Nantes Métropole se prépare aux inondations

Bien communiquer, surtout quand il y en a besoin. En cas d'inondation par exemple. Au fait, il sera où le nouveau CHU ?

Non, grâce à ses pilotis, Johanna Rolland ne craint pas que le CHU de l’île de Nantes soit inondé. Mais elle s’y prépare quand même. Nantes Métropole veut dispenser à ses élus et dirigeants une formation sur la communication de crise « notamment en cas d’inondation ». Elle vient de publier une annonce pour trouver un formateur.

Les risques naturels et technologiques sont du ressort de la Métropole. Ils sont nombreux : tempêtes, tremblements de terre, transport de matières dangereuses, accidents industriels, etc. Le risque numéro un, cependant, est celui d’inondation. Sur les vingt-quatre communes métropolitaines, dix-sept y sont exposées.

La préparation à la communication de crise dénote-t-elle un affolement particulier ? Pas vraiment. Il y a longtemps que l’État s’inquiète des risques d’inondation, étudiés dans une série de documents publiés en 2014 par la préfecture de Loire-Atlantique. En 2018 a été arrêté un « PAPI d’intention Loire-aval » animé par Nantes Métropole (PAPI signifie « Programme d’actions de prévention des inondations »). L’intention Loire-aval est bonne mais tarde peut-être à se concrétiser. Nantes Métropole se réfère explicitement au PAPI dans son avis de marché. Trois ans après la décision, il est bien temps de penser au préventif !

PAPI à petits pas

Malgré ce délai de réflexion, Nantes Métropole patauge un peu. La mesure du PAPI qu’elle entend mettre en œuvre est celle-ci : « Définir une stratégie globale d’information préventive des populations en zone inondable et hors zone inondable ». Logique, puisque le PI de PAPI, répétons-le, signifie « prévention des inondations ». Or l’objectif explicite de Nantes Métropole est de former ses dirigeants à la « communication de crise ». La communication de crise, c’est quand le pépin est arrivé. Elle n’a rien de préventif.

Simple erreur de vocabulaire ? Non, Nantes Métropole précise : « L’objectif global de la formation est de permettre aux participants de mieux informer et communiquer en cas d’événement grave et/ou à forte portée médiatique ». Les personnes formées devront « savoir mesurer l’impact médiatique d’un événement », « savoir s’exprimer devant une caméra », etc. Autrement dit, l’objet de la formation n’est pas l’« information préventive des populations », c’est de se débrouiller face à la presse devant les images d’une Venise de l’Ouest en temps d’acqua alta. Ou toute autre sorte de catastrophe, d’ailleurs.

Vu ses actuelles responsabilités extra-nantaises, on comprend les préoccupations de la maire de Nantes. Il ne faudrait pas qu’une gaffe d’un de ses proches lui mette davantage la tête sous l’eau. PAPI a bon dos, mais après lui, il n’y a plus que le cierge à sainte Rita, patronne des causes désespérées.

Sven Jelure

Johanna Rolland coincée entre Anne de Paris et Anne de Bretagne

Comment revenir indemne de cette aventure perdue d'avance. C'est soit du courage, soit...

Johanna Rolland fait profil bas ces temps-ci. Comme maire de Nantes, et surtout comme directrice de campagne d’Anne Hidalgo, maire de Paris et candidate du Parti socialiste à l’élection présidentielle de 2022. Qu’est-elle allée faire dans cette galère ? Ses chances d’en sortir sans dégât semblent à peu près nulles. Et le jour où elle retrouvera les affaires nantaises, c’est une autre Anne qui lui vaudra des insomnies.

Il y avait autrefois, en haut du passage Pommeraye, une boutique nommée Hidalgo de Paris. On y vendait des farces et attrapes, genre coussin péteur ou diable qui jaillit d’une boîte. Les vieux Nantais ont souri en apprenant que leur maire allait se mettre au service d’Anne Hidalgo de Paris. Mais cette boutique-là bat de l’aile et aujourd’hui l’enseigne fait moins envie que pitié. Comme un coussin péteur qui ferait pschittt.

Est-ce la candidate qui n’imprime pas ou sa campagne ? Ou les deux : on peut tout à la fois miser sur le mauvais cheval ET ne pas savoir l’atteler. Toujours est-il que Johanna Rolland n’en sortira pas indemne. En acceptant de diriger une campagne présidentielle nationale, elle a commis une double erreur d’appréciation, sur les difficultés de la tâche et sur ses propres capacités.

A-t-elle cru pouvoir déjouer le principe de Peter ? Son expérience électorale était mince et locale. En l’élisant d’un coup de sceptre municipal, Jean-Marc Ayrault a mis entre ses mains tous les instruments d’un pouvoir local pépère amassés en plus de vingt ans d’exercice : machine politique, moyens administratifs, complaisances médiatiques, réseaux d’obligés… Or, pour monter de toutes pièces une campagne nationale en remobilisant un parti largement composé de vieux grincheux, il eût fallu une tsarine.

Johanna Rolland, paraît-il, espérait devenir Première ministre une fois Anne Hidalgo élue. Première ministre, mais pour faire quoi ? Comme son parrain Jean-Marc ? Au risque d’aboutir à une exfiltration piteuse vers la présidence de quelque fondation, selon l’urgence expiatoire du moment : Fondation pour la mémoire des forêts primaires sacrifiées à des parkings de supermarché, Fondation pour la mémoire des populations néandertaliennes éliminées par nos ancêtres Sapiens, Fondation pour la mémoire des animaux d’élevage abattus au nom du foie gras ou des manteaux de fourrure… Ou, pire, l’énorme Fondation pour la mémoire anticipée de tous les méfaits que nos arrière-petits-enfants pourraient un jour nous reprocher.

Le débat public : une épine dans le pied

À moins d’un retournement de situation stupéfiant, façon Fillon 2017 mais en positif celui-là, Johanna Rolland a déjà perdu : les Nantais s’interrogeront sur sa clairvoyance. Si elle est capable de se fourvoyer à ce point, se demanderont-ils, est-elle bien qualifiée pour – juste un exemple au hasard ‑ choisir l’emplacement d’un CHU ?

Ce n’est pas tout. La prochaine échéance pour Johanna Rolland, c’est l’élection municipale de mars 2026. Et là, le problème s’appelle Anne de Bretagne. Pas la duchesse, bien sûr, mais le pont.

