialement hasardeux.

4) On pourrait imaginer que Nantes Métropole soit allé plus vite que la musique en promettant au Fonds de tenir ses promesses le jour venu. Mais elle n’aurait pu prendre un tel engagement gratuitement. Comme la gravure sur les bancs, ce serait une subvention en nature, interdite ! Et si elle fait payer l’engagement, le Fonds doit le comptabiliser aussitôt comme une dépense ou comme une dette.

5) Quelle est la valeur l’engagement pris ? Là, c’est facile ! La notion de « pass ambassadeur » renvoie clairement à une formule pratiquée par Les Machines de l’île. Son prix, 38 euros par an, est arrêté par le conseil métropolitain. Si Nantes Métropole soi-même considère qu’un « pass ambassadeur » vaut 38 euros, inutile d’aller chercher plus loin. Il y en a au total pour 2.360 x 38 = 89.680 euros. Presque un quart de la somme totale récoltée sur Kickstarter.

Est-il imaginable que le Fonds de dotation ait fait des promesses en l’air, comme un vol de héron virtuel, sans s’être assurés de bases solides ? Ah ! au pays de Jules Verne et de Neptunus Favet Eunti, aucune audace n’est impossible ! Mais il devra quand même, avant le 1er juillet, les inscrire dans ses comptes annuels publiés au Journal officiel, visés par un commissaire aux comptes et contrôlés par le préfet de Loire-Atlantique. Vu les risques de plantage du dossier, aggravés par l’éventualité d’un bouleversement électoral aux municipales de 2020, il est probable que tous les échelons concernés veilleront à ouvrir le parapluie en se montrant spécialement sourcilleux.

Au fait, pour l’anecdote, on notera que sur la base de 38 euros par an, la valeur des « pass ambassadeur » représente 76 % des montants donnés (380 euros pour un don de 500 euros et 760 euros pour un don de 1.000 euros), soit beaucoup plus que le plafond de 65 euros admis par le fisc pour les réductions d’impôt au titre du mécénat. Cerise sur le gâteau, ce détail aurait dû obliger le Fonds de dotation à payer une TVA sur les sommes recueillies.

Sven Jelure

Le Voyage à Nantes commence laborieusement en 2019

Le Voyage à Nantes commence à la descente du train. Les années précédentes, la première station du chemin de croix à travers la ville se trouvait au Lieu Unique. C’est déjà loin de la gare SNCF. S’il vous est arrivé de traîner des enfants sur près de 500 mètres de trajet sous le cagnard dans un site encore en chantier et presque dépourvu de végétation, vous savez que l’expression « chemin de croix » est à peine exagérée.

Sagement, cette année, les organisateurs ont donc érigé une œuvre d’art dès la sortie de la gare, histoire d’occuper les jeunes esprits. « Les enfants, qui trouvera le premier l’œuvre d’art de la gare ? »

Non, ce ne sont pas les deux nacelles orange, qui sont de vrais engins de chantier.

Non, ce n’est pas la résille blanche en haut à droite ; là, c’est le pare-soleil de la nouvelle gare.

Non plus, ce n’est pas le poteau de travers, qui est juste un poteau d’éclairage incliné.

Non, toujours pas, ce n’est pas le graffiti sur la palissade, qui est juste un graffiti sur une palissade.

Encore raté, ce n’est pas le disque solaire rouge et bleu, qui est juste un panneau d’interdiction de dépose-minute.

L’œuvre d’art, c’est le tas de planches au milieu, sur le toit de l’ancienne gare.

Il paraît qu’il faut y voir un nid géant. À la demande de Jean Blaise, Tadashi Kawamata va semer une dizaine d’installations du même genre à travers la ville. Au lieu de la traditionnelle chasse aux œufs de Pâques, on entraînera les enfants dans une chasse aux nids. Et c’est sans risque : ils ne seront pas habités. Dommage, on regrette encore les loups mis par Stéphane Thidet dans les douves du château pour Estuaire 2009. On aurait bien imaginé quelque ptérodactyle géant venant se servir parmi les voyageurs, sur le parvis de la gare, à l’heure du casse-croûte.

Voyage à Nantes
Le nantodactyle revient au nid. Une attraction du Voyage à Nantes 2019

Pourquoi des nids et pas des licornes, des armoires normandes, des ramasse-bourriers ou des ratons-laveurs ? Trop simple, tout ça ! Il fallait à Tadashi Kawamata quelque chose qui sorte de l’ordinaire et qui lui permette d’exprimer une vision esthétique puissante. Dans ce nid ferroviaire, on sent l’effort intellectuel de l’artiste qui crée. Et penser qu’il a réussi à en concevoir dix comme ça, ça impressionne. Vraiment.

Sven Jelure

Plus d’art vexillologique* à Nantes

Le drapeau attaché à grands frais en haut de la Tour LU en 2016 n’a jamais intéressé grand monde. Le Lieu unique attend-il que le vent finisse de le déchiqueter, ou bien va-t-il falloir, pour s’en débarrasser, faire revenir la grue géante qui avait été nécessaire pour l’attacher là-haut ?

