Restaurer la réputation de Nantes : faut-il en appeler à Notre-Dame de Bon-Secours ?

Johanna Rolland très active dans la recherche de solutions pour redorer l'image de la Ville

Si même les religieuses s’y mettent, la réputation de Nantes est bien malade. Toute la France le sait à présent : deux sœurs bénédictines, plutôt que de subir le martyre (ou en tout cas des injures et des crachats) en silence à Sainte-Croix, ont demandé à leur Ordre de les transférer du côté de Reims. En voilà un éloge du pas de côté ! L’affaire fait plus de bruit qu’une Nième fusillade devant le 38 rue Watteau. Consternation.

Les vieux Nantais se rappellent qu’il y a trente ans, l’espace d’une génération, leur ville était en tête de tous les classements des villes-où-il-fait-bon-vivre. Et ce n’était pas seulement le fruit d’un engouement médiatique : l’air du temps était plutôt sympa. « La seule ville où les automobilistes s’arrêtent pour laisser passer les piétons », s’émerveillait alors un jeune visiteur. « Et où les piétons leur disent merci », corroborait son copain.

Les médias attribuaient volontiers la qualité de la vie municipale à Jean-Marc Ayrault. Or il n’y était pour rien : en 1993, il n’était maire de Nantes que depuis quatre ans et n’avait pas fait grand chose. Il avait inauguré la deuxième ligne de tram, qui était dans les cartons bien avant son arrivée, mais ni Busway ni Chronobus n’étaient au programme et les aménagements cyclables étaient embryonnaires ; le Bicloo ne viendrait que quinze ans plus tard. Le château des ducs de Bretagne et le musée des Beaux-arts n’avaient pas été rénovés, les Chantiers navals et le Jardin extraordinaire étaient des friches industrielles, le Lieu unique et le Hangar à bananes des bâtiments désaffectés en attente de démolition ou de réemploi. Il n’était encore question ni du Mémorial de l’abolition de l’esclavage, ni des Machines de l’île ni même de l’Arbre aux Hérons. Alors quoi ?

Le gaspillage d’une réputation trouvée en arrivant

Jean-Marc Ayrault bénéficiait des atouts existants de la ville, que ses propres réalisations n’ont donc guère épaulés. Et il avait un dircom d’élite pour lui greffer les plumes du paon. Johanna Rolland subit-elle l’effet inverse à la tête d’une cité désormais vue comme quasiment un coupe-gorge ? En partie, sûrement, mais le meilleur dircom n’y peut rien : pour dégager sa responsabilité, il faudrait incriminer celle de son prédécesseur et parrain. Car celui-ci a activement contribué, de diverses manières, à la dégradation de la réputation nantaise. En voici deux exemples notoires.

1) Au milieu des années 2000, Jean-Marc Ayrault a mis en place un vaste dispositif d’accueil de migrants roumains par Nantes Métropole. Ce dispositif, exemplaire selon le Conseil de l’Europe, a été un succès dans la mesure où le public visé est venu nombreux : dès 2009, Nantes Métropole concentrait 10 % des Roms présents en France. Mais il a été un échec dans la mesure où de nombreux actes de délinquance ont été commis (vols, recels, occupations illégales, mendicité sur la voie publique…) – des actes souvent très visibles, donc nocifs pour l’image. Il ne s’agit de discriminer personne, il se peut que le dispositif ait été mal conçu, mal administré, incomplet, etc. Ce qui ne fait qu’accentuer le constat : une mesure prise par Jean-Marc Ayrault a accru l’insécurité ressentie à Nantes.

2) Jean-Marc Ayrault a toujours refusé d’installer un système de vidéosurveillance municipal. Il n’avait pas loin à aller, pourtant, pour trouver un modèle réputé efficace : dès 2006, son successeur à la mairie de Saint-Herblain avait installé quinze caméras. Certains contestent l’efficacité de la vidéoprotection ? Pas Jean-Marc Ayrault. À peine le Mémorial de l’abolition de l’esclavage achevé, en 2012, il y a fait installer pas moins d’une douzaine de caméras ! Étrangement, pendant qu’il faisait régner l’ordre au Mémorial, il a laissé la situation se dégrader ailleurs.

Le salut viendra-t-il de Sainte-Croix ?

Johanna Rolland n’a pu que le constater et tenter de changer de cap. Mais elle s’est bien gardée de citer le nom de Jean-Marc Ayault quand, en 2017, la vidéoprotection a fait son arrivée à Nantes. La même année, une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (MOUS) a été lancée pour redimensionner le plan d’accueil des Roms. Trop tard ? Dans un cas comme dans l’autre, les résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances (le rapport annuel 2021 de Nantes Métropole évoque explicitement « les insuffisances de la MOUS »).

Le problème des réputations est qu’elles font boule de neige. Et quand ça veut pas, ça veut pas. Si Johanna Rolland multipliait les caméras et les policiers municipaux, il est certain qu’elle cognerait dans le budget mais pas du tout qu’elle améliorerait l’image de la ville. Elle ne tient dans doute pas à échanger une réputation de ville insécure contre une réputation de ville fliquée. Quoi d’autre  ? À part mettre un cierge à Notre-Dame du Bon-Secours, protectrice des populations en danger, dont par un heureux hasard l’église Sainte-Croix possède une effigie, on ne voit pas…

Sven Jelure

Le Voyage à Nantes en mal de budget

L'avantage des chiffres, c'est qu'on en fait ce qu'on veut...

La SPL Le voyage à Nantes risque de se trouver nettement dans le rouge en 2023. Mais les chiffres livrés par son président, Fabrice Roussel, également vice-président de Nantes métropole, obscurcissent le tableau plus qu’ils ne l’éclairent. À moins qu’ils ne préparent de grands changements ?

Le voyage à Nantes s’attend à 630 000 euros de déficit en 2023, annonce Presse Océan le 6 février –à 730 000 euros, surenchérit Ouest-France le 8. Jean Blaise, directeur général de la SPL, s’insurge pourtant : « On ne votera jamais un budget en déséquilibre ».

Les Nantais en tireront plusieurs observations. D’abord que, début février, « le budget 2023 n’est pas finalisé », comme le constate Fabrice Roussel dans les colonnes de Presse Océan. À cette date, une entreprise bien gérée a normalement arrêté son budget depuis un bout de temps déjà.

La tâche est pourtant bien moins difficile pour Le voyage à Nantes que pour la plupart des entreprises : plus de la moitié de son budget est couverte par des subventions. Cet argent versé pour l’essentiel par Nantes Métropole, Le voyage à Nantes l’empoche quoi qu’il arrive : peu d’entreprises jouissent d’un tel luxe.

Ce budget pas finalisé, la SPL l’évalue à 34,5 millions d’euros. Impossible de le comparer aux budgets de pandémie des années 2020 à 2022. Comparons-le donc à celui de 2019. Il tangentait alors les 33 millions d’euros. Il progresserait donc de 1,5 million (+ 4,5 %) en quatre ans. Ce n’est déjà pas d’une folle ambition puisqu’on annonce partout le retour des touristes.

À l’intérieur de cette enveloppe de 34,5 millions, le chiffre d’affaires hors subventions devrait être de 13 millions d’euros. Soit autant qu’en 2019. C’est étrange. « Nous sommes confiants sur la fréquentation en 2023 », déclare Fabrice Roussel. En 2019, les deux locomotives du Voyage à Nantes, les Machines de l’île et le musée d’histoire de Nantes ont enregistré respectivement 738 795 et 308 740 entrées. Le tarif des premières est passé cette année de 8,50 à 9,50 euros, soit + 11,76 % (9 euros pour le Carrousel qui peine à attirer des clients). Celui du second va passer de 8 à 9 euros au 1er mars (+ 12,5 %). À fréquentation égale, le total de leurs recettes annuelles devrait bondir de pas loin de 1 million d’euros par rapport à 2019.

