Jean Blaise prend sa retraite au 31 décembre. Les thuriféraires réfléchissent à des louanges qu’il ne se serait pas déjà décernées lui-même ‑ en attendant les critiques, qui viendront quand il sera parti. Comment rendre compte en quelques phrases de quarante ans de carrière ? Les quelques éléments de langage ci-dessous pourraient aider.
D’un point de vue satirique, on est tenté de voir en Jean Blaise un Covielle qui serait en même temps M. Jourdain : un manipulateur épaté par ses propres racontars, assez représentatif au fond des boomers, les enfants d’après-guerre, une génération cocoonée, facilement autosatisfaite car peu exigeante avec elle-même, disposée à prendre la communication pour une qualité substantielle.
Arrivé à Nantes comme militant politique lors de la création du CRDC, « dont l’objectif avoué est de soutenir les socialistes aux élections municipales de Nantes en 1989 » (Laure Delavaud, « Espace politique/espace culturel : les intérêts d’une alliance », Terrains et travaux n°13), Jean Blaise bénéficie d’une accélération de carrière quand Jean-Marc Ayrault est élu maire de Nantes. À 40 ans, il crée le festival des Allumées, qui introduit sur les bords de la Loire des pratiques nées ailleurs (Suisse, Belgique, Royaume-Uni…) et les habille d’un concept séduisant, celui des six villes portuaires invitées. « L’idée était de faire croire que Nantes était elle-même une ville créative et culturelle, reconnaît-il lui-même aujourd’hui (Le Monde, 11 juillet 2024). C’était du bluff. » Le succès est tel à Nantes, au moins dans la génération d’après-guerre, que, jusqu’à nos jours, trente ans plus tard, les portraits de Jean Blaise comprennent quasi rituellement un rappel des Allumées.
Esquiver les mots et les chiffres vulgaires
La suite est moins glorieuse et le savoir-faire acquis en matière de bluff peine à le dissimuler. Les festivals Trafics et Fin de siècle, qui succèdent aux Allumées, sont des échecs cuisants. Jean Blaise se replie pendant quelques années sur la gestion du Lieu Unique, maison de la culture en version post-industrielle, jusqu’au lancement de la biennale Estuaire, qui aura trois éditions, en 2007, 2009 et 2012. L’ambition est belle, à la mesure du site, mais la réalisation peine à suivre : le canard crève, la maison dans la Loire chavire et le budget dérape, ce qui vaut à Jean Blaise des critiques sévères de la Chambre régionale des comptes. Pourtant, au lieu de le sanctionner, Jean-Marc Ayrault lui confie en 2011, comme un cadeau pour ses 60 ans, la gestion de l’ensemble du tourisme nantais via la société publique locale Le Voyage à Nantes (ainsi nommée pour éviter le mot « tourisme », « qui nous semblait vulgaire », explique-t-il à Presse Océan).
Jean Blaise prétend alors faire entrer Nantes dans le « top 5 » des destinations touristiques françaises et dispose d’un budget à la mesure de cet objectif. Les atouts ne manquent pas. En 2007, le château des ducs de Bretagne a rouvert au public après une rénovation massive. La même année ont été inaugurées les Machines de l’île, sur lesquelles Jean-Marc Ayrault comptait déjà pour faire de Nantes une destination touristique internationale. Le tourisme est en plein essor dans le monde entier et l’office de tourisme fonctionne correctement. Mais Jean Blaise tient à lui superposer une couche personnelle : un événement artistique estival lui aussi intitulé Le Voyage à Nantes, doté de plusieurs millions d’euros, qui présente des œuvres souvent déjà vues ailleurs, tout en affectant d’ignorer celles que Nantes possède déjà depuis des siècles ou des décennies. Chaque saison s’achève invariablement sur des communiqués de victoire et des bilans glorieux quoique invérifiables. Cependant, treize ans plus tard, la progression vers l’objectif affiché paraît minime et l’essoufflement est évident. Voici l’évolution des recherches sur « le Voyage à Nantes » selon Google Trends :
Des palmarès impitoyables
Non seulement Le Voyage à Nantes intéresse de moins en moins, mais les signes d’intérêt sont très majoritairement régionaux (pour 100 requêtes venues de la région Pays de la Loire, il n’en vient que 3 de l’Île-de-France). Cette tendance déclinante est paradoxale. Le Voyage à Nantes prétend enrichir chaque année le patrimoine culturel nantais avec des « œuvres pérennes ». Il devrait donc bénéficier d’un effet boule de neige. Apparemment, il n’en est rien. Il est vrai que les deux douzaines d’œuvres amassées à ce jour laissent souvent sceptique. Jean Blaise s’entête à appliquer une politique peu efficace. Et trop coûteuse : bien que son équation économique soit prévisible puisque largement fondée sur des subventions, Le Voyage à Nantes a dû avouer près d’un million d’euros de déficit en 2023. Quant au Voyage en Hiver, ultime initiative de Jean Blaise, il irrite les Nantais sans guère attirer de touristes.
L’image de la ville se dégrade : Nantes, qui caracolait en tête des classements urbains à la fin du siècle dernier, traîne à présent dans les profondeurs des palmarès. L’insécurité l’explique sans doute davantage que le peu d’efficacité du Voyage à Nantes, mais il était illusoire de penser qu’une culture périssable suffirait à masquer les manques. Cependant, Jean Blaise ne peut se montrer désobligeant avec Johanna Rolland. Il préfère soutenir des « vérités alternatives » dans des bulletins de victoire peu étayés. Bluff toujours.
Nanti au passage d’une mise en examen dans une affaire liée au Carrousel des mondes marins, Jean Blaise, une fois parti, sera probablement blâmé pour ses dérapages budgétaires et ses bons plaisirs artistiques : après la retraite, la déroute. En attendant, il s’apprête à recevoir les compliments d’usage déversés par les obligés de ses quarante ans de présence. Ils ne suffiront pas à dissimuler que, jusqu’à présent, Nantes est passée à côté du 21e siècle.
Sven Jelure
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« L’idée était de faire croire que Nantes était elle-même une ville créative et culturelle » : quelle morgue insupportable de la part de ce personnage ! Cette phrase révèle à la fois un manipulateur (« faire croire ») et un poseur convaincu que rien n’existait avant lui. Avant lui, pourtant, Nantes ÉTAIT bel et bien une ville créative culturelle comme elle l’a presque toujours été depuis le 15e siècle grâce à une foule d’écrivains, de peintres, de sculpteurs, de musiciens, de conservateurs, de galeristes, etc. Les Tri Yann ou le Festival des 3 continents, pour ne prendre que ces exemples, étaient là avant les Allumées. Depuis celles-ci, « l’idée est de faire croire » que Nantes est devenue une ville créative et culturelle par la grâce d’un chaperon de génie et des ses géniaux financeurs municipaux. En réalité, ces gens ont rabougri la création et la culture. Voyez Royal de Luxe, qui a vite perdu sa créativité une fois installé dans un fromage à Nantes. Voyez le maigre catalogue des « œuvres pérennes » du Voyage à Nantes acquises à grand prix au lieu de soutenir des créateurs locaux. Voyez la ruineuse et stérile palinodie de l’Arbre aux Hérons ! Que de temps perdu, et d’argent aussi…