On pourrait penser que la pierre angulaire de la prochaine élection sera le nouveau CHU. Mais son inauguration est prévue pour avril 2026, soit après l’élection. Le chantier peut se poursuivre jusque-là dans son coin, tranquillou, et les ratés inévitables ne se verront qu’à l’usage. Il en ira autrement avec les moyens d’accès : pour ouvrir le CHU, il faudra créer une desserte par le tram. Et, pour qu’il y passe, refaire le pont Anne de Bretagne. Un casse-tête. Johanna Rolland le sait bien et tente de faire avancer ce chantier-là à bride abattue. Dura lex sed lex (article L121-9 du code de l’environnement), elle a quand même dû soumettre son projet au débat public.

Or ça ne s’est pas bien passé, les garants du débat public ne le cachent pas. On y reviendra, puisqu’ils ont réclamé à Nantes Métropole de publier les résultats du débat « au plus tard à l’automne 2021 ». Cause toujours ? En mars 2021, un article du journal municipal présentait le projet tram+pont comme définitivement arrêté. Les garants n’ont pas aimé : « Il est compréhensible que la Métropole soit convaincue du bien fondé de son projet. Mais affirmer sans nuance et sans même évoquer l’hypothèse de modifications, que le projet se réalisera, alors que le bilan de la concertation préalable n’est pas encore établi, risque d’induire de fortes interrogations sur la sincérité de la démarche de Nantes Métropole dans cette concertation. » Pas sincère, Nantes Métropole, qui oserait croire ça ?

Un pont trop tard

Et qui imaginerait que Johanna Rolland pourrait s’asseoir sur le bilan d’une concertation préalable ? Elle dont l’entourage a si mal digéré l’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes malgré l’avis consultatif exprimé par les habitants de Loire-Atlantique…

Le doute est permis, quand même. Malgré le grand nombre d’avis négatifs exprimés lors de la consultation, Nantes Métropole bricole en ce moment un panel citoyen chargé de suivre le dossier. Il sera formé moitié par tirage au sort, moitié par désignation parmi les candidats qui se sont signalés au plus tard le 24 octobre. Une désignation sûrement pas faite au petit bonheur la chance. On parierait que ce panel se rangera à l’avis de Nantes Métropole plus volontiers qu’aux avis contraires massivement exprimés lors du débat public…

Cependant, ces contrariétés risquent fort de nuire à l’avancement du projet. Partout en démocratie, les grands travaux pré-électoraux sont soumis à une règle démagogique non écrite mais impérieuse : il faut qu’ils soient finis à temps pour une belle inauguration publique. Et surtout, pour que les citoyens oublient les désagréments subis pendant des mois. Si le projet CHU/pont Anne de Bretagne se fait, les Nantais devront pendant des mois slalomer sur un pont en pleins travaux et d’emprunter des bus de substitution pour cause de coupure de la ligne 1 du tramway… On se souvient des joies du chantier du Busway…

Mais ne soyons pas trop pessimistes. Johanna Rolland est à bonne école : elle n’aura qu’à observer comment Anne Hidalgo se débrouille dans un Paris en chantier permanent.

Sven Jelure

L’Arbre aux hérons : on n’a encore rien vu ! (surtout côté dépenses)

« L’Arbre aux Hérons est-il si cher ? » demandent aujourd’hui Anne Augié et Stéphanie Lambert dans Ouest-France. Bonne question.

« L’Arbre aux Hérons est-il si cher ? » demandent aujourd’hui Anne Augié et Stéphanie Lambert dans OuestFrance. Bonne question. Fabrice Roussel, vice-président de Nantes métropole, choisit d’y répondre par l’absurde : « À titre de comparaison, la rénovation du musée d’arts de Nantes a coûté près de 90 millions d’euros ».

Celle-là, il n’aurait pas osé la faire du temps de Jean-Marc Ayrault ! À propos du musée d’arts, voici ce que déclarait Jean-Louis Jossic, alors adjoint à la culture, au conseil municipal du 3 avril 2009 : « Sur le plan du coût des travaux nous nous en tirons bien, parce qu’en plus, les études ont été extrêmement bien conduites […]. Nous avons vu les choses au mieux, ce qui permet d’arriver à un montant total de 34,6 M € HT » Malgré ces études bien conduites et ces choses au mieux, le musée d’arts a finalement coûté 88,5 millions d’euros. Soit à peu près autant que le Guggenheim de Bilbao, 20 % plus grand et qui attire six fois plus de visiteurs.

Le coût de cette réalisation retenue comme comparaison par Fabrice Roussel a donc dérapé de 160 %. Un dérapage du même ordre conduirait le coût de l’Arbre aux Hérons au-delà de 136 millions d’euros… Au moins Jean-Louis Jossic avait-il des devis en main. Fabrice Roussel peut-il en dire autant ? En ce cas, le groupe de travail des élus sur le projet ferait bien de les éplucher. Il ferait bien aussi de réclamer des appels d’offres ouverts, sans se laisser intimider par les oukases de François Delarozière.

Opacité financière

Le coût de la construction n’est pourtant qu’une partie de l’histoire. Comment se prononcer sur un dossier où l’on n’a pas chiffré, fût-ce sur un coin de nappe en papier :

  • Les gros aménagements en voies d’accès, parkings et transports en commun – destinés à rester sous-utilisés le plus clair de l’année en l’absence de touristes – indispensables pour faire venir les 500 000 visiteurs espérés.
  • Le compte d’exploitation de l’Arbre aux hérons. Un parc d’attraction a vocation à couvrir ses frais, et même à gagner de l’argent (voire beaucoup d’argent dans le cas du Puy-du-Fou). Or il est déjà admis que celui-ci serait déficitaire. Fabrice Roussel envisage froidement que la collectivité supporte 15 % de son coût de fonctionnement – « mais 15 % de quelle somme ? » demande judicieusement Ouest-France. À eux seuls, 15 % des frais de personnel (65 équivalents plein temps)envisagés par Pierre Orefice représenteraient au moins 0,3 million d’euros par an.
  • Le gros entretien. Nantes métropole a récemment voté un budget de 0,915 million d’euros pour la rénovation décennale du Carrousel des mondes marins (un appel d’offres est en cours), soit près de 10 % de son coût de construction. Faudrait-il remettre au pot plus de 5 millions d’euros tous les dix ans pour entretenir l’Arbre aux hérons (a priori plus vulnérable aux intempéries que le Carrousel) ?
  • Les renouvellements d’attractions. Un parc d’attractions ne vit que si ses clients reviennent, mais ils ne reviennent que s’il présente des nouveautés. C’est pourquoi la Galerie des machines crée régulièrement de nouvelles attractions financées par Nantes métropole. Comme l’Arbre aux hérons devrait être déficitaire, qui paierait les nouvelles attractions ? Reviendrait-on demander aux mécènes de supporter un tiers de leur coût, comme pour la construction de l’Arbre aux Hérons ?
  • Les aléas possibles. En cas de gros problème du genre pandémie, on l’a vu, un tel équipement devient un gouffre financier : qui pourrait affirmer qu’il n’y aura jamais d’autre covid-19 ? Surtout, l’Arbre aux hérons risque d’être impraticable une partie du temps pour raisons météorologiques. Pluies, vent, grosses chaleurs, grands froids, rendraient sa fréquentation inconfortable, ou même dangereuse (alors qu’ils n’interrompent pas le fonctionnement des Machines de l’île).