Le contribuable est prévenu

Si les recettes de ses deux vaches à lait augmentent mais que son chiffre d’affaires global stagne, c’est que Le Voyage à Nantes prévoit une chute sévère de ses autres activités. Compte-t-il réduire ses effectifs en conséquence ? Apparemment non : les frais de personnel devraient bondir de 12 millions d’euros en 2019 à 15 millions en 2023 (+ 25 %). Plus de deux fois l’inflation. Bizarrerie : les frais de personnel de 2021 étaient inférieurs à ceux de 2019, pour un effectif identique à 0,89 personne près ! Autrement dit, Le Voyage à Nantes prévoit d’augmenter très fortement ses salariés alors qu’ils produiront moins.

Tant mieux pour eux, mais cette particularité explique à elle seule la chute du résultat, de 105 000 euros de bénéfice en 2019 à 730 000 euros de déficit en 2023, soit moins 835 000 euros au total. Si l’augmentation des frais de personnel était simplement égale à l’inflation, la SPL enregistrerait en 2023 un coquet bénéfice et non un déficit !

Comment, alors, respecter l’engagement de Jean Blaise : « On ne votera jamais un budget en déséquilibre » ? Fabrice Roussel semble avoir sa petite idée sur la question : « Si la subvention de la métropole était indexée à l’inflation, le budget 2023 serait à l’équilibre ». Ah vraiment ? Les subventions prévues se situent « autour de 20 millions d’euros ». En 2019, c’était 17,5 millions d’euros. L’augmentation, supérieure à 14 %, dépasse l’inflation. Si la subvention était vraiment indexée à l’inflation, Le voyage à Nantes serait encore plus loin de l’équilibre !

Un déficit davantage mis en exergue en 2023 qu’en 2014 ou en 2017

Mais au fait… la SPL avait près de 8,7 millions d’euros en caisse à fin 2021, n’est-ce pas ? Ce serait largement suffisant pour absorber 730 000 euros de déficit. La situation n’a rien d’alarmant, en somme. À moins, bien sûr, qu’elle n’ait déjà boulotté ses marges de manœuvre en 2022, par exemple avec Le voyage en hiver.

Et puis, ce ne serait pas la première fois que Le voyage à Nantes est dans le rouge ! En 2014, son déficit d’exploitation atteignait 798 400 euros, soit bien plus que celui envisagé pour 2023. En 2017, il était de 684 500 euros. De 2011 à 2015, période couverte par un rapport de la Chambre régionale des comptes, la SPL n’a jamais équilibré son exploitation. Elle n’a pu s’en sortir que par une astuce comptable critiquée par la Chambre. Fabrice Roussel s’était bien gardé alors de proclamer la situation ! Pourquoi sort-il du bois en 2023 ?

Décidément, comme pour l’Arbre aux Hérons, il y a des bizarreries dans les comptes que le vice-président de Nantes Métropole présente aux Nantais. La comparaison avec l’Arbre s’arrête là : on ne prophétisera pas un abandon du Voyage à Nantes. Mais qu’un gros changement intervienne au départ en retraite du directeur général (Jean Blaise aura 72 ans en avril), pourquoi pas ? On comprendrait d’autant mieux que Jean Blaise refuse mordicus de signer un budget dans le rouge pour la circonstance. Lui qui a déjà été critiqué par la Chambre régionale des comptes pour sa gestion du Voyage à Nantes et du Lieu Unique, que ne manquerait-on pas de lui mettre sur le dos ?

Sven Jelure

Kickstarter : que peuvent faire les grugés de l’Arbre aux Hérons ?

Ce n'est pas une affaire d'argent, c'est une affaire de principe !

L’abandon du projet d’Arbre aux Hérons lèse au moins moralement les 5.511 donateurs de la campagne Kickstarter de 2018. Ont-ils un moyen de se rebiffer ? Cela supposerait de s’en prendre au créateur du projet. Qui n’est pas celui qu’on croit habituellement.

Les soixante mécènes de l’Arbre aux Hérons étaient avertis, au moins implicitement : en cas d’abandon du projet, leur bel argent tomberait dans le pot commun des espaces verts nantais. Car depuis décembre 2019 le Fonds de dotation Arbre aux Hérons est devenu Fonds de dotation Arbre aux Hérons et Jardin extraordinaire. Il en va autrement des 5.511 donateurs qui ont versé leur écot à la campagne de financement lancée sur Kickstarter en 2018 ‑ dont 1.546 Nantais, 115 Rezéens, 46 Couëronnais, etc. Autant de déçus pour lesquels il n’y avait pas de plan B.

La déception est morale, mais un peu matérielle aussi pour certains. La plupart des récompenses promises, sous forme de certificats, de croquis, etc. ont été reçues. Mais certaines manquent à l’appel. À partir de 10 euros de don, les donateurs devaient recevoir le récit de la construction de l’Arbre sous forme de quatorze lettres d’information, à raison de trois par an. Bien entendu, la promesse n’a été que très partiellement tenue. Aux plus gros donateurs, à partir de 500 euros, il était promis dix ans de « pass » gratuit avec accès illimité à l’Arbre, ce qui, à l’époque, par extrapolation des tarifs pratiqués alors par les Machines de l’île, représentait une valeur de 2.360 euros. Presque cinq fois la mise : l’espérance d’un placement très rentable… et en fin de compte rien du tout !

Les donateurs rancuniers ont-ils un recours pour réclamer une indemnisation ou un remboursement de leur don, voire exiger la réalisation de l’Arbre ? La question n’est pas si simple en réalité.

Le créateur du projet, seul responsable selon Kickstarter

Kickstarter s’en lave les mains : « Lorsqu’un créateur publie un projet sur Kickstarter, il invite d’autres personnes à conclure un contrat avec lui.Toute personne qui soutient un projet accepte l’offre du créateur et conclut ledit contrat avec lui. Kickstarter ne participe pas à ce contrat, qui constitue accord juridique direct passé entre le créateur et le contributeur. » Kickstarter spécifie néanmoins l’une des clauses de cet accord : la somme demandée doit permettre la réalisation du projet et « lorsqu’un projet est financé, le créateur doit terminer le projet et tenir ses promesses pour s’acquitter de ses obligations envers ses contributeurs. » Le projet de l’Arbre aux Hérons a été largement financé, rapportant 373.525 euros pour 100.000 demandés. Son créateur n’est donc pas quitte.

Plus de 10 % des projets financés sur Kickstarter sont finalement des échecs. Une partie des créateurs, soucieux de leur réputation ou attachés à certaines valeurs, veillent alors à rembourser les donateurs. Selon un universitaire, les donateurs seraient remboursés dans 13 % des cas d’échec.

En présentant son projet sur Kickstarter, un créateur souscrit certains engagements. S’il est dans l’incapacité de terminer son projet comme promis, précise Kickstarter :

[Il] est réputé remédier à la situation et s’acquitter de ses obligations envers les contributeurs uniquement si :

  • il publie une actualité pour expliquer le travail qui a été fait, la manière dont les fonds ont été utilisés et ce qui l’empêche de terminer le projet comme prévu ;
  • il travaille de manière assidue et en toute bonne foi pour mener le projet à bien de la meilleure manière possible et dans un délai qu’il communique aux contributeurs ;
  • il est capable de démontrer qu’il a utilisé les fonds de manière appropriée et qu’il a mis en œuvre tous les efforts raisonnables pour terminer le projet comme promis ;
  • il fait preuve d’honnêteté et ne présente pas les faits de manière erronée dans ses communications aux contributeurs ; et
  • il propose de retourner les fonds restants aux contributeurs qui n’ont pas reçu leur récompense (proportionnellement aux montants financés) ou explique comment ces fonds seront utilisés pour terminer le projet de manière différente.