— Pourquoi a-t-on attaché un chiffon en haut de la tour LU ? demande la charmante L…, en visite à Nantes pour la journée.
 Ce n’est pas un chiffon, c’est un drapeau. Un drapeau artistique, qui plus est !
— Ah ! oui, toujours vos prétentions de ville culturelle ! Très surévaluées, en voilà une preuve de plus.

Qu’opposer à cette ironie ? Le touriste consciencieux ne manque pas de jeter un œil à la tour LU. Normal elle est sur le guide officiel du Voyage à Nantes : « la célèbre boîte de biscuits trône à 38 mètres de hauteur, surmontant la sculpture allégorique de la Renommée et des six signes du Zodiaque ». Mais davantage que la disparition de la moitié des douze signes du Zodiaque, le touriste consciencieux et observateur remarque tout de suite la présence du chi… ‑ du drapeau sur la flèche de la Tour (car, contrairement à la cathédrale, celle-ci possède une flèche).

Or bien des Nantais ignorent tout de ce bout de tissu. Ce n’est pas que leur culture laisse à désirer, c’est que l’objet est dérisoire. Le guide du Voyage à Nantes ne lui consacre même pas une note de bas de page, c’est dire. Et Nantes+ lui fait ici beaucoup d’honneur !

L’as-tu vue, la casquette, la casquette…

Le jour où Donald Trump devient officiellement président des États-Unis, le 20 janvier 2017, de nombreux artistes en mal de notoriété voudraient bien tirer à eux un peu de l’attention des médias. Un trio installe une webcam sur un mur du Museum of the Moving Image, à New York, et invitent les passants à prononcer devant elle une formule sacramentelle, « He will not divide us » (il ne nous divisera pas), se livrant ainsi à l’admiration d’éventuels internautes sur le site web hewillnotdivide.us. Très vite, des passants, militants et marginaux s’apostrophent devant la caméra : le ver est dans le fruit, la division ne vient pas de Trump mais des Américains de la rue…

Les trois artistes ne persistent pas plus de trois semaines. Ils se replient sur une formule plus paisible et moins publique : ils déplacent leur webcam artistique dans un jardin du Tennessee et plantent devant elle un drapeau ainsi composé en noir sur fond blanc :

Les passionnés de fanions flottant paisiblement au vent peuvent le contempler, toujours sur le site hewillnotdivide.us. Hélas, le Tennessee a donné plus de 70 % de ses suffrages à Donald Trump en 2016. Au bout de quelques jours, les rares visiteurs de hewillnotdivide.us n’ont plus sous les yeux un drapeau mais une casquette rouge, couleur du parti Républicain, ornée du fameux slogan présidentiel : « Make America Great Again ».

Quelques revues culturelles relatent cette mésaventure. La Foundation for Art and Creative Technology de Liverpool s’offre à relayer les artistes américains. Elle hisse sur son toit un drapeau reconstitué, toujours face caméra sur hewillnotdivide.us. Cette aventure anglaise dure 48 heures. Des amateurs d’art montent voir de plus près le drapeau sur le toit du musée ; par précaution, ses dirigeants préfèrent le retirer.

Le Lieu unique, bien plus tard mais plus haut

Sept mois plus tard, le 16 octobre 2017, le Lieu unique, qui pédale dur pour recoller à l’actualité artistique internationale, installe donc en haut de sa flèche ce qu’il considère comme « l’une des œuvres d’art politique les plus remarquées de ces dernières années ». Bon, ce n’est pas La Liberté guidant le peuple, mais on fait avec ce qu’on a. L’accrochage du drapeau est réalisé grâce à une immense grue télescopique – un joli budget, soit dit en passant. De petits plaisantins cherchent à le brûler avec une torche portée par un drone, sans succès : les artistes maudits ont des tortionnaires à leur mesure.

En quelques jours, tout le monde oublie l’œuvre d’art. Pourtant, elle est toujours là, accrochée à la flèche de la Tour LU, où elle a donc passé plus de 90 % de son existence, filmée en direct par une webcam fixée en contrebas sur le toit du Lieu unique. Mais le temps et les intempéries ont fait leur boulot : du drapeau d’origine, il ne reste pas la moitié.

— Ce morceau de tissu est donc tout ce qui reste d’une glorieuse épopée. Comme le drapeau du dernier carré de la Garde à Waterloo.

— Merde, alors ! s’exclame la charmante L…, qui n’ignore pas que Cambronne était nantais.

Sven Jelure

* Vexillologie, du latin vexillum, étendard : science des drapeaux 

 

La Beaujoire : au stade de la colère

“Un stade volontairement sous-estimé…”, “La Beaujoire dans le jeu politique”… : malgré l’abandon du YelloPark, pas de semaine sans que la presse évoque un dossier (un de plus ?) qui pourrait bien animer la campagne municipale nantaise.

Dans une série d’articles, Médiacités Nantes avait pris de vitesse et débordé une communication municipale prompte à botter en touche. Au point qu’en février, Nantes Métropole finissait par dire “non” au projet de YelloPark présenté par Waldemar Kita. Faute d’avoir placé le FCN sur orbite européenne, comme il l’avait promis à son arrivée il y a 12 ans, l’homme se voyait bien en propriétaire heureux d’un stade que son club lui aurait payé. Mais une enquête pour fraude fiscale permettait opportunément à Johanna Rolland de sortir un carton rouge.