Et puis, il faut bien évoquer le manque de fiabilité des réalisations de La Machine. Le Grand éléphant a connu plusieurs pannes cet été. Le Dragon de Calais aussi, à tel point que la ville ne veut plus commander les autres autres animaux mécaniques qui devaient l’accompagner. L’entretien des treize animaux de la place Napoléon à La Roche-sur-Yon occupe trois personnes à plein temps. Le cheval-dragon Long-Ma acheté par les Chinois a dû revenir à l’atelier l’an dernier pour un traitement anti-parasites. À Nantes même, la Métropole avait passé contrat avec La Machine pour la réalisation d’un prototype de héron afin de réaliser des essais en public pendant tout l’été 2021. Le héron a bien été installé sur l’esplanade des Riveurs le temps de tourner un documentaire, puis il est revenu à l’état de squelette et ne bouge plus depuis des semaines. Interrogée, une charmante hôtesse des Machines de l’île explique qu’on lui a ôté ses plumes pour éviter les intempéries ! Fragile, la bête. La Machine n’a pas rempli sa part du contrat.

Retombées surévaluées

« L’Arbre aux hérons, c’est notre tour Eiffel ! » va répétant Yann Trichard, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Nantes Saint-Nazaire. La Tour Eiffel a été imaginée en 1884. Elle a fait l’objet d’une convention entre Eiffel et l’État en juin 1887. Elle a été inaugurée en mars 1889 : cinq ans entre l’idée et la réalisation. L’Arbre aux hérons, voici dix-sept ans qu’il en est question ! Accessoirement, le coût de la Tour Eiffel (doublé par rapport à son premier chiffrage) a été couvert pour l’essentiel par des capitaux privés. La Tour, exploitée par une entreprise privée, est finalement très rentable. Si l’Arbre aux Hérons doit être notre Tour Eiffel, pourquoi Fabrice Roussel prévoit-il 15 % de déficit d’exploitation ? Et qu’attend Yann Trichard pour fonder la Société de l’Arbre aux hérons en y mettant son propre argent ?

« On vise plus d’un million de visiteurs par an sur l’ensemble des sites des Machines », assure François Delarozière. « Chacun dépensera en moyenne 35 € à Nantes lors de sa visite, ça rapporte ! » D’où sort cette estimation de 35 € ? Mystère. La moitié des visiteurs des Machines viennent des environs et n’ont pas besoin de dépenser un sou de plus. Une bonne partie des visiteurs sont des enfants : vont-ils claquer 35 € d’argent de poche à cette occasion ? Mieux encore : quand François Delarozière parle de « visiteurs », il faut comprendre « billets vendus », c’est-à-dire que le nombre réel de visiteurs serait bien inférieur au million. Et les retombées pour Nantes bien inférieures au montant espéré.

Le dossier de l’Arbre aux hérons reste donc bâclé, lesté d’obscurités et d’approximations, voire d’allégations bidon. Certes, l’argent n’est peut-être qu’une question secondaire. L’important est de se demander s’il est bon pour Nantes de jouer une partie de son image sur une attraction de fête foraine. Mais même sur le plan financier, cette affaire se présente sous les plus mauvais auspices. « L’Arbre aux hérons est-il si cher ? » Oh ! bien plus encore !

Sven Jelure

Johanna Rolland avant la campagne électorale : rien n’est trop cher pour la communication

5,5 millions d'euros de communication sur quatre ans. Stylé !

À quelques mois des élections présidentielle et législative, Nantes Métropole, Nantes et le CCAS prévoient un énorme achat de services de communication. Ces presque 5,5 millions d’euros de budget vont forcément faire jaser.

Nantes Métropole, Nantes et le CCAS ont publié vendredi dernier (avec précipitation semble-t-il) un appel d’offres commun portant sur des conseils en communication. Pour un montant énorme : jusqu’à 5 426 000 euros hors TVA.

Et on ne parle pas là d’impression de journaux, d’achat d’espace, de gestion de sites web, tous métiers de la com’ où les factures peuvent monter vite. Non, il s’agit de services de conseil en conception – code 79415200 dans la nomenclature européenne des marchés publics. Du jus de cerveau.

Le montant du marché représente 359,4 années de SMIC net. D’après Cadremploi, un responsable communication bac+5 gagne entre 20 500 et 60 000 euros brut par an. Prenons la moyenne : 40 250 euros brut par an, un salaire de cadre déjà très correct. Pour le montant prévu, Nantes peut s’en payer presque 135 années. La durée du marché est de quatre ans. C’est-à-dire qu’avec le montant budgété, Nantes aurait de quoi se payer presque 34 responsables de communication à plein temps pendant quatre ans. Alors que sa dircom est déjà pléthorique.

Et pour quoi faire ?
Le marché est divisé en deux parts égales :

1)  Communication sur la thématique des transitions et du récit du projet de territoire

2)  Communication sur la thématique des proximités

Bref, deux bouteilles à l’encre, des sujets sous lesquels on peut faire entrer à peu près tout et n’importe quoi. Mais pas tous et n’importe qui : l’appel d’offres est restreint. Cinq candidats seulement auront le droit de s’aligner. On peut parier qu’ils seront triés sur le volet. À condition de faire vite : ils ne disposeront que qu’un mois, soit le minimum légal, pour présenter leur offre.

Voyons quand même le côté à moitié plein de ces bouteilles à l’encre : si l’on décide de communiquer aussi abondamment sur ces « thématiques », c’est sûrement que les nombreux désaccords entre Johanna Rolland et Julie Laernoes ont été aplanis. Car dans les mois qui viennent, la maire de Nantes va avoir d’autres chats à fouetter que de se mettre d’accord avec son alter éco. Un « récit du projet de territoire » à quatre mains, qui aurait osé en rêver il y a encore quinze jours ?