Les 5.511 donateurs de l’Arbre aux Hérons attendent depuis près de cinq mois le respect de ces obligations contractuelles. Et dans l’avenir, si le projet d’Arbre aux Hérons privé voit le jour, l’argent restant devra évidemment lui être affecté « pour terminer le projet de manière différente ».

Or là, sac de nœuds ! L’argent n’est pas resté dans la poche du créateur du projet, il a été remis au Fonds de dotation Arbre aux Hérons (qui n’était pas encore « et Jardin extraordinaire »). À la date de l’abandon du projet, celui-ci devait bien avoir encore un peu d’argent en caisse, peut-être même assez pour rembourser intégralement les donateurs, mais ses statuts lui interdisent de le reverser à quelqu’un d’autre qu’à Nantes Métropole ! Le Fonds ne devrait pas tarder à disparaître mais, s’il lui reste quelque argent, la loi l’oblige à le verser à un autre Fonds ou à une fondation reconnue d’utilité publique !

Le créateur du projet s’est fourré dans un sacré imbroglio. Devra-t-il puiser dans sa propre cassette pour « remédier à la situation et s’acquitter de ses obligations » ?

Un créateur pas très visible

Si un créateur de projet fait la sourde oreille, peut-on aller en justice pour exiger qu’il tienne ses promesses ou rende l’argent ? Oui, c’est envisageable. Des avocats américains proposent même leurs services. Mais de l’avis général, l’enjeu n’en vaut probablement pas la chandelle. Vous vous êtes fait avoir ? Il ne vous reste que vos yeux pour pleurer.

Pour qui voudrait néanmoins tenter l’aventure, la cible, on l’a dit, est le créateur du projet. Mais de qui s’agit-il exactement ? Au premier regard sur la page Kickstarter du projet, on pourrait croire que celui-ci a été créé par « Les Machines de l’île / Arbre aux Hérons ». Or, d’après les règles de Kickstarter, le créateur doit être une personne physique ; Les Machines de l’île et L’Arbre aux Hérons, simples marques propriété l’une du Voyage à Nantes, l’autre de Nantes Métropole, ne satisfont pas ce critère. Il faut creuser davantage.

Sur le site de Kickstarter, sous le nom de ce « créateur » fictif figure un lien actif, invisible à l’œil nu. Cliquez dessus et vous obtenez la clé de l’énigme : le créateur officiel du projet enregistré par Kickstarter est en réalité Bruno Hug de Larauze, grand patron nantais qui a longtemps présidé le Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons. Vous pouvez aussi aller en direct à la page de biographie du créateur (que les moteurs de recherche semblent ignorer) : https://www.kickstarter.com/projects/arbreauxherons/larbre-aux-herons-the-herons-tree/creator_bio.

Kickstarter doit être conscient que quelque chose ne colle pas. Si vous cherchez à en savoir plus sur « Les Machines de l’île / Arbre aux Hérons », il vous répond que « le profil de cet utilisateur est privé » (et si vous cliquez sur le bouton « Qui suis-je ? », vous parvenez à un bouton « Biographie » qui, lui, ne mène à rien !). D’où une piste éventuelle pour les amateurs de chicane : rechercher la responsabilité de Kickstarter, qui a présenté le projet Arbre aux Hérons/Herons’ Tree de manière fallacieuse et contraire à ses propres règles. Lesquelles devront cependant être interprétées « conformément aux lois de l’État de New York et des États-Unis »… Une fois encore, le succès n’est pas du tout garanti et il est très, très peu probable que l’enjeu en vaille la chandelle !

Sven Jelure

Obsédée par les crises, Nantes Métropole cherche des scénarios pour la fabrique de la ville

Merci Johanna Rolland d'avoir envi de fabriquer Nantes ! Chapeau !

Johanna Rolland fait grand cas d’un grand débat à lancer en 2023 sur la « fabrique de la ville ». Des « scénarios de crise » en occuperont le centre. Des scénarios encadrés par Nantes Métropole, certes, donc peu propices aux envolées contestataires. Mais, après le travail sur la communication de crise déjà signalé par Nantes Plus, cette nouvelle démarche propagandiste pourrait dénoter un certain pessimisme dans les hautes sphères municipales.

Parmi les six grandes promesses faites aux Nantais par Johanna Rolland pour 2023 figure « un grand débat sur la fabrique de la ville ». Un sujet capital puisqu’il vient même avant l’annonce d’un spectacle de Royal de Luxe, c’est dire !

Mais qu’est-ce donc qu’une « fabrique » ? Le mot a d’abord signifié « construction d’un édifice religieux », puis a désigné les fonds destinés à cette construction et enfin les responsables de leur administration (le « conseil de fabrique »). Johanna Rolland est trop respectueuse de la laïcité pour parler de « fabrique » dans ce sens-là.

L’autre sens principal du mot, tel que le définit l’Académie française, est celui-ci : « Établissement industriel de petite ou moyenne importance où l’on produit des objets manufacturés ». Ciel ! Nantes Métropole, un établissement de petite ou moyenne importance ? Nantes, un objet manufacturé ? Ce serait bien dévalorisant.

Alors, que veut dire Johanna Rolland par « fabrique de la ville » ? L’Académie française livre entre les ligne une troisième hypothèse à considérer : « Expr. fig. et fam. Cela est de sa fabrique, de son invention ». Autrement dit, la « fabrique de la ville » pourrait être un pur storytelling. Et, on va le voir, cette interprétation propagandiste est fléchée par Nantes Métropole elle-même.

Modèles pas requestionnés

Celle-ci a lancé pas moins de trois appels d’offres sur le sujet ! Le premier est intitulé « Conception et animation d’une offre de dialogue citoyen sur les modes de vie dans le cadre d’un grand débat citoyen sur la fabrique urbaine ». Les conseillers municipaux sont élus pour faire remonter les avis de leurs électeurs ? Sans doute ne s’acquittent-ils pas bien de leur mission puisqu’il faut encore présenter aux citoyens une « offre de dialogue citoyen (…) dans le cadre d’un grand débat citoyen ». Celui-ci devrait se dérouler de mars à juillet 2023.

Comme le note judicieusement l’avis de marché, « il devient de plus en plus ardu de construire la ville sur la base de modèles qui n’ont pas été requestionnés depuis de nombreuses années ». Au hasard, depuis 1989 ? L’ayraultisme est « ardu », c’est bien de le reconnaître. Mais il aurait mieux valu le faire en temps utile. Pourquoi avoir attendu pour s’interroger que le chantier du CHU, entre autres, ait été lancé selon un modèle non « requestionné » ?

Ce grand débat tardif affiche quatre objectifs :

  • « Partager une culture urbaine commune ». Étrange ambition. Un débat invite aux désaccords. Il devrait plutôt révéler ce qui n’est pas commun dans la culture urbaine. Mais ce n’est pas l’intention ici. Ce qu’on appelle débat « passera notamment par de la pédagogie auprès des acteurs les plus éloignés des institutions de cette fabrique de la ville ». Autrement dit, on veut faire entrer tout le monde dans le moule de la fabrique à grands coups de « pédagogie », comme on dit quand on veut éviter le mot propagande.
  • « Réaffirmer le cap de mutation écologique et sociale ». Pour autant que ce cap ait déjà été affirmé au point de mériter son article défini au singulier.
  • « Identifier les leviers d’actions possibles prenant en compte d’une part les modes de vie des habitants de la Métropole dans leur diversité de mode de vie », etc.
  • « Renouveler les processus de la transformation urbaine en innovant ». Renouveler la transformation en innovant, n’est-ce pas beaucoup de redondance pour une seule phrase ?