“Des négociations d’ici 2021” !

Si la décision était saluée, en coulisse, par des élus qui ne savaient plus comment défendre le projet YelloPark, les associations de supporters ne lâchaient pas l’affaire. Anticor 44 apportait de l’eau à leur moulin en révélant “la stupéfiante sous-estimation” de la valeur du stade de la Beaujoire dans le but de favoriser le projet Kita. L’asso À la nantaise, elle, allumait un autre feu en pointant le loyer “ridiculement faible” payé par Waldemar Kita pour la location du stade. De quoi mettre à mal la “totale transparence” sur ce dossier revendiquée par la présidente de Nantes Métropole.

180 000 euros par an ! Autant dire qu’à ce tarif, le stade de la Beaujoire est offert à Waldemar Kita. En 2014, la Chambre régionale des comptes avait souligné cette anomalie. Et la Ville s’était engagée à “entamer des négociations” pour revoir le montant du loyer. Un engagement resté lettre morte à ce jour. Ce que Nantes Métropole justifie en parlant de négociations gelées “en raison du projet de YelloPark”. Sauf qu’en 2014, comme en 2015 ou 2016, il n’était pas question de YelloPark. Et voilà qu’en 2019, après avoir beaucoup mouillé le maillot pour défendre  le projet de nouveau stade, Pascal Bolo annonce que les négociations auront bien lieu… “d’ici 2021”.  On se pince pour y croire.

La “générosité” de Nantes Métropole

Si on comprend bien, en 2014, la Ville s’engageait à revoir le loyer dans les meilleurs délais et on annonce en 2019 que ce sera fait “d‘ici 2021”.  Le moins qu’on puisse dire est que Waldemar Kita a affaire à un propriétaire compréhensif et généreux. D’ici là, il pourra donc continuer à utiliser le stade à moindre frais et tant pis pour les contribuables nantais. Au bout du compte en effet, ce sont bien les contribuables qui voient leur patrimoine bradé par la municipalité. Le discours officiel “pas d’argent public pour le foot business” n’aura trompé personne : depuis des années, le foot business bénéficie des largesses de Nantes Métropole.

Il y a quelques mois encore, Nantes Métropole justifiait le projet de nouveau stade par son incapacité à rénover l’actuel stade de la Beaujoire. On comprend, compte tenu du loyer versé par son locataire, que le propriétaire puisse trouver la nécessaire rénovation trop coûteuse. Mais ce dossier a-t-il vraiment été géré dans l’intérêt des contribuables ? Inauguré en 1984, le stade a fait l’objet de travaux  en 1998 pour l’accueil de la Coupe du Monde de football et depuis… plus rien ou presque ! Or ce stade, propriété de Nantes Métropole, a été payé par les contribuables. À ce titre, il fait partie du patrimoine collectif.

Une gestion erratique

Pour défendre ses arguments, Johanna Rolland et Pascal Bolo peuvent compter sur la bienveillance de certains journalistes. Dans son édition du 15 mai, Ouest-France publiait un long article sur “l’exploitation de la Beaujoire”. Article dans lequel les positions d’Anticor 44 et d’À la nantaise sont systématiquement remises en cause. Dans un format éprouvé – “vous vous posez  des questions, je vous donne les réponses” -, Stéphanie Lambert déroule un argumentaire que ne renierait pas le cabinet de Johanna Rolland. En gros, tout cela est exagéré. Ben voyons… Y a-t-il eu tentative de “brader ” le stade ? Réponse : mais non, pas du tout. Le loyer : un “cadeau de grande ampleur” ? Réponse : mais non, ce n’est pas si simple. Et on vous passe les arguments qui justifient la non-rénovation du stade par Nantes métropole. Tout cela pour conclure que ce dossier pourrait animer les débats pour les municipale. Tiens donc… en voilà une idée !

Une chose est sûre : un grand nombre de supporters ne croient pas davantage à la volonté de  transparence de Nantes Métropole sur ce dossier qu’aux ambitions sportives de Waldemar Kita. Si l’actuel patron du FCN fait parler de lui, au plan national, c’est davantage pour sa gestion erratique du club et la valse des entraîneurs qui va avec que pour les résultats de son équipe depuis 12 ans.

Victor Hublot

L’Arbre aux Hérons, éloge du pas de côté

À en croire Le Voyage à Nantes, l’Éloge du pas de côté, statue de Philippe Ramette imposée par ses soins aux Nantais, serait représentatif de la ville. Le projet d’Arbre aux Hérons fait de son mieux pour valider cette théorie du glissement latéral : il marche en crabe.

En crabe, mais lentement. Le 6 mars 2018, sur le site de financement participatif Kickstarter, chacun pouvait lire que les donateurs d’au moins 10 euros recevraient en exclusivité « L’histoire de la construction de l’Arbre aux Hérons racontée en direct de 2018 à 2022 en 14 chapitres (via 3 newsletters par an) ». Il a fallu attendre plus d’un an pour que cette promesse reçoive un début de réalisation, d’ailleurs accessible à tout le monde et pas seulement aux 5.340 généreux donateurs concernés en principe.

