Bertrand Affilé poignarde l’Arbre aux hérons

Plus fort que saint Georges : Bertrand Affilé ! Plus efficace que la cour des comptes : Bertrand Affilé !

Bertrand Affilé, vice-président de Nantes Métropole, décoche un coup de poignard  dans le dos au projet d’Arbre aux Hérons tout en prétendant le soutenir via les « off de la semaine » de Presse Océan (19 mars)

« Quid de la polémique née du souhait des créateurs de l’Arbre aux Hérons d’obtenir la reconnaissance de la sculpture-manège au rang d’œuvre d’art, afin de recruter les entreprises de leur choix, sans publicité ni mise en concurrence ? » demande le quotidien. Au lieu de s’insurger contre la question telle qu’elle est formulée, le maire socialiste de Saint-Herblain tombe dans le piège. Volontairement ou pas, c’est un autre sujet ; on y reviendra plus bas.

Pourquoi la question posée par Presse Océan était-elle piégée ? Parce qu’elle montre le dessous des cartes :

  • Premièrement, la polémique ne tient qu’à un « souhait » de MM. Orefice et Delarozière. Pour y mettre fin, il suffirait à Nantes Métropole de leur dire : « On applique la loi telle qu’elle est sans chercher à finasser, c’est à prendre ou à laisser. »
  • Deuxièmement, l’appellation « œuvre d’art » ne désigne pas une qualité esthétique mais une argutie imaginée « afin de » permettre à MM. Orefice et Delarozière de choisir leurs fournisseurs en toute liberté.

Le débat ne porte pas sur la beauté de l’Arbre aux Hérons mais sur les conditions dans lesquelles il serait acheté. MM. Orefice et Delarozière réclament l’application de conditions dérogatoires du droit commun prévues par l’article R2122-3 du code de la commande publique. Nantes Métropole leur attribuerait un marché global, et eux-mêmes passeraient ensuite commande aux entreprises de leur choix, avec l’argent de la collectivité et sans que personne vienne s’en mêler.

Entre Herblinois

Clairement, ça coince. Affirmer : « C’est une œuvre d’art » n’est pas suffisant pour s’asseoir sur la loi. Le cas n’est pas nouveau. Quand une collectivité publique fait construire un immeuble, le créateur est l’architecte, mais ça ne lui permet pas de choisir librement son maçon ou son couvreur. L’art est dans le plan, pas dans le coup de truelle. MM. Orefice et Delarozière réclament en fait une dérogation à une dérogation.

Or, au lieu de tenter des variations au pipeau sur le thème de l’œuvre d’art, Bertrand Affilé met les pieds dans le plat. « Moi, ça me rassure de savoir que ce ne seront pas forcément les moins-disants, mais les meilleurs, qui se verront attribuer les marchés », dit-il. Il confirme ainsi que l’enjeu, c’est bien les marchés. Est-il vraiment rassuré de savoir que « les meilleurs » seront déterminés par deux artistes ?

Puis celui qui est aussi maire de Saint-Herblain agite les pieds : « La SFCMM, société de Saint-Herblain qui fabrique les branches en acier de l’Arbre aux Hérons est une des seules entreprises du grand ouest et peut-être même de France capable de cintrer de l’acier*, des tubes d’acier de très grosse épaisseur. Qu’il n’y ait pas de mise en concurrence sur un tel sujet, et qu’on privilégie la sécurité, je pense que c’est plutôt sain… » Avant même que la décision de construire l’Arbre ait été prise, on a commencé à se partager le budget ! Faut-il préciser que SFCMM est l’un des mécènes de l’Arbre aux Hérons ? Il a promis au moins 50 000 euros à son Fonds de dotation.

Qui sera réputé avoir ruiné un rêve ?

Qu’on choisisse « les meilleurs », qu’on « privilégie la sécurité » est louable, bien sûr. Mais respecter la loi ne signifie pas négliger la sécurité. Une collectivité qui construit un pont ou un hôpital conformément au droit commun des marchés publics se préoccupe de sécurité. Celle-ci est assurée par les spécifications des marchés, par les normes imposés aux attributaires, par des bureaux de contrôle, etc. Est-ce à dire que les prestataires de l’Arbre aux Hérons échapperaient à tout cela parce qu’ils ont leur siège à Saint-Herblain ou ailleurs dans la Métropole ? C’est là qu’il y aurait de quoi s’inquiéter ! Heureusement, MM. Orefice et Delarozière veilleront au grain.

Bertrand Affilé ne peut être naïf au point de croire sincèrement que le blocage de l’Arbre aux Hérons est dû à un écart entre les « souhaits » de ses créateurs et la rigidité des gardiens de la loi. (Et même si c’était le cas, pourquoi le reprocher aux seconds et pas aux premiers ?) Sa présentation biaisée du problème doit avoir une autre explication. Voici une hypothèse. Nantes Métropole a des tas de raisons d’abandonner le projet d’Arbre aux Hérons – économiques, politiques, financières, techniques, urbanistiques… Toutes renvoient à un ou plusieurs défauts du projet. Mais ce dernier a des partisans. On a beau savoir qu’un rêve est irréalisable, il est difficile de s’en extraire. Il faudra désigner des coupables vers qui diriger des mécontentements. Ceux qui ont imaginé le projet ? Les politiques qui l’ont soutenu au-delà de toute raison ? Ou bien plutôt les vilains technocrates de Bercy ?