Quant au reste, pas de surprise : parlotes et paperasses jusqu’à la remise d’un document final dans les derniers jours de juillet. Il est probable qu’il sera, selon la coutume, classé assez vite dans un placard.

Cap sur les récits

Le deuxième avis de marché est plus original. Il a pour titre « Animation d’une offre participative sur les récits d’une métropole en transition dans le cadre d’un grand débat sur la fabrique urbaine ». On retrouve le « cap » du premier avis de marché, qu’on considère comme fixé, « mais il s’agit aujourd’hui de pouvoir intégrer un contexte nouveau et mouvant ». Pas si fixé que ça, en somme. L’avis répète néanmoins les quatre objectifs du précédent…

Là, l’idée est de s’adresser aux « habitant.e.s de la métropole » pour « faire émerger par le biais d’un travail basé sur l’imaginaire, des préconisations pour une métropole en transition ». Pas l’imagination, n’est-ce pas, l’imaginaire ! Pas la folle du logis mais la logique de la Métropole. Il s’agit de « générer un imaginaire collectif », sous forme de « récits d’une métropole ». Séduisant, à première vue. Mais on n’oubliera pas que, dans les milieux de la communication contemporains, le mot « récit » (ou « narratif »dit-on parfois en refrancisant bêtement l’anglais « narrative »… lui-même venu du français*) camoufle est lui aussi un moyen d’éviter le mot « propagande ».

Et en effet, l’« offre participative » de Nantes Métropole se rapproche dangereusement du bourrage de crâne. Au minimum, le risque de « préconisations » politiquement incorrectes est nul. Car cet imaginaire ne sera pas constaté mais « généré », fabriqué en somme, à l’aide de quatre « escape game » (sic), quatre « scénarios de projections ».

Ceux-ci « auront pour but de ne pas être directifs mais d’ouvrir le champs (sic) des possibles, des imaginaires », assure Nantes Métropole, qui ne craint pas les oxymores. Car un scénario est directif par nature ! Retour à l’Académie française : c’est un « développement attendu ou supposé d’une action dans le temps ». Les scénarios seront téléphonés d’autant plus sûrement que leurs thématiques seront définies « lors de la réunion de cadrage », c’est-à-dire choisies par Nantes Métropole.

Cette dernière, cependant, ne tombe pas dans l’optimisme béat : les scénarios proposés par le prestataire retenu dans le cadre du marché seront des scénarios de crise. Au singulier ou au pluriel, le mot « crise »figure vingt-trois fois dans le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) de l’avis de marché. Décidément, Nantes Métropole est obsédée par les crises ! Son vécu récent n’inspire peut-être pas à Johanna Rolland un optimisme éclatant.

Controverses encadrées

On a quand même dû s’apercevoir en haut lieu qu’un grand débat sans matière à débat allait faire désordre (ou plutôt excès d’ordre). À retardement, Nantes Métropole vient de publier un troisième appel d’offres, intitulé cette fois « Animation d’une offre participative sur les controverses contemporaines de la fabrique urbaine métropolitaine dans le cadre d’un grand débat ».

Celui-ci, assure-t-on un peu tard, « n’a pas pour objectif de mettre tout le monde d’accord ». C’est un débat, quoi ! Le prestataire retenu devra donc « mettre en débat et en perspective les principales controverses contemporaines qui traversent le débat public sur les questions urbaines et la fabrique de la ville à l’échelle métropolitaine ». On va donc écouter les citoyens qui ont des désaccords à formuler ! Enfin… pour autant que Nantes Métropole soit d’accord sur les désaccords, car « les sujets de controverses proposés au débat seront choisis par le commanditaire » !

Et ce commanditaire ne compte pas se montrer trop gourmand : « il est envisagé d’organiser 4 à 5 ateliers portant chacun sur une controverse différente » et d’une durée maximum de 2h30. La grandeur d’un débat ne doit pas se juger à sa quantité !

Alors, sur quels sujets de qualité les Nantais pourront-ils controverser ? « À titre d’exemple », Nantes Métropole indique déjà cinq sujets, qui suffisent à absorber les marges de manœuvre : « l’urbain est-il un business ou un placement comme un autre ? », « la ville sobre est-elle forcément moche ? », « la propriété immobilière est-elle le seul horizon souhaitable ? », etc. Ça c’est de la controverse, et pas du tout téléphonée, hein !

Sven Jelure

* Pour mieux apprécier l’utilité d’un « narratif » dans une « métropole en transition », livrons d’avance au débat ce résumé d’un article scientifique publié en 2020 dans Les Nouvelles de l’archéologie :

La multiplicité et la diversité des entités et processus impliqués dans les grandes transitions demande des choix narratifs pour les rendre intelligibles, choix qui exigent de recourir à des concepts combinant les capacités d’action des humains et des non humains. La notion de médiant, ou « combinaison transhumaine catalysant des changements profonds » – les techniques et institutions associées, leurs modes d’appropriation et leurs effets –, pourrait être au cœur de ces narratifs, en précisant les enjeux scientifiques des grandes transitions.

L’auteur de ce texte, Denis Couvet, est aujourd’hui président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité…

Nantes doublée par Anvers dans la course aux chiens mécaniques de Royal de Luxe ?

Un spectacle hypoallergénique... Et l'avantage, c'est qu'il aura été testé ailleurs avant !

Nantes Plus s’est moqué un peu vite de l’enthousiasme feint affiché par la maire de Nantes à propos de Royal de Luxe. La situation pourrait être plus désobligeante encore que nous ne l’avions pensé.

Johanna Rolland promet depuis début janvier que Royal de Luxe présentera à Nantes « un nouveau grand spectacle populaire après l’été ». Ce qu’elle n’a pas dit, c’est que la troupe aura aussi présenté un grand spectacle populaire pendant l’été. Et ailleurs. Plus précisément à Anvers.

Royal de Luxe ne se précipite pas pour l’annoncer. C’est bizarre : en général, Jean-Luc Courcoult a plus tendance à se vanter qu’à faire profil bas. Peut-être craindrait-il de mettre la maire de Nantes dans l’embarras ? D’ailleurs, personne à Nantes ne semble avoir évoqué le sujet à ce jour. Peine perdue, car la ville flamande a mangé le morceau lundi dernier : ce spectacle aura lieu du 25 au 27 août 2023. Autrement dit, selon toute probabilité, Nantes n’aura droit qu’à du réchauffé.

Anvers aussi, c’est bien possible. L’adjointe à la culture de la ville, Nabilla Ait Daoud, assure que la nature du spectacle « restera un secret bien gardé ». Mais selon le quotidien local Nieuwsblad, « il semble que nous allons tous bientôt courir dans les rues sur les traces des chiens du Bull Machin ». Ledit Bull Machin est un spectacle de chiens mécaniques montré par Royal de Luxe dans l’agglomération lyonnaise en septembre dernier.

Si le spectacle des bords de l’Escaut reprend bien celui des bords du Rhône avant d’être repris sur les bords de la Loire, cela voudra dire que, dans la course des chiens, Nantes n’arrive pas en deuxième position derrière Villeurbanne mais en troisième derrière Anvers…

Sven Jelure

Nantes promise au Bull Machin, le clébard moche de Royal de Luxe

Tant de nouveauté impressionne ! Un chien qui fume, original !