Surprise : le texte est intitulé « Chapitre 2 ». Personne n’a vu la couleur du chapitre 1, et pour cause : on apprend que la présentation du projet sur Kickstarter, elle aussi ouverte à tout le monde, devait être considérée rétroactivement comme ce chapitre 1 ! Le chapitre 3 est promis pour l’automne 2019. À ce train-là, il faudrait bien sept ans pour arriver au chapitre 14. C’est dire si les rédacteurs sont optimistes sur l’avancement du projet…

Au fait, ces rédacteurs, qui sont-ils ? Le récit était promis par le Fonds de dotation de L’Arbre aux Hérons, présidé par Bruno Hug de Larauzière et administré par Karine Daniel. Mais le texte qui vient de paraître est signé de Pierre Orefice et François Delarozière. Un grand patron et une ancienne députée comme hommes de paille ? Ça c’est du pas de côté de luxe !

Qui s’offre encore le temps de s’offrir des détours… 

Si l’on prend un peu de recul, ces glissements occultes n’ont rien d’étonnant. L’Arbre aux Hérons est un vieux projet. « C’est 2019 ou jamais », jurait Pierre Orefice voici six ans, en avril 2013. Si le projet n’était pas réalisé au plus tard en 2019, les Machines de l’île étaient fichues. Heureusement, le patron des Machines a changé d’avis : elles survivront quand même.

Jusqu’à quand ? En juin 2017, une présentation du projet par les deux auteurs indiquait que, suite au lancement du projet par Johanna Rolland le 7 juillet 2016, « sa réalisation se fera sur 5 ans, son ouverture au public est donc programmée pour 2021 ». La même présentation en version juin 2018 corrige : « sa réalisation se fera sur 4 ans, son ouverture au public est donc programmée pour 2022 ». Ainsi, 2016+5=2021, tandis que 2016+4=2022…

À ces pas de côté dans le temps s’ajoute un pas de côté dans l’espace. Pendant des années, les promoteurs de l’Arbre aux Hérons l’ont vu sur l’île de Nantes. Jean-Marc Ayrault avait voulu y créer un nouveau quartier ? Johanna Rolland aurait aussi le sien, du côté de Chantenay ! Aussitôt, les arboriculteurs se raccrochent aux branches : « C’est le plus bel endroit du monde pour faire l’Arbre aux Hérons », assure aussitôt Pierre Orefice, qui n’a jamais craint les exagérations. Miséry, c’est beaucoup moins dansant mais tout aussi charmant…

Pas de côté vers la dendrologie indienne

Le Chapitre 2 de la saga, qui vient de sortir donc, multiplie les pas de côté. Le plus voyant s’étale dès la première phrase : « Les auteurs ont retenu un type d’arbre inspiré de la famille des banians. » Pourquoi choisir cet arbre du sous-continent indien ? « Le roi rendait la justice sous un chêne », rappelaient MM. Orefice et Delarozière dans les présentations du projet citées plus haut. « On l’imagine durer des siècles, tel un chêne », disaient-ils de l’Arbre à L’Express. Pourquoi pas un chêne, alors ?

Derrière ce petit mystère, une grosse roublardise transparaît vite. « Le choix du type d’arbre nous a incité à imaginer la présence d’un système racinaire », poursuivent les auteurs. Dame, c’est la caractéristique notoire des banians : ils forment des racines aériennes qui tombent jusqu’au sol. Ainsi, puisqu’on a choisi le banian, on a des racines ? En fait c’est l’inverse : cette fois-ci, il s’agit de raccrocher les branches.

L’idée de l’Arbre remonte à 2002 et a en principe été testée depuis 2007. Pourtant, ses promoteurs semblent avoir découvert en 2018 seulement que ses branches en acier seraient trop lourdes. Elles ne sont pas comme la statue de Ramette place du Bouffay : il faudra les soutenir. D’où ce pas de côté botanique : puisqu’il va falloir mettre des étais, on va prétendre que ce sont des racines aériennes et assurer, dans une rhétorique de marchand de tapis, que l’arbre est en fait un banian.

Jalons vers d’autres pas de côté

Le « Chapitre 2 » ménage en outre des issues de secours vers d’autres dérapages potentiels. L’ouverture de l’Arbre, on l’a vu plus haut, est pour 2022. Ou même 2021 comme le dit Johanna Rolland dans un texte encore affiché sur le site web de Nantes Métropole. Mais, également sur le site de Nantes Métropole, Pierre Orefice n’hésite pas à contredire le maire de Nantes : « Nantes Métropole arbitrera en juin pour savoir si l’on ouvre à Pâques 2022 ou en début d’année 2023 ». Ou aux calendes grecques, peut-être ?

Le pas de côté budgétaire – autrement dit le dérapage – menace aussi. Et même deux fois dans cette seule phrase du Chapitre 2 : « Le budget total de la construction de l’Arbre aux Hérons a été estimé à 35 millions d’euros HT en 2013 ». Les partisans de l’Arbre avaient toujours annoncé 35 millions d’euros. Mais si c’est du hors taxes, le TTC se trouve propulsé au-delà de 40 millions. Et puis ce rappel chronologique, « en 2013 » ressemble assez à une perspective de réévaluation prochaine. Tout augmente, n’est-ce pas, alors l’Arbre, au bout de six ans… Sauf qu’il était encore estimé à 35 millions d’euros l’an dernier : le 23 avril 2018, Nantes Métropole écrivait que « le coût total de l’Arbre à hérons s’élève à 35 millions d’euros ».