Sven Jelure

* Une des seules entreprises… donc il y en a d’autres, ce qui justifie un appel d’offres en bonne et due forme.

Depuis les années 2000, les impôts se cultivent à Nantes

Dans les années 2000, Jean Blaise a inventé l'aspirateur à touriste, mais le sac était déjà plein

Mais quelle mouche a donc piqué Presse Océan ? Le quotidien a publié ce lundi deux pages intitulées « Les années 2000 : la culture s’impose à Nantes ». Faire le point sur les années 2000 un 14 février 2022 paraît déjà étrange. Et ranger à la rubrique culturelle le pont Senghor, « la rude mue de Malakoff », les Navibus et le palais de Justice inauguré le 24 mars 2000, c’est quand même gonfler exagérément le sujet.

Le dossier commence bizarrement par la formule « 50 glorieuses », sans expliciter son rapport avec les années 2000, puis passe tout de suite au culte de la personnalité : « l’artisan de la culture à Nantes, c’est Jean Blaise ». Et toc ! pour tous les autres  ‑ peintres, sculpteurs, musiciens, galeristes, graphistes, etc. Jean Blaise, pourtant, n’est pas l’artisan de la culture mais son préposé : à lui de faire ruisseler – ou pas – vers les créateurs l’argent des contribuables. Quand j’entends le mot culture, je sors mon fonctionnaire !

Pour faire quoi ? « Jean Blaise et son équipe sont les premiers à métamorphoser une friche industrielle en espace culturel », proclame le quotidien. « Les premiers », c’est flatteur, mais c’est complètement faux. Les espaces culturels aménagées dans d’anciens bâtiments industriels étaient légion bien avant 1990. La saline royale d’Arc-et-Senans, par exemple, est un centre culturel international depuis le début des années 1970.. Pareil à l’étranger : WUK de Vienne, IFICT de Lisbonne, Avogaria de Venise… on trouverait aisément des centaines de cas à travers le monde.

Et même à Nantes, tiens : l’ancienne conserverie Colin de la rue des Salorges a été transformée en musée de la marine dès 1923. Comment Stéphane Pajot, fin connaisseur de l’histoire nantaise, a-t-il pu l’oublier ?

Et ce n’est pas tout. Quand on a commencé à patauger, il est difficile d’en sortir. « C’est à partir de 2007, avec la création d’Estuaire, que l’art va s’installer dans l’espace public », assure Presse Océan. Oubliant que, par exemple, la statue d’Anne de Bretagne par Jean Fréour trônait sur la place Marc Elder depuis 2002. Elle avait été précédée par des centaines d’autres œuvres érigées à travers l’histoire depuis le Moyen-âge, des statues de la cathédrale aux monuments aux morts du 20e siècle en passant par les mascarons du centre ville. Qu’importe, l’an Zéro de l’art à Nantes, ça ne peut être qu’Estuaire.

Estuaire, dont Presse Océan ne rappelle pas les mésaventures financières mais dont Jean Blaise soi-même explique l’origine : « On déplie la carte et on voit bien que le point commun entre les deux villes [Nantes et Saint-Nazaire] est l’estuaire de la Loire ». Heureusement que Jean Blaise n’a pas déplié plutôt une carte routière : une biennale artistique intitulée RN165/RN171, ça aurait fait bizarre.

Cerise sur le gâteau, Jean Blaise livre aussi à Presse Océan le secret de la marque « Le Voyage à Nantes » : « On ne voulait plus utiliser le mot tourisme, qui nous semblait vulgaire ». Moyennant quoi, aujourd’hui encore, le site web officiel de Nantes métropole à l’intention des voyageurs s’appelle vulgairement Nantes Tourisme. Il a beau sentir le pâté, il est trois fois plus consulté que le site parfumé Le Voyage à Nantes.

Sven Jelure

Green Cities Award : ces classements dont Nantes ne se vante pas trop

Green Cities Award : ces classements dont Nantes ne se vante pas trop

On aime presque tous les médailles, même quand elles sont en chocolat. Il en est toutefois qu’on préfère ne pas célébrer avec trop de faste. Ainsi, Nantes Métropole n’a pas fait grand cas du « Green Cities Award 2021 », un prix décerné en décembre qui récompense la création du « Jardin extraordinaire ».

Presse Océan s’étonnait l’autre jour de cette discrétion. « Serait-ce à cause de l’épineux dossier de l’Arbre aux hérons ? » s’interroge le quotidien nantais. Sans dire en quoi ce « dossier », quasiment un cold case à présent, interdirait de se réjouir d’un prix présenté comme prestigieux.