Sven Jelure

Clisson, Waterloo du sponsoring ou coup de boost pour l’Arbre aux Hérons ?

La sponsocratie directe à la Nantaise

Sans même avoir eu besoin de mettre le nez dans ses registres, la Chambre régionale des comptes vient de jouer un sale tour à l’Arbre aux Hérons. À moins qu’elle ne lui ait retiré une sacrée épine du pied ?

« Potius mori quam fœdari ! » Plutôt mourir que faillir : la Bretagne ducale ne plaisantait pas avec la probité ! La voilà la Blanche hermine, vive Fougères et Clisson ! Et Clisson, justement, va devoir raffermir cette fibre : la Chambre régionale des comptes, qui a inspecté ses comptes récemment, lui fait différents reproches pas graves-graves mais pas jolis-jolis non plus.

Ainsi, « le site internet de la commune ne comporte aucune information sur les subventions attribuées pour un montant supérieur à 23 000 € malgré l’obligation légale ». Clisson a promis de se mettre en règle avant l’été 2022. Tiens, pourquoi l’été 2022 ? Il doit bien exister quelque part un fichier des subventions déjà versées qui pourrait être mis en ligne sans délai…

Clisson se montre aussi d’une discrétion de violette à propos de ses marchés publics. Elle n’actualise plus ses données depuis 2015, « ce qui contrevient aux dispositions du code de la commande publique ». Et peut évidemment susciter de noirs soupçons.

Mais la Chambre a gardé le plus beau pour la fin. Sa toute dernière observation porte sur la « participation financière de tiers privés » :

La commune de Clisson bénéficie de recettes de fonctionnement récurrentes au titre d’opérations qualifiées de « mécénat », « parrainage » et « partenariat ». […] Ce type de recettes pose des difficultés au regard des règles de probité et des marchés publics.

Qu’en termes choisis ces choses-là sont dites. Mais pourquoi s’affoler ? En 2019, il y en a pour 5 000 euros : pas de quoi chercher des poux dans la toison de la Blanche hermine, quand même ! Aucun édile sans doute ne se laisserait fléchir contre une si mince obole ! La Chambre insiste néanmoins :

Le respect des règles relatives à la probité implique de ne pas accepter de financement de manifestations communales par des entreprises déjà titulaires de marchés publics de la commune. En effet, une telle contribution pourrait être perçue comme une contrepartie irrégulière à l’attribution du marché.

Cette insistance et cette formulation générale donnent à penser que le message de la Chambre ne s’adresse pas à la seule ville de Clisson. Il sera sûrement soupesé du côté de Nantes Métropole et de ses nombreux fournisseurs. Parmi les « mécènes » de l’Arbre aux Hérons se trouvent plusieurs attributaires de marchés publics de Nantes Métropole et de ses satellites, comme Charier et Id verde. Or si la Chambre s’offusque pour 5 000 euros à Clisson, ces deux-là sont inscrits respectivement pour au moins 200 000 et au moins 50 000 euros sur les tablettes de l’Arbre aux Hérons.

On suppose que la prohibition s’applique aux nombreuses manifestations pour lesquelles Nantes et compagnie tapent de généreux donateurs. Qui du coup auront un bon prétexte pour résister aux sollicitations : « Voyons, Mme Rolland, on ne voudrait pas vous mettre en porte à faux vis-à-vis de la Chambre régionale des comptes ». Surtout en ces temps de campagne présidentielle…

Fin de parcours pour l’Arbre aux Hérons, donc ? Pas si sûr. La pénurie de donateurs était déjà évidente. Le problème n’était pas d’« accepter » des dons mais d’en trouver. Faire financer un tiers de l’Arbre par des parrains, comme promis par Johanna Rolland, était devenu une sorte de pari idiot.

L’avertissement de la Chambre pourrait donc apporter une solution miraculeuse : puisque l’appel aux donateurs est fortement déconseillé, inutile de s’embêter à en chercher. Il suffira de les remplacer par des contribuables.

Sven Jelure

Nantes s’interroge sur le tourisme du futur, mais pas sur les fausses routes du passé

Le colloque du siècle :)

Le Voyage à Nantes organise les 6 et 7 septembre, à la Cité des congrès de Nantes, un colloque intitulé « Le tourisme du futur ». Que Jean Blaise se préoccupe de l’avenir, plutôt obscur en effet, c’est normal. Mais la formule choisie laisse sceptique.

« Si ton institution ne sait plus quoi faire pour qu’on parle d’elle, organise un colloque » : le dicton est vieux comme les relations publiques. L’industrie de l’événementiel en a fait un filon lucratif. Un colloque (forum, atelier, table ronde, séminaire, congrès, rencontres, assises, carrefour, symposium – barrer les mentions inutiles) permet de faire parler autrui quand on n’a plus rien à dire. Il peut aussi servir à :

  • occuper le personnel si l’activité courante n’est pas florissante,
  • remplir des salles de réunion non réservées,
  • accorder ou obtenir des renvois d’ascenseur,
  • rémunérer quelques amis et relations utiles (un journaliste n’aime pas faire de la peine à qui lui a commandé un « ménage » bien payé).

Quels que soient son ou ses objectifs, ce colloque nantais est étrangement positionné. Un colloque international se prépare normalement un an à l’avance. Sur l’antenne d’Euradio, en février, Jean Blaise l’avait annoncé pour le mois de mai. Puis, début juin, la date a ripé vers les 6 et 7 septembre. Trois mois de préavis, c’est trop court pour attirer à Nantes, en pleine période de rentrée, des personnalités aux emplois du temps chargés.

Qui craint la surabondance de touristes ?

Heureusement, Jean Blaise a un carnet de chèques et des relations. Il a confié l’animation du colloque au sociologue Jean Viard, un habitué de ce genre d’exercice mais surtout un vieil ami avec lequel il a rédigé un livre, Remettre le poireau à l’endroit (une histoire de culture, comme son nom l’indique). Comme le monde est petit, Viard en est aussi l’éditeur. Il y aura aussi l’indispensable critique d’art, Jean de Loisy. Pas un expert en tourisme, mais lui aussi un vieux complice de Jean Blaise. Ces Tri Yann là sont-ils réunis pour leur dernière représentation ? Pas sûr.

Jean Blaise a aussi invité la maire de Barcelone. Elle a délégué son adjoint au tourisme pour parler des inconvénients d’un trop grand afflux de touristes ; Nantes ne paraît pas directement menacée. Airbus a envoyé un cadre supérieur chargé des affaires publiques (c’est-à-dire en général des causettes distinguées), la SNCF sa brillante directrice du TGV Atlantique, le Louvre son directeur des relations extérieures. S’exprimeront aussi plusieurs conseils qui font métier de vendre leurs idées sur le tourisme, une journaliste québécoise, un philosophe et une anthropologue.