L’hypothèse du dérapage est clairement avancée, à petits pas de côté mais avec des gros sabots. En février dernier, Pierre Orefice déclarait que « côté budget, nous sommes en cours de chiffrage pour voir comment tenir dans notre enveloppe de 35 millions d’euros – nous le saurons à la fin du mois de juin ». Pour ceux qui trouveraient ça un peu gros, la phrase figure, elle aussi, sur le site web de Nantes Métropole.

L’argent de côté, lui, manque

Mais alors, si l’on en est déjà à plus de 40 millions d’euros TTC avec l’éventualité d’une augmentation à venir, la somme à recueillir auprès du secteur privé pourrait augmenter en proportion, n’est-ce pas ? Pour l’instant, les promoteurs de l’Arbre ne prévoient rien de plus que le tiers de la somme HT annoncée, soit près de 12 millions d’euros.

Telle est la condition posée par Johanna Rolland pour lancer la construction de l’Arbre aux Hérons. Mais Pierre Orefice commence à brouiller les pistes. « Il nous reste 4 ans pour atteindre 12 millions d’euros », disait-il en février. Voilà un pas de côté spécialement vicieux ! Si la construction de l’Arbre était lancée sans que l’argent soit là, les collecteurs de fonds n’auraient plus autant de raisons de se décarcasser. Il y a gros à parier que la facture serait in fine refilée aux contribuables. Johanna Rolland pourrait-elle mordre à un hameçon si évident ? Comme, là encore, la déclaration est parue sur le site web de Nantes Métropole, on peut se demander si elle n’a pas déjà mordu…

Car le financement privé patine. « Ça avance », assurait pourtant Pierre Orefice à Yasmine Tigoé dans Ouest France le 10 février dernier« Une quarantaine d’entreprises se sont engagées, par courrier, à participer au financement. », pour un montant de 4 millions au total. Ce qui montre au contraire que, non, ça n’avance pas du tout, car Pierre Orefice annonçait déjà 4 millions et quarante entreprises au mois d’août (entretien avec Rozenn Le Saint paru dans Capital).

Peut-être même que ça recule, à en croire le Chapitre 2 : « À ce stade, 9 entreprises ont signé une convention qui formalise leur soutien à l’Arbre aux Hérons. Au-delà une quarantaine d’entreprises se sont engagées à soutenir ce projet ». En 2016, Presse Océan avait établi une liste de quinze entreprises données comme « sûres ». Et voilà qu’il n’en reste que neuf ! Une seule, semble-t-il, a publiquement annoncé un montant précis : les Pépinières du Val d’Erdre, pour 50.000 euros. On est loin de 12 millions. Même si les quarante entreprises alléguées se cotisaient pour le même montant, il manquerait encore 10 millions d’euros pour faire le compte ! Or, évidemment, plus le projet devient aléatoire, moins les entreprises se précipiteront pour le financer…

Sven Jelure

Nantes tech : plus de mousse !

Nantes, nouvelle Capitale French Tech. Voilà qui méritait bien l’un de ces communiqués ronflants dont Nantes Métropole s’est fait une spécialité. Plus la réalité est “gazeuse”, plus il convient de faire de la mousse. Car, comme bien souvent, au poids des mots répond le choc d’une réalité nettement moins glorieuse.

Premier “détail” minimisé par le service info métropolitain, Nantes n’est que l’une des 13 capitales french tech de l’hexagone. On y retrouve le Grand Paris, Aix-Marseille, Lille, Bordeaux, Toulouse, Lyon-Saint-Étienne et même… Brest. Voilà donc la crème de la french tech soutenue par le secrétariat d’État au numérique qui ne ménage pas ses efforts, via la mission french tech créée à cet effet, puisque sont aussi labellisés quelque 48 communautés french tech et 48 communautés french tech à l’international. Au total, ce sont donc 109 communautés qui ont été labellisés par la Mission french tech.

Relancer le « machin »

La french tech est devenue l’un de ces “machins” dont on raffole en France. À l’État, et donc aux contribuables, plutôt qu’aux entreprises et au secteur privé, de préparer et de financer des lendemains qui chantent. Pas si simple si l’on en croit La Tribune (du 3 avril dernier) qui souligne la nécessité de “relancer” la machine. Cette labellisation vise, nous dit-on, à “faire le ménage dans les initiatives locales… dont le fonctionnement est souvent rendu difficile par les luttes de pouvoir entre les différents acteurs”. Une analyse qui semble faire écho à la longue enquête que Médiacités Nantes a consacré à ce sujet.

Dans cette enquête, en trois volets et fort bien documentée, Médiacités Nantes a pu souligner les (très) faibles retombées économiques réelles de la “start-up nantaise”. Et mettre en lumière les relations entretenues par cette “bande de copains” startupers avec la municipalité. Un article de Presse-Océan, dès octobre 2017, parlait déjà de “gros sous et copinage”. Dès qu’on parle Nantes-tech, l’adjoint au numérique, Francky Trichet, est en première ligne. Avec en charge l’animation et le contrôle du mouvement. Le bouillonnement, c’est bien, mais inutile qu’il déborde le cadre que la ville lui a fixé.