Un expert anonyme, mais peut-être pas si expert que ça, présente le prix comme « l’Eurovision des jardins ». N’exagérons rien. En 2021, il n’était décerné que pour la deuxième fois. Il a été créé par l’ENA – pas celle à laquelle on pense mais l’European Nurserystock Association, organisation professionnelle qui représente les intérêts des pépiniéristes européens. En 2020, il était allé à une petite ville belge, Beringen.

Bon nombre de groupes d’intérêt professionnels ont lancé leur propre prix. C’est un support d’opérations de relations publiques (« voyez comme on est beaux ! ») et souvent un renvoi d’ascenseur honorant un gros client. Lequel fait toujours l’étonné et affecte de croire qu’il a été choisi pour ses mérites et pas pour la facture qu’il a réglée.

Des prix destinés à ceux qui les décernent

Nantes Métropole, via Le Voyage à Nantes, ne dédaigne pas ce genre de frivolités. On se souvient du prix Green Capital, en 2013. Il avait été l’occasion de commander à François Delarozière un périple européen de son « Aéroflorale » (en fait trois exhibitions de cet échafaudage fleuri à Bruxelles, Hambourg et Turin), pas « green » du tout, à bord de gros semi-remorques au diesel. Encore ce prix-là était-il parrainé par l’Union européenne.

D’autres prix décernés à Nantes ne peuvent pas en dire autant comme, en 2011, le prix de la meilleure réalisation au Festival international du film touristique (FIFT) des offices du tourisme de Saverne et Kaysersberg, en 2012 le prix du jury des Rencontres du etourisme institutionnel ou, en 2013, l’un des treize prix Thea décernés par la Themed Entertainment Association (TEA), organisation internationale de fournisseurs de parcs à thème, qui comptait parmi ses adhérents l’artificier retenu l’année d’avant pour embraser le Carrousel des mondes marins.

Il est même arrivé au Voyage à Nantes de concourir officiellement pour l’une de ces « récompenses » destinées à faire valoir celui qui les décerne plus que celui qui les reçoit… et de se faire bananer ! En 2016, European Best Destination, société privée à but lucratif, lui avait proposé de s’aligner à l’un de ses palmarès annuels. Et Nantes avait mis un genou à terre devant Zadar, une petite ville croate. Concourir était déjà ridicule, échouer l’était bien davantage…

Pas plus d’arbre de Noël que d’Arbre aux Hérons

Mais pourquoi chipoter devant le « Green Cities Award » ? Johanna Rolland avait moins fait la fière en septembre dernier quand il s’était agi de recevoir le Grand prix du concours national des « Victoires du Paysage » au titre du même Jardin extraordinaire ! Ce prix était décerné par l’association VAL’HOR, organisation interprofessionnelle pour la valorisation des produits et des métiers de l’horticulture, de la fleuristerie et du paysage. Et de fait, Nantes avait bien mérité de l’interprofession puisque le jardin a été conçu par Phytolab, aménagé par Id Verde et fourni par les Pépinières du Val d’Erdre.

Or le monde est petit et les interprofessions gigognes : au jury des « Green Cities Award » figurait justement Catherine Muller, présidente de VAL’HOR. Nantes avait donc une amie dans la place ? Ce n’est pas si sûr, au fond. Après octobre est venu décembre. « Dans une société qui cherche ses repères, certaines traditions rassurent », a alors déclaré la présidente. « C’est le cas du Sapin de Noël qui guide les rêves vers une fin d’année heureuse ». Mais voilà : pour Johanna Rolland, le sapin de Noël est un sujet tabou. On comprend qu’elle ait préféré faire mine de rien voir…

Sven Jelure

L’Arbre aux hérons : repoussé à Pâques ou à la Trinité ?

Et c’est reparti pour un tour ! La presse nantaise tente d’expliquer pourquoi le conseil de Nantes Métropole n’examinera pas le dossier de l’Arbre aux Hérons en février, contrairement au calendrier prévu.
Promis, il reviendra-z-à Pâques, mironton, mironton, mirontaine, ou à la Trinité (ter). En attendant, si le Héron hue (oui, le cri du héron s’appelle un « huement »), est en retour hué par les signataires d’une pétition réclamant l’abandon du projet.

Les protagonistes du feuilleton en profitent ces jours-ci pour glisser quelques « informations » pas toutes bien franches du collier.