Le programme a été composé en fonction des personnalités dont on a pu obtenir la participation. Résultat, il part dans tous les sens. C’est un écueil classique. En général, les pros de l’événementiel réussissent à simuler une certaine unité. Ici, on n’a même pas fait semblant. En une journée et demie, le colloque prétend répondre à des questions (« Que devient le Louvre sans les Chinois ? Décidons-nous d’attendre la réalisation de l’avion électrique et du paquebot à voile d’ici 15 ans pour renouer avec le grand international ? »…) dont le rapport avec Nantes ne saute pas aux yeux.

Repartir de zéro, ou de pas grand chose

Le colloque fait l’objet d’un dossier de presse agréablement illustré par Frap, le caricaturiste du quotidien Presse Océan (dont, en revanche, l’affiche style Tintin au Congo a été envoyée aux oubliettes). Hélas, les retombées presse sont insignifiantes à ce jour. Le colloque demeure nanto-nantais. Peut-être était-ce le but, d’ailleurs ‑ parler d’avenir pour dissimuler un présent peu glorieux.

Beaucoup de gens se penchent sur le tourisme du futur. Les initiatives se multiplient. Le département de l’Hérault a lancé un dispositif d’aide à l’équipement technologique des acteurs du tourisme. Il s’appelle HERON. Ça ne s’invente pas. Mais que peut dire Nantes ? Avec les yeux éternellement plissés et les fossettes figées d’une statuette de Bouddha, Jean Blaise semble hors du temps. En le présentant, on commence par dire rituellement : « le créateur des Allumées ». Les Allumées : trente ans déjà… Pendant tout ce temps-là, on nous a parlé avec force superlatifs du bel avenir touristique de Nantes. Et voilà que le futur reste à inventer…

Sven Jelure

Voyage à Nantes 2021 : de qui est-ce le naufrage ?

Quel message avec cette œuvre ? La fin du Voyage à Nantes ? Pour une dernière édition, nous aurions préféré le Naufrage à Nantes.

La fontaine de la place Royale est le symbole de Nantes. Quel message le Voyage à Nantes veut-il délivrer en la représentant rouillée, échouée, la-ment-table ?

« La fontaine de la place Royale, symbole de la Ville de Nantes » : c’est Johanna Rolland qui nous le dit. Plus exactement, c’est le site web du Seve, dont elle est directrice de publication. Et Nantes ne plaisante pas avec un symbole. Sur le site web de Nantes Métropole, Google trouve pas moins de 93 occurrences du mot. Alors, quel symbole voulait-on cultiver en recouvrant le monument d’un simulacre d’épave sous le titre Le Naufrage de Neptune ?

Une « immense carcasse d’acier », assure la brochure du Voyage à Nantes 2021. Immense, n’exagérons rien. Avec à peu près 17 mètres de long et 5 de large, ce Titanic du pauvre est vingt fois plus petit que le modeste Bougainville, dernier cargo construit à Nantes en 1986 (113 x 17 m). Et 250 fois plus que le nouveau Bougainville lancé par la CMA CGM fin août 2015.

« Le bateau – œuvre d’Ugo Schiavi – « naufrage de Neptune » sera à n’en pas douter une étape phare du #van ! »s’enthousiasmait un peu vite Juju La Nantaise. Très drôle, le « phare » ! Il est vrai que les naufrageurs d’autrefois allumaient souvent des feux sur le rivage, simulant un fanal pour pousser les capitaines à la faute. Reste à savoir qui joue ici le rôle du pilleur d’épaves.

Mythologie de seconde main

Du pilleur de mythes, aussi. La brochure du Voyage à Nantes voit dans la fontaine de la place Royale « une allégorie dominée par la statue d’Amphitrite, déesse de la mer ». Or cette statue n’a jamais été celle d’Amphitrite. Son histoire est bien connue : c’est une allégorie de la ville de Nantes elle-même, comme l’écrit Édouard Pied dans ses célèbres Notices (1906). Il suffit de regarder : son couvre-chef censé représenter le château des ducs de Bretagne est incompatible avec la baignade. Et elle est vêtue d’une robe qui lui tombe jusqu’aux pieds. La maîtresse des monstres marins n’était pas du genre burkini : elle est presque toujours représentée nue. La demi-douzaine de sculptures présentées au Louvre en sont témoin*.

Et puis, allez donc confondre Amphitrite, déesse subalterne éclipsée par son mari Poséidon, dieu de la mer (Neptune n’est venu que plus tard), épousée par manigance et abondamment cocufiée, avec une ville aussi fière que Nantes… L’idée même devrait horrifier Johanna Rolland (qui la répand pourtant avec le Seve).

Le nom Amphitrite lui-même n’était sûrement pas dans l’air du temps à l’époque de l’érection de la fontaine. Il eût trop tristement rappelé l’un des drames maritimes les plus épouvantables et les plus médiatisés du 19e siècle, le naufrage devant Boulogne-sur-Mer, le 31 août 1833, de l’Amphitrite, navire britannique transportant 108 femmes de mauvaise vie condamnées à la déportation en Australie, ainsi qu’une douzaine d’enfants. Seuls trois marins avaient survécu. Vingt-cinq ans plus tard, son souvenir n’était pas sûrement pas éteint à Nantes.

De rouille et d’eau

Puisqu’il ne faut rien gaspiller et que l’allégorie nous a déjà coûté bonbon, recyclons-la : l’échouage final ici représenté est celui du Voyage à Nantes. Il a lancé son cri du cygne l’an dernier avec le Rideau de Stéphane Thidet. Le VAN 2021 est la traversée de trop.

On se rappelle le lamento répété de Jean-Marc Ayrault à propos de la Navale. « Lorsque je suis arrivé à la mairie de Nantes, les chantiers navals venaient de fermer, la ville se sentait sur le déclin, les Nantais ne se voyaient pas d’avenir », racontait-il une Nième fois il y a quatre ans dans un entretien avec Pierre-Marie Hériaud (Presse Océan, 18 mai 2017). « Avec Jean Blaise on les a surpris avec les Allumées et les Nantais se sont surpris : ce festival a déclenché la fierté, l’audace et la créativité qui étaient enfouies. » Aujourd’hui, non seulement les chantiers ont fermé, mais les navires ont coulé (le Bougainville a été désarmé voici une dizaine d’années déjà), les Allumées sont éteintes depuis longtemps et Jean Blaise lui-même paraît rouillé.