Kat Borlongan, directrice de la Mission french tech, créée par Fleur Pellerin en 2013, a publiquement regretté que “certains boards de French Tech ont été menés par des gens qui n’étaient pas entrepreneurs et n’avaient que ça à faire”. Suivez son regard. D’où le souhait formulé de soutenir désormais “des projets concrets avec des résultats attendus”. Son souhait ? qu’au moins 75% des membres des “boards” de ces “capitales french tech” soient des entrepreneurs ou des dirigeants de startups. Ce qui, aujourd’hui, est loin d’être le cas.

Accessible en cliquant sur l’éléphant. Et là, on fait quoi ? On éclate de rire ?

Résultats décevants

Ce serait (presque) négligeable, si les résultats étaient au rendez-vous. Or, côté résultats, justement, l’enquête de Médiacités révèle, sans surprise, les maigres retombées enregistrées à ce jour en terme d’activité économique et d’emplois. Par ailleurs, la pérennité des entreprises est loin d’être assurée. Qu’importe cette réalité : Nantes Métropole “estime” que “5 700 emplois ont été créés”. On appréciera la prudence puisqu’on ne sait pas d’où vient cette “estimation”, ni de quand elle date.

Nantes Métropole qui ne manque pas de souligner son soutien à l’innovation a souhaité mettre en place “son” quartier de la création. La création labellisée, ce sera là et nulle part ailleurs ! Ce quartier aura son “bâtiment totem”, la halle 6 des anciens ateliers Alsthom. Une halle appelée à devenir “le centre névralgique pour l’animation et le rassemblement de la communauté”. Fermez le ban.

Appelée à promouvoir la “nouvelle capitale french tech”, la presse locale s’est sagement empressée de relativiser. C’est ainsi que Ouest-France, dans son numéro du 4 avril rappelle que “l’association reçoit des subventions qui servent à ouvrir des locaux où ces entrepreneurs organisent des pince-fesses…” Nantes reste une fête et c’est là l’essentiel. Le journal reconnaît épargner à ses lecteurs “le jargon mystérieux utilisé par la Métropole pour célébrer ce type d’événements”. Ce dont chacun lui est reconnaissant. Encore que, pour le plaisir, on peut jeter un œil sur le site (nantestech.com) pour en être convaincu : Nantes, c’est plus que jamais Nantesplus ! Le contribuable, lui, aimerait juste un peu “plus” de résultats concrets. À défaut, Francky Trichet et ses startupers pourraient sortir de l’entre-soi et offrir aux contribuables nantais une soirée… mousse. Soirée évidemment sponsorisée par le service com’ de Nantes Métropole, devenu maître en la matière.

Victor Hublot

Jean Blaise, intermittent du voyage

La Cantine du Voyage, que TripAdvisor classe 627e sur 1 233 restaurants à Nantes, a rouvert ce jeudi. L’été commence tôt cette année.

À cette occasion, 20 Minutes titre : « Le Voyage à Nantes, qui rouvre sa Cantine dès jeudi, veut capter les touristes toute l’année ». Julie Urbach a recueilli les commentaires de Jean Blaise, patron du tourisme à Nantes. « On pense de plus en plus à ce que l’on appelle le Voyage permanent », assure-t-il. Autrement dit, faire venir les touristes toute l’année et pas seulement en été.

Quel est le nom de famille d’Aloïs, déjà ? Il suffit de consulter le site web du Voyage à Nantes, dirigé par Jean Blaise pour constater que, « depuis 2012 », il « s’attache à promouvoir toute l’année un parcours pérenne d’une quarantaine d’étapes ». C’est un leitmotiv de ses rapports annuels d’activité, comme en 2014 par exemple : « toute l’année, Le Voyage à Nantes travaille pour le développement du tourisme à Nantes ». Présentant une appli touristique nantaise, Ouest France écrivait ceci le 12 juillet 2013 : « C’est aussi une manière de bien faire comprendre que le Voyage à Nantes, c’est toute l’année, indique Jean Blaise, directeur du VAN ». Et c’est d’ailleurs ce qu’on attend de tout office du tourisme qui se respecte…

Au Havre, l’été dure toute l’année

Les biennales Estuaire (2007-2009-2012), dirigées par le même Jean Blaise, visaient elles aussi à créer une attraction touristique permanente. Là aussi, interrogeons le site web officiel qui présente « une collection d’œuvres d’art contemporain à Nantes, Saint-Nazaire et sur les rives de l’estuaire de la Loire, à découvrir toute l’année ». En 2013, présentant une vidéo sur Estuaire, Jean Blaise tenait à « rappeler qu’Estuaire, comme le Voyage à Nantes, a donné naissance à des monuments exceptionnels qu’il est possible de découvrir toute l’année ».

Penser « de plus en plus » en 2019 à un tourisme annualisé qu’on était censé promouvoir dès 2012, est-ce un aveu d’échec pour les sept années précédentes ? Ou est-ce plutôt que Jean Blaise ne sait plus très bien où il habite ? À côté du Voyage à Nantes, il dirige Un été au Havre. Et il n’en peut plus, car pour préparer cette manifestation estivale, explique-t-il tout réjoui face caméra« il faut d’abord commencer à travailler en automne, en hiver, au printemps et ensuite l’été au Havre ». Toute l’année, quoi. On peut comprendre qu’il ait un peu perdu de vue sa responsabilité nantaise, tout en continuant à percevoir son salaire toute l’année, bien entendu.