Karine Daniel, directrice du Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons :

  • « Il y a une nouvelle procédure pour les achats d’œuvres installées dans le domaine public. Ce sont les analyses longues. Cela prend plus de temps que prévu. » L’article R2122-3 du code de la commande publique, dans sa rédaction actuelle, est en vigueur depuis le 1er avril 2019. Il ne compte que 163 mots. Trop pour qu’on les analyse en deux ans et dix mois ?
  • Quant aux dons des mécènes, « tout va s’accélérer dès que l’achat de l’œuvre sera voté au conseil métropolitain ». Autrement dit, demain, on rasera payant : votons sans avoir l’argent, et l’argent viendra. Un acte de foi juridiquement et financièrement acrobatique ! On cherche des mécènes depuis longtemps. En juillet 2016, 2 millions d’euros avaient déjà été collectés, proclamait Johanna Rolland. On en est à 6,5. On a donc trouvé 4,5 millions de plus en cinq ans et demi. À ce rythme, compte tenu des frais de collecte (les services d’une ancienne députée ne sont pas gratuits), le budget de 17,5 millions serait bouclé dans une quinzaine d’années. Sous réserve qu’il ne dérape pas davantage, bien sûr.
  • On compte 58 entreprises mécènes. Nantes Plus l’a déjà noté, ce nombre était annoncé sur Facebook dès le 20 novembre 2020. En revanche, un document adressé aux donateurs du Fonds de dotation en novembre 2021 n’en dénombrait plus que 51. Tout comme, à ce jour, la liste des mécènes affichée sur le site web du fonds de dotation. On avancerait donc à reculons !
  • « Intermarché et Crédit Mutuel sont les deux mécènes les plus importants. Ils ont apporté entre 500 000 et 1 million d’euros chacun. » Voici deux ans et demi, Karine Daniel affirmait pourtant à Emmanuel Guimard que « le plus gros donateur, fermement engagé, éta(i)t le Crédit mutuel Laco », pour 1,5 million d’euros. Il n’était donc pas si « fermement engagé » que ça ?

Fabrice Roussel, vice-président de Nantes Métropole chargé du tourisme et des équipements culturels :

  • La Métropole attend un feu vert de Bercy pour passer commande. C’est la faute au gouvernement ! Certes, il peut donner un avis. Mais pas enfreindre la loi. En cas de problème, le dossier passerait aux mains de la justice. Éric Piolle, maire de Grenoble, en sait quelque chose : il comparaîtra devant le tribunal correctionnel de Valence le 1er mars pour une affaire assez comparable (un spectacle « exclusif » commandé à un prestataire sans appel d’offres) quoique d’un montant cinquante fois inférieur. Johanna Rolland pourrait préférer attendre de voir comment son collègue s’en sort. D’autant plus que la police judiciaire enquête déjà sur les conditions de réalisation du Carrousel des mondes marins.
  • La Métropole « doit passer un marché avec la compagnie La Machine pour la réalisation de cette œuvre ». Et de là vient le problème. Il paraît que MM. Orefice et Delarozière refusent tout appel d’offres. (Qui commande donc ici ?) La loi le permet, par dérogation, pour les œuvres d’art. Mais l’administration refuse qu’on en profite pour considérer comme « artistique » jusqu’au dernier boulon utilisé dans la construction… Pour éviter le blocage, il suffirait d’acheter les boulons et le reste en respectant la transparence exigée par le droit commun. La vrai question est : pourquoi tient-on à faire autrement ?

Carine Chesneau, présidente du Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons

Lambert Manufil a disparu de la liste des mécènes « Grand Héron »

  • Bruno Hug de Larauze a quitté la présidence d’un Fonds de dotation créé en 2017 pour collecter près de 12 millions d’euros à destination d’un Arbre à construire en 2021/2022, et qui n’en est qu’à 6,5 millions sans que le premier coup de pioche ait été donné. La présidence est passée à Carine Chesneau. Celle-ci « annonce qu’elle sera aussi mécène de l’Arbre aux hérons ». En réalité, elle l’a été et ne l’est plus ! Son entreprise, Lambert Manufil a été inscrite à la mi-novembre 2021 dans la liste les mécènes de L’Arbre aux Hérons, et en a été retirée début janvier 2022. Raison probable : les mécènes peuvent déduire 60 % de leurs dons de leurs impôts (s’ils versent 1 million d’euros d’une main, il récupèrent 0,6 million de l’autre), mais encore faut-il qu’ils paient des impôts, or Lambert Manufil a connu une série de mauvaises années.

Sven Jelure

 

Et si l’Arbre aux Hérons devenait vraiment la Tour Eiffel de Nantes ?

Plus grand, plus cher, plus fort :)

La visite d’un descendant de Gustave Eiffel à Nantes est l’occasion de répéter une fois de plus le célèbre lieu commun : « l’Arbre aux Hérons sera à Nantes ce qu’est la Tour Eiffel à Paris ». Mais elle pourrait être l’occasion de faire un pas en avant : construire à Nantes une vraie Tour Eiffel.

Grand émoi nantais ces jours-ci : Philippe Coupérie-Eiffel (ci-dessous PCE), LE descendant de Gustave Eiffel, est venu à Nantes dire tout le bien qu’il pense des Machines de l’île et de l’Arbre aux Hérons. Comme souvent quand il s’agit des Machines, un brin d’exagération s’est glissé dans le storytelling. PCE doit la moitié de son nom à Gustave Eiffel, mais seulement un seizième de son patrimoine génétique. Eiffel n’est pas le nom de sa mère, ni même de sa grand-mère : c’est le nom de jeune fille de son arrière-grand-mère, l’une des cinq enfants de Gustave Eiffel. Et les descendants du grand Eiffel se comptent par dizaines.