Déclinantes : cette Nième déclinaison sur le nom de la ville va-t-elle s’accrocher aux basques de Johanna Rolland ? Parmi les étrennes qu’elle offre aux Nantais pour 2023, on remarque un « nouveau grand spectacle » de Royal de Luxe. Il s’agirait en fait de recycler Bull Machin, la déambulation déjà montrée dans la banlieue lyonnaise au début de l’automne. À peu près aussi enthousiasmant qu’Anne Hidalgo ou Olivier Faure, il a déçu malgré un budget considérable.

L’œil brillant et la lippe gourmande, Johanna Rolland va de cérémonie de vœux en cérémonie de vœux annoncer aux Nantais les merveilles qui les attendent en cette année 2023. Il y en a six :

  • 18 oasis de biodiversité d’ici la fin de l’année,
  • la mise en service progressive de 49 nouvelles rames de tram + grandes,
  • + de 50 % de bio et de local dans nos cantines.
  • le rapprochement de la @LaCiteCongres et d’@Exponantes et la création d’une maison de l’entrepreneuriat* durable,
  • un grand débat sur la fabrique de la ville,
  • un nouveau grand spectacle de Royal de Luxe.

Ça fait envie ! Les commentaires se concentrent sur Royal de Luxe, comme si les oasis, la fabrique de la ville (on y reviendra sûrement) ou des trams destinés à durer vingt ou trente ans comptaient moins que trois jours de festivités.

Et quelles festivités ! « La magie de Royal de Luxe s’emparera à nouveau de Nantes, et de Saint-Herblain, avec un nouveau grand spectacle populaire après l’été », assure Johanna Rolland. Nouveau, nouveau… pas tant que ça sans doute, note Big City Life : « Même si Johanna Rolland est restée très floue sur le spectacle, elle a quand même fait fuiter une petite info… La nouvelle création du Royal de Luxe à Nantes sera liée à ce qui a été fait à côté de Lyon et plus précisément à Villeurbanne. »Autrement dit, cette « nouvelle création » montrée à Nantes ou « plus précisément » à Saint-Herblain (ou à cheval sur les deux, à Bellevue) sera une resucée d’un spectacle déjà vendu sur la rive du Rhône en septembre dernier sous le titre Le Bull Machin de Villeurbanne.

Et en réalité, l’annonce même de Johanna Rolland est déjà du réchauffé. Hervé Fournier, conseiller municipal de Nantes, avait mangé le morceau fin septembre. « Si rien n’est acté officiellement, le Bull de Villeurbanne aurait lieu dès les beaux jours d’été prochain à Nantes », révélait-il alors à Ouest-France. Au fait, Hervé Fournier est chargé à Nantes de la commande publique. Commande publique ? Nantes va-t-elle en plus payer ce spectacle à Royal de Luxe qui dormait à fin 2021 sur plus de 900.000 euros de subventions inemployées, versées par la ville pour l’essentiel ?

Chien baveux « chargé de poésie et d’émotion »

Alors, qu’a-t-on vu à Villeurbanne ? Royal de Luxe a tiré du hangar son chien mexicain, El Xolo, né d’un gros glaçon à Nantes en 2011. En voilà du nouveau ! Il lui a adjoint un second canidé, le gros Bull Machin, aussi moche qu’El Xolo est élégant. Ces « deux chiens pas perdus pour tout le monde » (on le croit sans peine) ont été « invités par le Maire de Villeurbanne pour faire la plus grande course de chiens géants qui n’a jamais existé », écrit Jean-Luc Courcoult dans le style aléatoire qui lui est familier.

Les deux mécaniques, entourées d’opérateurs en livrée rouge pour l’une, bleue pour l’autre, ont défilé dans les rues de Villeurbanne, puis ont disputé une parodie de course sans vainqueur commentée par deux journalistes sportifs. Dans la tradition artistique de la Petite géante qui pisse et de la Grand-mère qui pète, les chiens ont abondamment bavé sur les spectateurs. Cela étalé sur trois jours.

Rien de plus qu’un maigre défilé de carnaval, donc. Cependant, promu avec diligence par la ville et la presse locale, le spectacle bénéficiait du label gouvernemental « Capitale française de la culture 2022 ». « Pour Villeurbanne, Jean-Luc Courcoult a imaginé une forme théâtrale renouvelée mettant en scène deux protagonistes géants pour un récit urbain chargé de poésie et d’émotion », assurait sans rougir le dossier de presse de l’événement !

Moitié moins de spectateurs qu’espéré pour un spectacle ni écoresponsable ni économe

Aussi installée que Coca-Cola ou McDonald’s, la marque Royal de Luxe exerce encore une attraction même si depuis des années ses produits ne sont plus à la hauteur de sa réputation. Mais vient un moment où il n’est plus possible de faire semblant. La presse n’a pas confirmé son enthousiasme anticipé. « Un spectacle perfectible, mais globalement réussi », cherchait à se convaincre France 3. Le Progrès titrait avec moins d’indulgence sur « un spectacle qui manquait finalement un peu de chien » et estimait que « la narration est restée quasi nulle pendant deux jours et demi ».

Le désenchantement s’est traduit par une relative désaffection du public. « Plusieurs centaines de milliers de personnes sont attendues pour assister à cette représentation inédite », avait annoncé imprudemment le dossier de presse de la Capitale française de la culture 2022. Villeurbanne comptait sur 300.000 spectateurs. En définitive, la troupe elle-même n’a pas osé comptabiliser plus de 150.000 spectateurs, la vérité étant probablement inférieure, pour trois jours de représentations dans une agglomération de près d’un million et demi d’habitants. « Une affluence un peu décevante, des populations moins mélangées… Ce ne fut pas la fête populaire à laquelle je m’attendais », déplore un conseiller municipal EELV cité par Médiacités, sans parler de l’approche « pas vraiment écoresponsable » de Royal de Luxe.

Pas vraiment économe non plus. Médiacités a fait le compte avec Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne, et après enquête serrée : « 1,5 million d’euros de cachets artistiques, 500 000 euros pour la sécurité et 1 million d’euros pour la prise en charge du personnel technique et la location du matériel. Soit un total de 3 millions d’euros. » Ou encore, sur la base suspecte de 150.000 spectateurs, 20 euros par personne pour un spectacle « gratuit ». Et l’on chipoterait quelques malheureuses dizaines de millions à l’Arbre aux Hérons ?

Sven Jelure

* Johanna Rolland dit « entreprenariat », terme incorrect à moins que la maison ne soit destinée aux « entreprenaires ».

Les coûts du Voyage en hiver font boule de neige

Il y a ceux qui aiment, ceux qui n'aiment pas, ceux qui disaient « Ça ne peut pas être plus moche qu'avant ». Mais qui a eu l'idée de fourrer la carotte qui fait avancer l'âne dans l'œil de la lune de Méliès ? Et ce tocsin ? Quelles grosses cloches sonnent ?

On s’interroge davantage sur le coût des ratages que sur celui des succès, c’est la rude loi de la vie. Alors, en ce début d’année 2023, il est normal de demander en caractères gras : Le Voyage en hiver, combien ça a coûté ? Hélas, il faut aussi demander : Combien ça va coûter ?

Au crédit du Voyage en hiver, Fabrice Roussel, vice-président de Nantes Métropole, se félicite des économies réalisées sur les illuminations de la fin d’année 2022 à Nantes. Compte tenu de l’extinction des feux à 23 heures, la baisse de la facture énergétique « représente une économie de 40 à 50% par rapport à l’année précédente », a-t-il déclaré à Hit West.