Sven Jelure

L’Arbre aux Hérons encore plus ouvert au public ?

Où en est le projet d’Arbres aux Hérons ? Quelques documents publiés épisodiquement permettent de s’en faire une idée. Parmi eux figure par exemple un « Dossier de présentation des premières hypothèses d’exploitation et de sécurité », à en-tête de La Machine : du lourd et du sérieux, donc.

En voici deux phrases. Trouverez-vous le détail qui cloche ?

« Les problématiques concernant l’accessibilité sont au centre de nos métiers, aussi bien pour la construction d’installations recevant du public (ou de manèges forains) que pour leur exploitation. Pour les deux premières tranches des Machines de l’île, les auteurs et les constructeurs ont imaginé de nombreuses solutions pour rendre aussi bien le Grand Eléphant, le Carrousel des Mondes Marins et la Galerie des Machines accessibles à tous les publics. »

Si vous donnez votre langue au chat, voici ce qui cloche : c’est l’expression « installations recevant du public ». La législation française distingue les « établissements recevant du public » (ERP) et les « installations ouvertes au public » (IOP). Les formalités et contrôles de sécurité pesant sur les ERP sont plus lourds que ceux pesant sur les IOP.

La formule bâtarde (IRP…) qui figure dans le document de La Machine est donc ambiguë. À dessein ? « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment », assurait le cardinal de Retz. Cependant, un peu plus bas dans son document, La Machine affirme explicitement que le « cadre réglementaire » applicable à toutes les parties publiques de l’Arbre aux Hérons serait celui d’une « installation ouverte au public (IOP) ».

Ce qui est étrange. Le Carrousel des Mondes Marins, expressément cité plus haut, n’est pas une IOP mais un ERP ; il est prévu pour 300 visiteurs alors que l’Arbre pourrait en recevoir 550. Un débit de boisson est explicitement un ERP de type N (la cour d’appel de Nantes a eu à se prononcer sur le sujet voici quelques années) ; l’Arbre aux Hérons devrait en compter deux. Il comportera aussi une boutique (ERP de type M) et une salle de vidéo (ERP de type L).

Alors, présenter l’Arbre aux Hérons comme un IOP plutôt qu’un ERP serait-il une simple étourderie ? Se planter sur le sujet ferait plutôt désordre pour Nantes Métropole, qui serait propriétaire de l’Arbre. Johanna Rolland ferait bien d’éclaircir la question sans tarder.

Sven Jelure

Les start-ups nantaises entre bonne fée Johanna et marâtre nature

On aimerait croire les belles histoires. La société nantaise Bescent est rachetée par Lampe Berger, nous apprend Presse Océan ce 14 mars. Bescent, c’est le créateur en 2015 du « réveil sensoriel » Sensorwake, un réveil-matin qui diffuse une odeur suave au lieu de déclencher une sonnerie. Idée aimable. Succès médiatique, d’autant plus que l’un des deux fondateurs de la société, Guillaume Rolland, n’avait alors que 18 ans. Avec Lampe Berger, Bescent « passe la vitesse supérieure », assure Presse Océan.

En fait de vitesse supérieure, Bescent, déficitaire, a été mis en règlement judiciaire début février. Son cofondateur, Ivan Skybyk, s’en était déjà dégagé l’été dernier. Sa vente à Lampe Berger n’est pas une promotion, c’est une solution élégante pour quitter la scène en limitant les dégâts.

L’important est d’entreprendre, échouer n’est pas si grave. Sauf que Bescent n’aurait jamais dû échouer. C’était l’une des sept start-ups sélectionnées en 2015, parmi soixante-deux candidatures, par la Creative Factory. Celle-ci n’est autre que le cluster des industries créatives et culturelles de l’île de Nantes, géré par la Samoa, une SPL dont le capital appartient majoritairement à Nantes Métropole. La Samoa est présidée par Johanna Rolland.

Bescent aux enfers ?

La Creative Factory, dont on se demande pourquoi elle a justement choisi un nom si peu créatif, se présente elle-même comme un « opérateur économique de développement des filières des industries culturelles et créatives ». Elle « dispose d’une offre de services et d’un dispositif d’accompagnement qui favorisent l’implantation de votre entreprise, la création d’emplois et la pérennité économique de vos projets ». Elle prend chaque année sous son aile quelques start-ups afin de les accompagner vers le succès. Et l’argent abonde : depuis six ans, les entreprises soutenues par Creative Factory ont levé 13,9 millions d’euros.

Avec un tel tuteur, Bescent n’aurait jamais du échouer mais a échoué quand même. La Creative Factory a-t-elle mieux réussi l’implantation, la création d’emploi et la pérennité avec les six autres start-ups de sa promotion 2015 ?