Aucun ne s’appelle Eiffel de naissance : le nom s’est éteint il y a un demi-siècle faute de descendant mâle. Certaines branches ont relevé le nom, d’autres pas. PCE a lui-même obtenu ce droit par un décret de 1994, bien après de lointains cousins. Complication supplémentaire, il y a deux branches Coupérie-Eiffel : des cousines au quatrième degré, toutes deux arrière-petites filles de Gustave Eiffel ont épousé deux frères Coupérie. Pour être complet, il faut rappeler que le nom Eiffel lui-même est un nom d’emprunt : Gustave a préféré ce toponyme à son patronyme de naissance, Bonickhausen.

La famille a créé une Association des descendants de Gustave Eiffel (ADGE). PCE fait bande à part en créant une Association des amis de Gustave Eiffel. Il faut dire que le nom Eiffel « vaut des millions », ce qui suscite des vocations. PCE a fait interdire au groupe Eiffage d’utiliser le nom Eiffel pour l’une de ses filiales, descendante de la société Eiffel originelle, mais lui-même s’est empressé de déposer la marque Eiffel pour toutes sortes de produits (la base marques de l’INPI recense pas moins de 148 inscriptions sous ce nom). L’ADGE s’est alors insurgée et a obtenu en justice, voici trois ans, la radiation des marques du cousin Philippe ! Ambiance…

D’autres raisons de visiter Nantes

« Je pense que mon ancêtre aurait été intéressé par le parc des machines parce qu’il s’intéressait à toutes les innovations », assure PCE à Nantes. Mais il ne précise pas quelles « innovations » il y a dans les Machines. Fan’ de sciences, Gustave Eiffel avait tenu à inscrire sur un bandeau ceinturant le premier étage de sa Tour les noms de soixante-douze Français illustres. Tous des savants : aucun artiste, aucun saltimbanque. Ceux qui jurent que l’Arbre aux Hérons est une œuvre d’art sont à côté de la plaque.

PCE n’a visité Nantes qu’au nom d’Eiffel. Il pourrait pourtant alléguer un lien plus direct avec la ville : il descend aussi de Joseph Fouché, natif du Pellerin et ministre de la police de Napoléon, ainsi que de Joseph Fouché père, capitaine d’un navire négrier et propriétaire d’esclaves à Saint-Domingue. Cette évocation ne lui aurait peut-être pas valu une réception aussi enthousiaste.

On imagine que le visiteur a profité de son séjour nantais pour évoquer avec ses hôtes son nouveau et grandiose projet. Il préside une société de droit états-unien, créée en décembre dernier, Eiffel International Corporation qui vise à bâtir… dix Tour Eiffel flambant neuves dans des villes du monde entier. Ça a l’air d’un gag ? Ça n’en est pas un. Cette société au capital de 1 milliard de dollars compte s’introduire en Bourse pour lever 20 milliards de dollars (17,8 milliards d’euros) afin de construire les tours, environnées d’immeubles de luxe. Quatre projets seraient déjà signés en Amérique, en Asie et au Moyen-Orient. Le pilier de l’affaire est une vedette de la finance internationale, l’avocat suisse Marc Deschenaux.

Et Nantes se déchire pour un Arbre aux Hérons à 52,4 millions d’euros, soit même pas 0,3 % de la somme visée par Eiffel International Corporation ? On aurait aussi vite fait de lui vendre la carrière de Miséry, à charge pour elle de nous bâtir une vraie Tour Eiffel grandeur nature. Le Bas-Chantenay s’en trouverait élevé subitement.

Sven Jelure

Le sapin de Noël nantais préfigure-t-il l’Arbre aux Hérons ?

Johanna Rolland n’est pas seule à avoir disparu dans le décor ces temps-ci. Elle avait promis du nouveau pour l’Arbre aux Hérons au conseil métropolitain de décembre. Le conseil n’en a pas entendu parler. Et ce n’est pas tout.

Tout est prêt à Nantes pour Noël ! Les illuminations réjouissent les passants. Le marché de Noël s’emplit d’odeurs exotiques et l’Autre marché est installé au Carré Feydeau. Le manège-carrousel n’a ripé que de quelques mètres en direction de Saint-Nicolas, le manège-arbre est de retour place Graslin et le manège-traîneau du père Noël place du Bouffay. Le sapin de Noël est… LE SAPIN DE NOËL ! Mais où est-il donc, celui-là ?

L’an dernier, Johanna Rolland, par égard pour ses alliés écologistes, avait décidé de remplacer le sapin de Noël traditionnel par un sapin de Noël métallique éclairé « par l’interaction du public ».