Mais si au lieu de sa baisse on parle du coût lui-même, là, rien ne va plus. « Combien coûte le Voyage en hiver ? » a osé demander Roberte Jourdon (Ouest-France) à Jean Blaise. « Je ne sais pas, mais certainement pas autant que les animations de l’an dernier », a répondu le patron du Voyage à Nantes. Un directeur général qui avoue ignorer les comptes de son entreprise ? Il y a des limogeages qui se perdent.

Gildas Salaün, 15e adjoint au maire de Nantes, a cru venir à son aide en twittant : « le coût du VAN hiver est de 760K€, soit un budget inférieur au dispositif mis en place les années précédentes pour les illuminations et animations du centre-ville puisqu’il était de 850K€. » À première vue, donc, une baisse de 10,6 % des dépenses, grâce aux mesures soulignées par Fabrice Roussel.

Pas si mal. Mais faux.

Le budget des animations et éclairages de Noël des années précédentes était de 600 000 euros, déclarait Fabrice Roussel lui-même à Ouest-France au mois d’octobre, en précisant : « Nous y ajoutons 160 000 € par an sur cinq ans ». Il n’est donc plus question d’une baisse des dépenses de 10,6 % mais d’une augmentation de 26,7 ! Et destinée à être renouvelée chaque année pendant cinq ans…

Prendre sa perte ou augmenter sa mise

Il faut dire que la réalisation des œuvres de Vincent Olinet, Dominique Blais et Quentin Faucompré n’a pas été gratuite. Le gros morceau est bien sûr la fabrication des sculptures lumineuses du premier. Le Voyage à Nantes l’avait d’abord estimée à 550 000 euros. Il l’a finalement confiée à Actiled Lighting, une société de Sainte-Luce-sur-Loire pour une valeur totale de 850 000 euros HT (+54,5 %) sur quatre ans. Il faut y ajouter, bien entendu, la pose et les branchements électriques. C’est l’affaire d’Eiffage Énergie Système moyennant une valeur totale de 600 000 euros sur quatre ans.

De plus, ces montants n’incluent pas les créations artistiques. Il est hautement probable que Vincent Olinet, Dominique Blais et Quentin Faucompré n’ont pas travaillé seulement pour la gloire(1). Mais là, c’est secret défense !

Jean Blaise soi-même envisage que Le Voyage en hiver se répète pendant cinq ans, les contrats sont signés pour quatre ans… oui mais, au vu des réactions de 2022, il faudra sûrement changer de formule dès 2023. Soit revenir sagement aux illuminations d’antan, et passer par pertes et profits les surcoûts de cet hiver. Soit imaginer autre chose, comme un joueur lessivé au casino qui cherche à se refaire ‑ et donc rajouter encore d’autres coûts. Le risque de dérapage est inhérent au voyage en hiver, mais le gel des budgets n’est pas dans les habitudes de Nantes Métropole. Faudrait pas croire au père Noël.

Sven Jelure

(1) Les œuvres de Vincent Olinet et Dominique Blais ont bénéficié d’un mécénat de la Compagnie de Phalsbourg. On admire le désintéressement de ce grand promoteur immobilier parisien, que Nantes Métropole a récemment autorisé à construire un énorme quartier nouveau (370 logements, 32 000 m² de bureaux, etc.) à Paridis.

Le Voyage en hiver : à Nantes, y’a plus de saisons

Remplacer le sapin de Noël par la carotte de Noël

Le Voyage en hiver à Nantes. Quelle étrange idée. La manifestation est organisée du 24 novembre 2022 au 1er janvier 2023 (soit, l’automne courant jusque dans la soirée du 21 décembre, une teneur en hiver de 30 % seulement). Et son objectif n’est pas plus clair que son positionnement calendaire…

Il faudrait beaucoup de nombrilisme pour s’imaginer que Le Voyage en hiver évoque irrésistiblement un voyage à Nantes. Pris isolément, le concept de voyage n’est sûrement pas associé spontanément à la capitale des ducs de Bretagne. Et celui de voyage en hiver évoque plutôt la montagne ou les Antilles, à la rigueur la Laponie, pour la caverne du Père Noël. La marque déposée à l’INPI n’est d’ailleurs pas LE VOYAGE EN HIVER mais LE VOYAGE EN HIVER NANTES. Si la précision n’est jamais mentionnée, c’est que Le Voyage en hiver ne s’adresse en fait qu’aux Nantais : paradoxalement, Le Voyage en hiver nous invite à ne pas voyager.

Le Voyage à Nantes a fait son boulot de syndicat d’initiative. Derrière l’étendard du Voyage en hiver, pour faire masse, il convoque pèle-mêle différentes manifestations publiques, privées et associatives, organisées bien avant lui : marchés de Noël, Noël au Château, Noël aux Nefs, etc. Mais pas une seule messe de Noël. Comme si Noël n’avait pas un certain rapport avec le p’tit Jésus…

Le Voyage en hiver coûte quand même près de 800.000 euros H.T. aux contribuables nantais. Que leur apporte-t-il de spécifique pour ce prix-là ? La manifestation est organisée autour de « trois artistes capables de jouer avec les lumières, les sons et les décors ». Tous trois avaient déjà eu les honneurs du Voyage à Nantes.

Rituels d’avenir, peut-être

Vincent Olinet est l’auteur de ce lit à baldaquin flottant qui a connu diverses vicissitudes sur le canal Saint-Félix au cours du Voyage à Nantes 2021. Cette fois, il a fixé des œuvres lumineuses sur quelques façades nantaises. Ses lanternes japonaises inspirées par les mascarons du XVIIIe siècle, place du Pilori par exemple, sont originales, colorées, ludiques. Mais très minoritaires : la majorité de ses installations ne font que souligner des enfilades de balcons et évoquent plutôt de grosses jardinières vides. Elles sont éclairées à partir de 17h30. Certains y voient un gaspillage d’électricité. Ce qui est paradoxal puisqu’elles remplacent les illuminations traditionnelles, plus gourmandes malgré les LEDs achetées par la ville à grands frais ces dernières années, et déjà remisées au placard, donc.

Mais justement, le remplacement des illuminations traditionnelles, c’est là le problème. Noël est une fête de tradition, on aime y retrouver des sensations de toujours. Le travail d’Olinet ne compense pas du tout la disparition des guirlandes lumineuses municipales. Le sentiment d’amputation n’est pas seulement visuel : la déambulation sous les arches de lumière suspendues en travers des rues avait quelque chose de collectif que ne restitue pas la contemplation d’œuvres murales fixées en hauteur.

Jean Blaise avait à moitié pressenti la difficulté : en annonçant la manifestation, il parlait de créer « de nouveaux rituels étonnants pour nos publics de proximité ». Ah ! oui, peut-être, à force de persévérance, dans dix ans, les Nantais viendront rituellement, voire avec étonnement, assister à l’allumage des lanternes de Vincent Olinet, et dans trente ans celles-ci symboliseront les Noëls d’enfance des petits Nantais devenus grands. Mais, entre épidémie, guerre et changement climatique, 2022 n’était juste pas la bonne année pour bousculer les traditions.

Cloches fluviales

Dominique Blais (sans « e » final) a composé, dit la plaquette officielle du Voyage en hiver, une « installation sonore avec toutes les cloches des églises de Nantes qui viendront sonner pour un rituel quotidien ». Excellente idée, à n’en pas douter, mais guère audible, et surtout guère compréhensible, à 18h32, quand les battants de l’église paroissiale (et peut-être d’une ou deux paroisses voisines) entrent en mouvement : Une messe à cette heure-ci ? Des obsèques peut-être ?