Le Voyage à Nantes a été créé en janvier 2011. Dix ans déjà… Voilà pourtant un anniversaire qu’on s’est gardé de célébrer. On voit bien pourquoi. Malgré les rodomontades de son patron et les dizaines de millions d’euros dépensés, la société publique locale n’a pas tenu sa promesse, qui était de faire entrer Nantes « dans le top 5 des destinations françaises ». En fait, Nantes reste sans doute aux alentours du dixième rang… comme il y a dix ans.

Faut-il incriminer l’âge du capitaine ? En réalité, malgré quelques réussites ponctuelles, la formule du Voyage à Nantes n’a jamais décollé. Des touristes sont venus – mais il en est venu aussi à peu près partout ailleurs. Et alors que beaucoup de régions touristiques françaises ont peu ou prou comblé le trou d’air du coronavirus, le tourisme à Nantes est loin d’avoir récupéré. On le constate à vue d’œil dans les rues du centre-ville. On soupçonne que le vrai moteur du tourisme à Nantes n’était pas le Voyage à Nantes mais le transport aérien low-cost – Volotea, Ryanair, Transavia et les autres… Ce n’est pas un naufrage, c’est une catastrophe aérienne qu’il aurait fallu montrer place Royale en guise d’ultime représentation.

Sven Jelure

* Pour être juste, la robe est ici due à l’insistance de l’évêque de Nantes. Le sculpteur Ducommun de Locle avait initialement prévu une Nantes à l’état de nature.

Arbre aux Hérons : la hausse du prix qui cache la forêt

Pour résumer, il n'y aura qu'un héron, plusieurs arbres et pas mal de trucs plus ou moins animés autour.

La construction de l’Arbre aux Hérons n’est pas encore décidée que son coût est déjà réévalué : ce sera 52,4 millions d’euros au lieu de 35 millions. Depuis vendredi, les débats politiques nantais se focalisent sur cette hausse, mais n’est-ce pas l’arbre… qui cache la forêt ?

Comme annoncé, Johanna Rolland a fait semblant de faire le point sur le projet d’Arbre aux Hérons vendredi dernier. Elle a laissé son grand argentier, Fabrice Roussel, annoncer la douloureuse : 52,4 millions d’euros H.T. au lieu de 35. On admire la précision de la décimale : grâce à elle, on ne peut pas dire que le coût augmente de moitié (+ 49,7 % seulement).

La nouvelle enveloppe est inférieure aux 69,9 millions d’euros (+ 99,7 %, tiens, tiens) venus naguère aux oreilles de La Lettre à Lulu via une indiscrétion municipale. Il suffit peut-être d’attendre. On invoque l’inflation intervenue entre l’annonce des 35 millions, en 2013, et aujourd’hui. Comme l’Arbre ne devrait être achevé qu’en 2027, cette satanée inflation a encore près de six ans devant elle. Si l’on projette la note finale au rythme des huit dernières années, on arrive à quelque chose comme 69,9 millions d’euros. Tiens, tiens (bis).

Cette extrapolation ne relève pas du mauvais esprit. Dans les quatre mois avant leur entrée en service, le coût du Grand éléphant et de la Galerie est passé des 4,8 millions d’euros prévus à 5,2 millions d’euros (+ 8,3 %). Le Carrousel devait coûter 6,4 millions d’euros lors de sa présentation en 2009 ; il en a finalement coûté 10 (+ 56,25 %) trois ans plus tard.

Les 52,4 millions d’euros ne sont qu’une petite partie du budget d’investissement, insiste Fabrice Roussel. Sans aucun doute, la Métropole ne manque pas d’autres sujets de gaspillage ! Et puis, si l’on compare au prix d’un tableau de Picasso ou d’un international de football, ça n’est pas si colossal après tout. Mais 52,4 millions d’euros, c’est quand même un peu plus que les 52 millions investis en 2020 par Le Puy du Fou pour créer tout à la fois son nouveau spectacle « Noces de feu », un hôtel 4 étoiles de 96 chambres et un palais des congrès autour d’un auditorium de 500 places. À Nantes, tout est plus cher.

Un Arbre mono-Héron ?

De bonnes surprises ne sont pas exclues, cependant. Les études menées jusqu’à présent ne sont pas des études de prix. Qui pourrait dire aujourd’hui ce que coûteront vraiment les travaux ? Tout le monde est d’avis que l’Arbre aux Hérons sera une réalisation très prestigieuse. Pour avoir l’honneur d’en être, les entreprises devraient tirer leurs prix aux maximum quand elles répondront aux avis de marché de Nantes Métropole.

Ah ! mais vous rêvez ? Des avis de marché, il ne faut pas compter dessus ! On l’aura remarqué, Johanna Rolland, Fabrice Roussel et les autres veillent à répéter que l’Arbre sera une « œuvre d’art ». Décryptage : pour acheter une œuvre d’art, on peut déroger au droit commun de la commande publique et attribuer les commandes de gré à gré. D’ailleurs, le dossier de presse signé François Delaroziere et Pierre Orefice annonce franco « 90 % d’entreprises régionales associées à la construction » de l’Arbre, ce qui sous-entend que les heureux élus sont déjà désignés. Cependant, le climat politique est de moins en moins aux arrangements entre amis. Déjà, le Carrousel n’avait pas entièrement échappé aux rigueurs de la loi. Ceux qui entendent déjà tinter leur tiroir-caisse pourraient avoir des déceptions.

Et puis, les concepteurs de l’Arbre pourraient trouver à faire quelques économies. Déjà, entre les lignes il semble bien que l’Arbre aux Hérons soit devenu l’Arbre au Héron ; les deux lettres gagnées pourraient se traduire en millions d’euros épargnés. Personne n’a insisté là-dessus, mais la nouvelle présentation de l’Arbre montre désormais un seul Héron tournoyant à sa cime, au lieu de deux. Le second se contenterait de couver un œuf. Un peu moins compliqué, forcément.

Possible ? Il vaudrait mieux !

Si les dépenses sont incertaines, les recettes ne le sont pas moins. Johanna Rolland pouvait difficilement se déjuger : elle a confirmé que le financement de l’Arbre devait être apporté pour 1/3 par Nantes Métropole, 1/3 par d’autres acteurs publics et 1/3 par le secteur privé. Soit désormais 17,5 millions d’euros pour chaque tiers au lieu d’une petite douzaine.