Noël à Nantes en 2020. Johanna Rolland nous n'avons pas pu photographier Johanna Rolland en train de pédaler pour allumer le sapin.
La très belle installation de la Ville de Nantes sur la place du Commerce en 2020

Pendant seize jours, sur la place du Commerce, de vaillants mollets nantais avaient pédalé autour d’un arbrisseau en ferraille pour produire 7406 watt.heures. Soit l’énergie nécessaire pour garder allumée pendant 5 jour une ampoule classique de 60 W. Alors, après ce spectacle pitoyable, cette année, plus d’arbre de Noël, rien ! Et surtout aucune déclaration pour le faire remarquer…

Ce n’est pas un bon présage pour un arbre métallique autrement plus conséquent et énergivore : malgré l’activisme de ses promoteurs, le projet d’Arbre aux Hérons n’a pas été soumis au dernier conseil métropolitain de 2021. Antony Torzec et Médiacités expliquent pourquoi dans un article fouillé. Apparemment, le montage juridique du projet pose problème. Tu m’étonnes…

Quant à la technique, on dirait qu’il n’est même plus question des essais de fonctionnement en charge. Voici deux ans, on avait jugé indispensable de verser pas loin de 3 millions d’euros au Groupement Delarozière-Orefice-La Machine pour qu’il construise un prototype de héron et procède à ces essais en public tout au long de l’été 2021. Ils n’ont pas eu lieu, le groupement n’a pu tenir ses engagements et le héron n’a pas fait ses preuves. Conclusion négative, donc ? Pas du tout : on semble prêt à n’en tirer aucune leçon. C’est bien connu : pour faire passer la fièvre, rien de tel que de casser le thermomètre.

Sven Jelure

Johanna Rolland entre l’Arbre et les corsaires

Les mécènes ne se bousculent pas pour financer la tour Eiffel nantaise !

Les partisans de l’Arbre aux Hérons cherchent-ils à forcer la main de Johanna Rolland ? Alors que les essais sont en retard sur le programme et que les mécènes commencent à se défiler, ils voudraient que Nantes Métropole signe au plus vite l’achat de leur projet.

Au printemps 2018, le Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons promettait aux donateurs de sa campagne Kickstarter, en exclusivité, « l’histoire de la construction de l’Arbre aux Hérons racontée en direct de 2018 à 2022 en 14 chapitres (via 3 newsletters par an) ». Le chapitre 6 vient de sortir. Avec donc un copieux retard ? Bof, question « histoire de la construction », en tout état de cause, il n’y a pas grand chose à dire.

Quoique. Dès la première page, le chapitre commence fort : « Le 9 juillet 2021 Johanna Rolland, Présidente de Nantes Métropole, a annoncé en conférence de presse le lancement du projet de l’Arbre aux Hérons. » C’est clair, mais c’est complètement faux.

La conférence de presse avait pour seul but de faire le point sur l’avancement du projet. Nantes Métropole spécifiait alors que « l’acquisition de l’œuvre monumentale imaginée par Pierre Oréfice et François Delarozière fera l’objet d’une délibération au conseil municipal d’ici la fin de l’année ». Quelques jours plus tôt, lors du conseil métropolitain du 29 juin, Johanna Rolland avait même averti expressément que la décision de réalisation ne serait pas prise le 9 juillet.

Qui fixe l’ordre du jour du Conseil métropolitain ?

Alors, pourquoi faire maintenant comme si elle avait pris une décision depuis plusieurs mois ? On dirait bien que les rédacteurs du chapitre 6 comptent monter à l’abordage du conseil métropolitain pour forcer la décision. Dans leur texte, « les auteurs, la compagnie La Machine et le Fonds de dotation présententle projet tel qu’il est défini dans le marché qui sera soumis au vote au dernier Conseil Métropolitain », au mois de décembre.

On brûle les étapes : on avait prévu de délibérer sur une acquisition, il s’agit maintenant d’approuver un marché public ! Mais qui sont donc les signataires du texte, François Delarozière, Pierre Orefice, Bruno Hug de Larauze, Carine Chesneau et Karine Daniel, pour fixer eux-mêmes l’ordre du jour du Conseil métropolitain ?

Aucun progrès important n’a pourtant été accompli depuis le 9 juillet. Le dossier de présentation joint au chapitre 6 est quasiment identique à celui qui avait été diffusé le 9 juillet. Il a seulement été retouché le 9 septembre pour indiquer qu’un peu d’argent avait été récolté auprès de particuliers depuis la collecte Kickstarter de 2018. Ses auteurs ont poussé la désinvolture jusqu’à laisser subsister cette mention : « le Grand Héron sera installé entre l’atelier de la compagnie et l’école Aimé Césaire. Ainsi les premiers essais de vol du Héron seront effectués dès l’été 2021. » Comme chacun a pu le voir, le héron est installé mais les essais n’ont pas eu lieu.