Non, un « usage civil », assure la plaquette, civil ne s’opposant pas ici à militaire mais à religieux. L’usage civil des cloches est en effet rendu possible par un décret d’application de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, « dans les cas de péril commun » mais aussi quand il est « autorisé par les usages locaux ». Ici, le Voyage en hiver fait un peu de provocation en notant que « leur usage civil s’est perdu dans la cité ». Plus d’usages locaux donc ; ça ne fait rien, on sonnera quand même.

Et si jamais un militant laïque pointilleux entend dénoncer la cloche qui sonne malgré l’usage perdu, il aura un peu de peine à la repérer, prévient entre les lignes Le Voyage à Nantes « Cette succession de tintements parcourant les berges de Loire préfigure une réplique plus ample, quelque temps plus tard, qui déferle de part et d’autre de la ville par volées pour rejoindre l’hyper-centre à l’image d’une onde de marée de la Loire si singulière à Nantes – comme si le son des cloches se réverbérait d’édifice en édifice avant de se répercuter sur le fleuve attenant. » Ce qui se conçoit bien s’énonce tintement.

Vous n’y comprenez rien ? Attendez cette précision : « si l’on regarde une carte de la ville, on constate que les édifices religieux sont regroupés sur des axes verticaux qui jalonnent la Loire. » On dirait un bout de prospectus publicitaire retraduit de l’urdu ou du japonais par un logiciel de traduction automatique.

Carotte dans l’œil

Enfin, Quentin Faucompré a « hérité de la lourde responsabilité de s’attaquer au manège éternel de la place du Bouffay », à côté du Décalé de Philippe Ramette. En fait d’éternité, c’est en 2015, sauf erreur, que la Commune du Bouffay a pour la première fois installé cet éternel saisonnier. Voilà donc la chenille dotée en 2022 de quelques accessoires supplémentaires sur un thème hivernal : flocons, boules de neige, bonhomme de neige, etc. – le Voyage en hiver ne fait pas dans le réchauffement climatique. Ils « concourent à amplifier cette ritournelle entêtante de la boucle et d’un éternel recommencement face à une croissance supposée infinie ». Le manège est destiné aux enfants de moins de dix ans ; il n’est jamais trop tôt pour les initier à la philosophie.

Au passage, Quentin Faucompré a conçu le visuel affiché par Le Voyage en hiver : une Lune toute ronde, l’œil droit percé d’une carotte. Le clin d’œil (?) est évident : tout Nantais un peu cultivé reconnaîtra sa parenté avec une image célèbre du Voyage dans la Lune de Georges Méliès, la Lune étant ici rhabillée en bonhomme de neige par la vertu de la carotte. Tous les autres, tous ceux qui ne distinguent pas l’allusion intello tirée par les cheveux, se diront seulement : « Ouch ! ça doit faire mal ! » Et même : « Est-il bien prudent de faire monter mon gamin sur ce manège ? »

 

« Nous avons hésité à entreprendre ce nouveau Voyage » concèdent les organisateurs. « Vous nous direz si nous avons réussi, à la fin, le 2 janvier. » Pourquoi attendre quand le résultat crève les yeux, fût-ce d’un coup de carotte ? « « Mais où est passé l’esprit de Noël ? » » Les Nantais déçus du Voyage en hiver », titrait Ouest-France dès le 7 décembre, soit treize jours seulement après l’inauguration.

« Après la trêve, promis, nous redeviendrons méchants… » menacent les organisateurs. À méchants, méchants et demi.

Sven Jelure

Crises tous azimuts en vue pour la Ville de Nantes comme pour Nantes Métropole

Quand t'es dans le désert... Depuis trop longtemps !

Plus anxiogène tu meurs. L’an dernier, Nantes Métropole voulait se former à la communication de crise en cas d’inondation. Cette année, la Ville de Nantes se prépare à la communication de crise en cas de sécheresse. Et plus si affinités.

La Ville de Nantes affiche sa préoccupation : « Au sortir d’un été où les crises sécheresse et eau potable suivaient la crise sanitaire de longue durée, et en amont d’un hiver pendant lequel le niveau de consommation d’énergie sera observée [sic] de très près, la collectivité renforce ses stratégies de communication de crise. »

Fin 2021, Nantes Métropole recherchait une formation visant « notamment le risque d’inondation ». Mauvaise pioche « en amont » d’un gros déficit pluviométrique. Elle étendait néanmoins ses préoccupations à l’ensemble des risques naturels et technologiques : tempêtes, tremblements de terre, transport de matières dangereuses, accidents industriels, etc.

Ce n’était pas encore assez. La Ville élargit la cible que la Métropole n’a pas su couvrir : « Les sujets sont multiples : eau, déchets, énergie, qualité du service public dans une période de recrutement compliquée, sécurité, incidents de chantier, risques numériques, grèves dans les services publics, crise sanitaire et sociale, inondation, sécheresse, mais aussi fake news, etc. » La vie est pleine de périls, il est heureux que la Ville ait fini par s’en rendre compte sans attendre le quatrième millénaire.

Elle cherche donc un prestataire en « Conseil et accompagnement en communication de crise pour l’information et la relation au citoyen ». Il devra être capable au cas par cas d’analyser la situation, de préconiser des actions de communication, de dispenser des formations, etc. Une sorte de couteau suisse de la com’. Les honoraires pourraient atteindre 200 000 euros H.T. sur trois ans.

Niveau des eaux et niveau des hommes

Mais pourquoi est-ce la Ville qui se prépare à criser cette fois-ci, au lieu de la Métropole comme l’an dernier ? L’une des missions du prestataire, pourtant, est ainsi libellée : « benchmark et positionnement de Nantes par rapport à d’autres métropoles ». Et non par rapport à d’autres villes… En réalité, l’avis de marché est passé au nom de la Ville mais dans le cadre d’un groupement de commandes avec la métropole. Ce qui est étrange. La communication de la Ville et de la Métropole sont communes ; cet avis de marché dénote une inversion des rôles entre deux entités qui n’ont font qu’une en pratique.

Leur « Responsable du Service presse ‑ Conseillère stratégie presse – Cabinet de la Maire-Présidente » a officiellement trois missions : Relations presse de la Maire-Présidente, Communication de crise et Sécurité / tranquillité publique. Elle est doublée d’une responsable-adjointe dont la communication de crise est la première fonction. Une fois de plus, les services de Johanna Rolland avouent leurs lacunes en recherchant chez un prestataire extérieur des compétences censées être déjà présentes (et rémunérées) en interne.

Cette prise de conscience explique peut-être que soient rangés parmi les sujets de crise municipaux la « qualité du service public » et les « grèves dans les services publics ». Ce qui accroît l’étonnement : la Ville ne peut pas grand chose contre l’inondation et la sécheresse, mais ne ferait-elle pas mieux d’affronter la crise de « qualité du service public » en améliorant celle-ci ex ante plutôt qu’en communiquant ex post ?

Et ce n’est probablement pas le seul danger humain redouté par la Ville. La communication de crise doit « distinguer Nantes dans sa capacité d’innovation et de protection, de rebond et d’action face aux enjeux climatiques, aux enjeux de hausse de la démographie, tout en étant un territoire où l’on peut bien vivre, est un enjeu pour l’ensemble des acteurs nantais ». Classés au registre de la communication de crise, les « enjeux de hausse de la démographie » pourraient bien être une manière politiquement correcte de désigner un risque d’inondation migratoire, trop dilué dans le « etc. » pointé plus haut, juste après les « fake news ».