« On pense que c’est possible », dit Bruno Hug de Larauze, président du Fonds de dotation de l’Arbre aux hérons, sur un ton qui ne semble pas totalement assuré : il suffirait de trouver 2 millions d’euros par an jusqu’en 2027 (en réalité, plutôt 2,5 millions si l’on tient compte de l’inflation et des frais de fonctionnement du Fonds). Mais en s’accordant jusqu’en 2027 pour trouver l’argent, il annonce que plus de la moitié de la contribution privée manquerait encore lors du lancement de la construction en 2023. Pas prudent, ça ! À la place de Fabrice Roussel, on demanderait à M. Hug de Larauze de s’engager personnellement à combler le trou éventuel.

Jeu à la nantaise

Quant à l’avenir à plus long terme, il n’en a pas été question vendredi : 2027, c’est loin. « Après l’ouverture au public, le Bestiaire continuera de s’agrandir, et les années suivantes verront arriver de nouvelles espèces », annoncent pourtant les auteurs du projet. Bien entendu, personne n’a dit qui paierait ces nouvelles machines le jour venu.

Personne ne s’est soucié non plus des investissements nécessaires pour aménager les abords de l’Arbre aux Hérons (voies de circulation, parkings…). Une personne, en revanche, une seule, a évoqué le déficit de fonctionnement. Car déficit il y aura, c’est déjà convenu. Pierre Orefice a annoncé que les recettes de l’Arbre couvriraient 80 à 85 % des dépenses. Il semble trouver ça admirable. Mais cela laisse quand même 15 à 20 % à la charge du contribuable métropolitain, soit peut-être 1 million d’euros par an. Et si les 500 000 visiteurs espérés par Pierre Orefice ne sont pas au rendez-vous, ce sera plus.

Pas grave, il faut le faire, car c’est du « jeu à la nantaise », ça illustre le dynamisme et l’esprit innovant de Nantes. Ah ! oui, sûrement, un projet encore dans le flou au bout de dix-sept ans (il remonte à 2004) est une preuve incontestable de dynamisme. « L’Arbre aux Hérons sera à Nantes ce qu’est la tour Eiffel à Paris », répète une Nième fois Yann Trichard, président de la CCI. Cela donnera à la Ville un élan formidable. C’était déjà le résultat attendu des Machines de l’île, puis du Voyage à Nantes. Ça n’a donc pas marché ? Raison de plus pour continuer, on ne change pas une équipe qui perd, c’est comme ça, de nos jours, le jeu à la nantaise.

Sven Jelure

La vérité sur l’Arbre aux Hérons le 9 juillet ?

Comment dire non poliment ? Ou comment faire financer par ceux qui ne profiteront pas du ruissellement touristique... Et donc, Johanna Rolland est-elle habile ou tordue ?

« L’Arbre aux hérons et son financement dévoilés le 9 juillet », titrait Ouest-France à l’issue du conseil de Nantes Métropole, mardi dernier. C’est sans doute un peu optimiste. Johanna Rolland a seulement annoncé qu’elle proposerait le 9 juillet la création d’un « groupe de travail transpartisan » pour débattre du sujet.

Johanna Rolland est à bonne école. Clemenceau disait : « Si vous voulez enterrer un problème, créez une commission ». Le « groupe de travail transpartisan »suffira-t-il à enterrer ce problème censé planer à 40 mètres d’altitude ? Pas sûr, mais il peut repousser une fois de plus les échéances. C’est reparti pour un tour de héron virtuel.

Un de plus ! « En multipliant les délibérations qui évoquent le sujet sans jamais l’aborder totalement, sans débat transparent, on pourrait croire que ce projet est fait, là, ça y est, déjà, sans concertation, sans visibilité financière, sans études techniques, sans échanges politiques », venait de gronder l’écolo Mahel Coppey en séance du Conseil. En vérité, de petits bouts du projet sont déjà faits, « là, ça y est », toujours censés « valider sa faisabilité » mais sans valider grand chose. Tout en dépensant beaucoup. Dès leur ouverture voici tout juste quatorze ans, les Nefs de l’île de Nantes étaient flanquées d’une « branche prototype ». Elle est toujours là. Elle devait servir à « valider » la possibilité d’y fixer des plantes en pot. Yes we can! (So what?)

Les comptes poussifs du Fonds de dotation

Des questions gênantes devraient être posées le 9 juillet – si les maires de la Métropole montrent un peu de liberté d’esprit. Le 29 juin en effet, le Fonds de dotation Arbre aux hérons et jardin extraordinaire a publié ses comptes 2020 au Journal officiel.

Conformément à la loi ? Pas tout à fait : celle-ci exige des comptes certifiés par un commissaire aux comptes. Le Fonds s’est contenté d’une présentation établie par son expert-comptable. La nuance est importante. On se souvient que l’affaire de détournements qui secoue La Folle Journée a été découverte quand un commissaire aux comptes a refusé de certifier les comptes de l’association para-municipale Espace Simone de Beauvoir. Le rapport du commissaire aux comptes doit donner des précision sur l’activité du Fonds. La présentations de l’expert-comptable est plus sommaire. Mais, entre les lignes, elle raconte déjà des choses désagréables.

À la création du Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons, Johanna Rolland déclarait, le 8 février 2017, que l’Arbre ouvrirait ses branches au public « au début du prochain mandat, en 2021-2022 ». Au 31 décembre 2020, le chantier aurait donc dû être bien avancé. Et le Fonds aurait dû avoir accompli l’essentiel de sa mission : récolter auprès de donateurs privés un tiers du coût de la construction, alors évalué à 35 millions d’euros*. Où en est-il ? Ses comptes 2019, on s’en souvient, étaient alarmants. Karine Daniel, directrice du Fonds et ancienne députée socialiste, a-t-elle réussi à redresser la situation en 2020 ? Non.

Très loin du compte

C’en est même étonnant. Au cours de l’année 2020, le Fonds a annoncé sur son site web avoir convaincu une vingtaine de nouveaux mécènes. Intermarché aurait signé dans la catégorie « Héron impérial », qui suppose un ticket d’entrée minimum de 500.000 euros. Bati-Nantes, Charier, Idea et Cetih, en catégorie « Héron Goliath », se seraient engagés pour un minimum de 200.000 euros chacun. Si l’on ajoute à cela neuf « Grands hérons » à 50.000 euros minimum et cinq « Hérons cendrés » à 5.000 euros, Le Fonds aurait ainsi dû palper au moins 1.775.000 euros dans l’année.