  • Baludik, éditeur d’une appli mobile pour les acteurs du tourisme, ne va pas trop fort. Ses actionnaires ont décidé en 2018 de poursuivre l’activité malgré une perte supérieure à la moitié du capital social. Plus récemment, ils sont convenus de remettre de l’argent au pot pour reconstituer l’actif net.
  • Mobidys, alias Majenat SAS, éditeur de livres numériques pour les publics atteints de troubles de l’apprentissage de la lecture, est toujours là, et fonctionne réellement. La société dépose même ses comptes annuels au greffe du tribunal de commerce, obligation légale dont beaucoup de start-ups se dispensent. Mais elle les assortit d’une déclaration de confidentialité, ce qui signifie souvent qu’ils ne sont pas très bons. Et sa présidente vient de créer une autre entreprise : va-t-elle prendre la tangente ?
  • Music You Share, créateur d’un réseau social musical, semble avoir disparu en rase campagne. Son site web mysit.com est introuvable, son compte Twitter n’est plus alimenté depuis trois ans
  • Myteeshirtletter, alias Play Art Atelier, à Longeville-sur-Mer, créateur de t-shirts personnalisés vendus sur abonnement, a été mis en liquidation judiciaire par jugement du 4 avril 2018.
  • OPDesign, créateur de meubles en béton, a été liquidé et radié du RCS au printemps 2018. L’adresse de son site web opdesign.com est à vendre, pour ceux que cela intéresserait.
  • Termites Factory, producteur de film et de programmes pour la télévision, a été mis en liquidation judiciaire simplifiée par jugement du 10 octobre 2018.

Sven Jelure

Nantes toujours plus féministe en paroles

Le 8 mars est une journée importante pour Madame Monsieur le maire de Nantes

Johanna Rolland tient à ce qu’on l’appelle Madame le maire. N’empêche, à l’occasion de la Journée de la femme, le 8 mars, elle s’est fendue d’une tribune dans Le Monde et d’un discours à l’espace Simone de Beauvoir (auquel la ville de Nantes verse 107.000 euros de subvention annuelle) où s’ouvrait le festival « Portée de femme ». « Le monde culturel et le milieu musical, tout comme la société dans son ensemble, ne sont pas épargnés par les inégalités et discriminations de genre », a-t-elle déploré.

Heureusement que Nantes, histoire de redresser la balance, pratique une stricte égalité « de genre » dans le domaine culturel. La mission incombe à un homme, David Martineau, adjoint à la culture, qui n’occupe que le 11ème rang dans la hiérarchie du conseil municipal.

Quand on parle culture à Nantes, à quelles institutions songe-t-on ? Par l’importance des budgets, d’abord au Voyage à Nantes, dirigé par un homme, Jean Blaise. Deux gros morceaux culturels ou réputés tels sont placés sous sa responsabilité : le Château des ducs de Bretagne et les Machines de l’île, sous la houlette de Bertrand Guillet et Pierre Orefice. Les Machines de l’île se fournissent essentiellement auprès de La Machine, de François Delarozière. Autre gros morceau budgétaire, Angers Nantes Opéra a été confié à Alain Surrans.

Les femmes au musée

Du côté des grandes manifestations culturelles, Nantes met systématiquement en valeur La Folle Journée, fondée par René Martin. Elle est hébergée par La Cité, que gouverne Denis Caille, et Le Lieu unique, dirigé par Patrick Gyger. Loin derrière vient le Festival des Trois continents créé par les frères Jalladeau et aujourd’hui piloté par Jérôme Baron. Quant à Royal de Luxe, qu’on s’entête à dire culturel, Jean-Luc Courcoult y tient toujours la barre. Également dans l’orbite d’une municipalité qui leur confie de gros moyens, Stéréolux, Trempolino et Pick Up Production sont dirigés respectivement par Éric Boistard, Olivier Tura et Nicolas Reverdito.

Pas une femme, donc, pour prouver le sentiment égalitaire de Nantes ? Si quand même : Sophie Levy dirige le Musée d’arts de Nantes. Elle succède même à deux femmes. Qui n’ont pas toujours eu la vie facile : difficile d’échapper à la discrimination de genre. Quant au musée Jules Verne, il a pour patronne Agnès Marcetteau.

En queue de conseil

Du côté de la « société dans son ensemble », le féminisme militant de Johanna Rolland se manifeste clairement dans la hiérarchie du conseil municipal de Nantes et du conseil de Nantes Métropole. Parmi les dix premiers adjoints de Nantes, on compte quand même une femme, Pascale Chiron. Côté pecking order de Nantes Métropole, Michèle Gressus compte au sixième rang des vice-présidents, Claudine Chevallereau au onzième. Dame ! Tout le monde ne peut pas être premier comme Fabrice Roussel, deuxième comme Bertrand Affilé, troisième comme Pascal Bolo, quatrième comme Gérard Allard, cinquième comme Michel Lucas… Les huit femmes, contre douze hommes, de cette armée mexicaine, sont donc plutôt vouées aux derniers rangs.

Tandis que Johanna Rolland mettait la dernière touche à ses déclarations féministes se tenait à la Sorbonne, le 6 mars, un colloque le thème « Féminisme et communication ». Il était consacré au women washing, la com’ à prétentions féministes plaquée sur une réalité qui l’est beaucoup moins.

Sven Jelure

N.B. Article rédigé sur une idée d’E.L. Merci à lui.