Avis de marché bâclé

Ce qui laisse soupçonner que, par « communication de crise », il faut entendre aussi un peu de communication politique, « au niveau macro et ciblé », comme dit la Ville. Ou peut-être au niveau métropolitain et communal ?

Il pourra être demandé au prestataire d’analyser la communication « actuelle ou précédemment menée ». Johanna Rolland craindrait-elle que certaines prises de position lui reviennent en boomerang ? On pense par exemple à l’Arbre aux Hérons. On dirait qu’il y avait urgence et que l’avis de marché a été rédigé dans la précipitation. Le « cahier des clauses techniques particulières » (CCTP) est livré sous forme d’un document PDF intitulé  « LOT N°?? » ! Expédié en une page et deux lignes de texte, il paraît spécialement bâclé et guère conforme à l’article R2111-4 du code de la commande publique. Il ne manquerait plus que la communication de crise déclenche une crise de communication…

Quoi qu’il en soit, le prestataire ne restera sûrement pas les bras croisés. En trois ans, la Ville comme la Métropole ont peu de chances d’échapper tout à la fois aux inondations, aux canicules, aux grèves dans les services publics, aux « enjeux de hausse de la démographie » et aux fausses nouvelles. Le bon côté des choses, c’est qu’avec sa double casquette de maire et de présidente de la métropole, Johanna Rolland couvre un catalogue de calamités suffisant pour être sûre de ne pas se tromper : avec elle, on va tous mouriiiiiiir.

Sven Jelure

Les abysses du Carrousel des mondes marins : deux gros poissons mis en examen

Les dirigeants-créateurs se sont précipités pour crier leur honnêteté avant même qu'on leur demande quoi que ce soit. Une attitude qui pourrait être en lien avec la coupe du monde de football qui se déroule en ce moment.

Deux hauts fonctionnaires viennent d’être mis en examen pour des faits datant de la construction du Carrousel des mondes marins. Deux dirigeants de la SAMOA, dont l’ancien directeur de cabinet de Jean-Marc Ayrault l’avaient déjà été voici six mois. Mais pourquoi Pierre Orefice et François Delarozière tiennent-ils à s’en mêler ?

« Il n’y a rien dans l’enquête autour du montage du Carrousel », assure dignement Pierre Orefice à Presse Océan (3 décembre 2022). « On a fait les choses bien », ajoute-t-il, sans préciser qui est cet « on » : Le directeur des Machines de l’île ? Les deux créateurs du Carrousel des Mondes Marins ? La SPL Le Voyage à Nantes, son gestionnaire ? Nantes Métropole, qui en est propriétaire ? L’ensemble des protagonistes du dossier ?

L’institution judiciaire ne semble pas aussi convaincue par ce « rien » et par ce « bien ». Déjà, dès la première page de son rapport d’observations définitives (ROD) consacré la SPL Le Voyage à Nantes, la Chambre régionale des comptes écrit en 2017 :

La chambre a analysé l’organisation de la commande publique, et tout particulièrement, l’opération de construction du carrousel des mondes marins (d’un montant global de 10 M€). La SPL n’a pas toujours respecté les obligations légales, réglementaires ou contractuelles qui s’imposaient à elle.

Des conséquences judiciaires sont inéluctables. Mais le dossier est compliqué par un mélange des genres typique de la municipalité nantaise. Après avoir fait construire Les Machines de l’île, Nantes Métropole en confie l’exploitation, par délégation de service public (DSP), à une société d’économie mixte, Nantes Culture et Patrimoine en 2007. Les Machines de l’île ouvrent leurs portes le 30 juin 2007. La même année, le 27 octobre, Nantes Métropole décide la construction d’un Manège des mondes marins. Il doit coûter 6,4 millions d’euros et ouvrir ses portes au début de l’été 2009 (il coûtera finalement 10 millions et ouvrira en juillet 2012). Le suivi de la construction est confié à Nantes Culture et Patrimoine.

La SAMOA en sous-marin

Début 2011, Nantes Culture et Patrimoine est transformé en une société publique locale (SPL), Le Voyage à Nantes, englobant aussi l’office de tourisme et l’opération Estuaire, précédemment gérée par l’association CRDC-Le Lieu unique. La Chambre régionale des comptes s’apprête à étriller sévèrement le CRDC ; pourtant, c’est son patron, alias Jean Blaise, que Jean-Marc Ayrault nomme à la tête du Voyage à Nantes. Lequel s’empresse de passer contrat avec l’association La Machine pour construire le manège.

Mais le pilotage de l’opération est en fait assuré par la société d’économie mixte (SEM) SAMOA, dirigée par Jean-Luc Charles, ancien directeur de cabinet de Jean-Marc Ayrault. Aurait-on préféré en haut lieu ne pas laisser la bride sur le cou aux services de Jean Blaise ? Cette mission s’étend du 5 juillet 2010 au 30 avril 2011. Elle est formalisée par un contrat signé le… 13 août 2012 !

Ce qui n’amuse pas du tout la Chambre régionale des comptes. S’agissant d’un contrat administratif, note-t-elle, « la rétroactivité est une illégalité ». Le grand mot est lâché, les jeux sont faits : dès l’adoption du ROD, le 7 septembre 2017, les suites judiciaires sont dans les tuyaux. Fin 2017, la police judiciaire ouvre une enquête. En juin 2019, elle visite Le Voyage à Nantes. En mars 2021, elle perquisitionne ses locaux.

Pas de vagues

Ce n’est pas stricto sensu le calendrier des relations entre Le Voyage à Nantes et la SAMOA qui vaut à Jean-Luc Charles et à l’une de ses collaboratrices de l’époque d’être mis en examen en juin dernier. On leur reproche d’avoir commis un délit de favoritisme. Celui-ci consiste, pour une personne chargée d’une mission de service public, à« procurer ou tenter de procurer à autrui un avantage injustifié » (article 432-14 du code pénal). La police judiciaire a donc hameçonné davantage qu’un contrat rétroactif. Et rien ne dit qu’elle ait fini de tourner le moulinet.

Les mises en examen intervenues voici quelques jours impressionnent parce qu’elles concernent deux très hauts fonctionnaires. Cependant, on ne leur reproche qu’une complicité de favoritisme. C’est bien la SAMOA qui reste en vedette. Les milieux métropolitains veillent à parler de Jean-Luc Charles comme d’un « ancien » directeur général de la SEM : il serait parti en retraite depuis le mois d’avril 2022. Mais son départ n’a été déclaré au registre du commerce et des sociétés que le 13 juillet et publié au BODACC le 22 juillet. Encore un problème de rétroactivité, sans doute…

Affirmer que « il n’y a rien dans l’enquête autour du montage du Carrousel » est donc beaucoup s’avancer. Inutilement, qui plus est. Le ROD de la chambre régionale des comptes porte sur Le Voyage à Nantes, le Carrousel est un équipement qui appartient à Nantes Métropole et dont le nom a été déposé par Le Voyage à Nantes (en novembre 2012, quatre mois après son inauguration ‑ toujours un problème de rétroactivité). François Delarozière et Pierre Orefice auraient pu rester dans l’ombre en sifflotant innocemment. Ils semblent pourtant tenir à dire qu’ils n’y sont pour rien. Ils ne craignent donc pas l’effet Streisand ? Car le ROD montrait tout de même que La Machine était impliquée dans plusieurs irrégularités, portant notamment sur des factures. De là à penser que Johanna Rolland a préféré ne pas réitérer l’expérience avec l’Arbre aux Hérons…

Sven Jelure