Or il n’a officiellement enregistré en 2020 que 726.000 euros de mécénats. Il est probable qu’une partie des mécènes ont été inscrits au tableau de chasse moyennant de simples promesses verbales. Des chefs d’entreprise sérieux ne financent pas chat en poche !

Entre sa création et la fin 2020, près de quatre ans donc, le Fonds a encaissé au total moins de 2,5 millions d’euros, soit environ 20 % de son objectif seulement. Il en a reversé 1,2 million d’euros à Nantes Métropole À fin 2020, il lui restait en caisse 0,8 million d’euros. La différence représentait a priori ses frais de fonctionnement. Dans ses comptes figuraient aussi moins de 1,8 million d’euros d’« autres créances » qui doivent représenter des promesses de mécènes.

Si 2020 a été moins bonne que 2019, 2021 s’annonce encore pire, avec un seul nouveau « Héron Goliath », deux ou trois « Grands Hérons » et quatre ou cinq « Hérons cendrés » inscrits officiellement au premier semestre. À ce rythme, il faudrait de nombreuses années pour réunir le financement. Le 9 juillet, Johanna Rolland devrait reconnaître l’échec du projet : la condition du tiers privé fixée par elle-même n’est pas satisfaite.

Les mécènes eux-mêmes commencent à devenir méfiants. Certains d’entre eux réclament de parrainer spécifiquement des éléments existants de la Galerie des Machines et non un ensemble flou Arbre aux Hérons + Jardin extraordinaire. Ce qui suppose au passage un montage juridique un peu tordu puisque les statuts du Fonds lui imposent en principe de reverser tout son argent à Nantes Métropole. Le nouveau Caméléon est ainsi parrainé par Cameleon Group, un leader du marketing point de vente dont le siège se trouve à Saint-Herblain. Vinci, Idea et Cetih ont fait de même avec d’autres machines. Un signe de défiance qui devrait inquiéter le président du Fonds de dotation Arbre aux Hérons et Jardin extraordinaire, lequel se trouve être aussi… le patron d’Idea.

Un prototype qui suscite le doute

Mais se pourrait-il que Johanna Rolland se dédise et décide : « on continue, les contribuables paieront » ? C’est ce qu’assurait Pierre Orefice, l’un des co-pères du projet, au mois de mars. Selon lui, Johanna Rolland allait « très bientôt » officialiser le projet. Et il ajoutait : « les études sont terminées », ces fameuses études destinées à valider le projet.

Mais que voit-on depuis quelques jours à côté des locaux de La Machine et des Machines de l’île ? Un prototype de héron mécanique, avec une affiche qui explique ceci : « il est apparu au cours des études qu’il était impossible de valider les calculs de structure de l’Arbre aux Hérons sans connaître en amont les réactions de cette machine ainsi que de son bras et de son contrepoids. Il a donc été nécessaire de construire ce Héron puis de lui faire effectuer un vol circulaire au niveau du sol. » Le comportement de la machine sera scruté tout au long de l’été 2021.

Alors, terminées ou pas, les études ? Le prototype était-il indispensable (auquel cas Pierre Orefice raconte des carabistouilles) ou pas (auquel cas l’affiche posée par ses concepteurs raconte des carabistouilles) ? Ces approximations ne sont pas rassurantes quand l’enjeu est d’envoyer des passagers, par lots de dix-huit à la fois, tournoyer à plus de 40 m de haut sur un engin de 35 tonnes en charge, le poids d’un gros autobus ! Vaudrait mieux pas se louper…

« L’ensemble doit pouvoir subir des vents allant jusqu’a 95km/h », ajoute l’affiche. Rien que dans les dix dernières années, des rafales à plus de 100 km/h ont été enregistrées à Nantes Atlantique en 2011, 2014, 2017 (trois journées) et 2019 (deux journées), avec un maximum de 112,3 km/h. La tempête du 26 décembre 1999 a soufflé à 126 km/h. Il devient quoi, le héron, dans ces cas-là ?

Quand le « groupe de travail transpartisan » aura obtenu des réponses à ces questions, il pourra enfin se pencher sur la question totalement négligée du coût d’exploitation d’un Arbre aux Hérons. Avec un tout nouvel élément de comparaison versé au dossier par le conseil métropolitain du 29 juin : neuf ans après sa mise en service, le Carrousel des mondes marins, qui a coûté 10 millions d’euros H.T., nécessite 915.000 euros de frais d’entretien décennal…

Sven Jelure

* Un autre tiers devait être financé par le secteur public hors Nantes Métropole. La région (merci la droite) a été la première à mettre au pot pour 4 millions d’euros. Le département de Loire-Atlantique s’est inscrit pour 6 millions d’euros et l’État (merci l’en-même temps), par la bouche du Premier ministre, a promis 1,7 million d’euros il y a quelques semaines. Le compte y est, mais ric-rac. Or tout le monde dit aujourd’hui que les 35 millions d’euros prévus ne suffiront pas. Il va donc rester un trou à combler.

Machines à timbrer

13 € pour 8,64 €. L'affaire du siècle. 8 à la douzaine payés par les usagers de La Poste pour faire la publicité d'une structure privée.

Autrefois, un « Premier jour », pour les philatélistes, c’était l’occasion d’acheter un timbre avec un coup de tampon à date pour le même prix. Aujourd’hui, c’est l’occasion d’acheter un timbre pour plus cher !

La Poste vient d’éditer un bloc de huit timbres consacré aux Machines de l’île. Elle avait installé le week-end dernier, sous les Nefs des chantiers navals, un stand spécial Premier jour animé par une équipe de postiers.

Les timbres représentent le Grand éléphant, le Minotaure de Toulouse ainsi que le colibri et le paresseux de la Galerie des Machines. À chacun est consacré une paire de timbres : version croquis et version terminée. Ces timbres sont destinés à affranchir des lettres vertes. Le bloc de huit est vendu 13 euros. Sa valeur d’affranchissement est de 1,08 x 8 = 8,64 euros…

« Mais c’est prohibitif ! » dis-je.

« Vous comprenez, il y a des frais », répond l’aimable postier. « Des droits d’auteur… »

Formidable ! Quand La Poste fait la publicité des Machines de l’île, c’est à l’usager de payer et ce sont MM. Orefice et Delarozière qui palpent ! On apprécie une fois de plus l’incroyable imprévoyance de Jean-Marc Ayrault qui, en 2004, accordant aux deux compères des privilèges extraordinaires, s’est abstenu de négocier cette simple clause : l’image des machines qui ne seraient rien sans Nantes appartient à Nantes.

Sven Jelure