Plus de dépenses, moins de mécènes

Impavides, les auteurs du chapitre 6 annoncent maintenant : « décembre 2021: les essais en vol commencent sans passager ». Ils voudraient donc que le Conseil métropolitain achète leur engin sans qu’il ait été validé par les essais ! Or ceux-ci ont fait l’objet d’un contrat d’étude conclu entre Nantes Métropole et le groupement Orefice-Delarozière-La Machine. Et les essais en public pendant l’été 2021 étaient l’une des conditions du contrat. Ce n’est pas la première fois que le groupement sort des clous, et Johanna Rolland paraît s’incliner à chaque fois. Il serait temps qu’elle indique à ses prestataires que le patron, c’est celui qui paie, surtout quand il s’agit de la collectivité publique.

Quant à voter le projet en l’état, ce serait aller au-devant des ennuis. La construction de l’Arbre aux Hérons déclencherait une cascade de dépenses non chiffrées. Alors que l’argent pour le construire manque. Les auteurs du projet font semblant de l’oublier, mais l’une des conditions posées par Johanna Rolland est qu’un tiers du budget, c’est-à-dire 17,5 millions d’euros, soit apporté par des mécènes et des donateurs privés. Alors que la chasse aux mécènes est engagée depuis des années, les promesses plafonnent un peu au-dessus de 6 millions.

Pire, les mécènes commencent à se défiler. Après les avoir réunis l’an dernier, le Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons avait posté ce message :

Il les a réunis à nouveau voici quelques jours, et voici le post correspondant :

On est passé de « 58 entreprises mécènes » à « plus de 50 entreprises » ! Le chapitre 6 nous apprend que le nombre d’entreprises mécènes est en réalité de 51. Et l’interdiction d’être à la fois mécène et attributaire de marchés publics posée voici peu par la Chambre régionale des comptes ne va pas arranger les choses.

Quand la chatte n’est pas là les souris dansent, mais il serait bien temps de mettre de l’ordre dans ce projet de plus en plus abracadabrantesque.

Sven Jelure

Nantes Métropole se prépare aux inondations

Bien communiquer, surtout quand il y en a besoin. En cas d'inondation par exemple. Au fait, il sera où le nouveau CHU ?

Non, grâce à ses pilotis, Johanna Rolland ne craint pas que le CHU de l’île de Nantes soit inondé. Mais elle s’y prépare quand même. Nantes Métropole veut dispenser à ses élus et dirigeants une formation sur la communication de crise « notamment en cas d’inondation ». Elle vient de publier une annonce pour trouver un formateur.

Les risques naturels et technologiques sont du ressort de la Métropole. Ils sont nombreux : tempêtes, tremblements de terre, transport de matières dangereuses, accidents industriels, etc. Le risque numéro un, cependant, est celui d’inondation. Sur les vingt-quatre communes métropolitaines, dix-sept y sont exposées.

La préparation à la communication de crise dénote-t-elle un affolement particulier ? Pas vraiment. Il y a longtemps que l’État s’inquiète des risques d’inondation, étudiés dans une série de documents publiés en 2014 par la préfecture de Loire-Atlantique. En 2018 a été arrêté un « PAPI d’intention Loire-aval » animé par Nantes Métropole (PAPI signifie « Programme d’actions de prévention des inondations »). L’intention Loire-aval est bonne mais tarde peut-être à se concrétiser. Nantes Métropole se réfère explicitement au PAPI dans son avis de marché. Trois ans après la décision, il est bien temps de penser au préventif !

PAPI à petits pas

Malgré ce délai de réflexion, Nantes Métropole patauge un peu. La mesure du PAPI qu’elle entend mettre en œuvre est celle-ci : « Définir une stratégie globale d’information préventive des populations en zone inondable et hors zone inondable ». Logique, puisque le PI de PAPI, répétons-le, signifie « prévention des inondations ». Or l’objectif explicite de Nantes Métropole est de former ses dirigeants à la « communication de crise ». La communication de crise, c’est quand le pépin est arrivé. Elle n’a rien de préventif.

Simple erreur de vocabulaire ? Non, Nantes Métropole précise : « L’objectif global de la formation est de permettre aux participants de mieux informer et communiquer en cas d’événement grave et/ou à forte portée médiatique ». Les personnes formées devront « savoir mesurer l’impact médiatique d’un événement », « savoir s’exprimer devant une caméra », etc. Autrement dit, l’objet de la formation n’est pas l’« information préventive des populations », c’est de se débrouiller face à la presse devant les images d’une Venise de l’Ouest en temps d’acqua alta. Ou toute autre sorte de catastrophe, d’ailleurs.

Vu ses actuelles responsabilités extra-nantaises, on comprend les préoccupations de la maire de Nantes. Il ne faudrait pas qu’une gaffe d’un de ses proches lui mette davantage la tête sous l’eau. PAPI a bon dos, mais après lui, il n’y a plus que le cierge à sainte Rita, patronne des causes désespérées.

Sven Jelure

Johanna Rolland coincée entre Anne de Paris et Anne de Bretagne

Comment revenir indemne de cette aventure perdue d'avance. C'est soit du courage, soit...

Johanna Rolland fait profil bas ces temps-ci. Comme maire de Nantes, et surtout comme directrice de campagne d’Anne Hidalgo, maire de Paris et candidate du Parti socialiste à l’élection présidentielle de 2022. Qu’est-elle allée faire dans cette galère ? Ses chances d’en sortir sans dégât semblent à peu près nulles. Et le jour où elle retrouvera les affaires nantaises, c’est une autre Anne qui lui vaudra des insomnies.

Il y avait autrefois, en haut du passage Pommeraye, une boutique nommée Hidalgo de Paris. On y vendait des farces et attrapes, genre coussin péteur ou diable qui jaillit d’une boîte. Les vieux Nantais ont souri en apprenant que leur maire allait se mettre au service d’Anne Hidalgo de Paris. Mais cette boutique-là bat de l’aile et aujourd’hui l’enseigne fait moins envie que pitié. Comme un coussin péteur qui ferait pschittt.

Est-ce la candidate qui n’imprime pas ou sa campagne ? Ou les deux : on peut tout à la fois miser sur le mauvais cheval ET ne pas savoir l’atteler. Toujours est-il que Johanna Rolland n’en sortira pas indemne. En acceptant de diriger une campagne présidentielle nationale, elle a commis une double erreur d’appréciation, sur les difficultés de la tâche et sur ses propres capacités.

A-t-elle cru pouvoir déjouer le principe de Peter ? Son expérience électorale était mince et locale. En l’élisant d’un coup de sceptre municipal, Jean-Marc Ayrault a mis entre ses mains tous les instruments d’un pouvoir local pépère amassés en plus de vingt ans d’exercice : machine politique, moyens administratifs, complaisances médiatiques, réseaux d’obligés… Or, pour monter de toutes pièces une campagne nationale en remobilisant un parti largement composé de vieux grincheux, il eût fallu une tsarine.

Johanna Rolland, paraît-il, espérait devenir Première ministre une fois Anne Hidalgo élue. Première ministre, mais pour faire quoi ? Comme son parrain Jean-Marc ? Au risque d’aboutir à une exfiltration piteuse vers la présidence de quelque fondation, selon l’urgence expiatoire du moment : Fondation pour la mémoire des forêts primaires sacrifiées à des parkings de supermarché, Fondation pour la mémoire des populations néandertaliennes éliminées par nos ancêtres Sapiens, Fondation pour la mémoire des animaux d’élevage abattus au nom du foie gras ou des manteaux de fourrure… Ou, pire, l’énorme Fondation pour la mémoire anticipée de tous les méfaits que nos arrière-petits-enfants pourraient un jour nous reprocher.

Le débat public : une épine dans le pied

À moins d’un retournement de situation stupéfiant, façon Fillon 2017 mais en positif celui-là, Johanna Rolland a déjà perdu : les Nantais s’interrogeront sur sa clairvoyance. Si elle est capable de se fourvoyer à ce point, se demanderont-ils, est-elle bien qualifiée pour – juste un exemple au hasard ‑ choisir l’emplacement d’un CHU ?

Ce n’est pas tout. La prochaine échéance pour Johanna Rolland, c’est l’élection municipale de mars 2026. Et là, le problème s’appelle Anne de Bretagne. Pas la duchesse, bien sûr, mais le pont.

On pourrait penser que la pierre angulaire de la prochaine élection sera le nouveau CHU. Mais son inauguration est prévue pour avril 2026, soit après l’élection. Le chantier peut se poursuivre jusque-là dans son coin, tranquillou, et les ratés inévitables ne se verront qu’à l’usage. Il en ira autrement avec les moyens d’accès : pour ouvrir le CHU, il faudra créer une desserte par le tram. Et, pour qu’il y passe, refaire le pont Anne de Bretagne. Un casse-tête. Johanna Rolland le sait bien et tente de faire avancer ce chantier-là à bride abattue. Dura lex sed lex (article L121-9 du code de l’environnement), elle a quand même dû soumettre son projet au débat public.

Or ça ne s’est pas bien passé, les garants du débat public ne le cachent pas. On y reviendra, puisqu’ils ont réclamé à Nantes Métropole de publier les résultats du débat « au plus tard à l’automne 2021 ». Cause toujours ? En mars 2021, un article du journal municipal présentait le projet tram+pont comme définitivement arrêté. Les garants n’ont pas aimé : « Il est compréhensible que la Métropole soit convaincue du bien fondé de son projet. Mais affirmer sans nuance et sans même évoquer l’hypothèse de modifications, que le projet se réalisera, alors que le bilan de la concertation préalable n’est pas encore établi, risque d’induire de fortes interrogations sur la sincérité de la démarche de Nantes Métropole dans cette concertation. » Pas sincère, Nantes Métropole, qui oserait croire ça ?

Un pont trop tard

Et qui imaginerait que Johanna Rolland pourrait s’asseoir sur le bilan d’une concertation préalable ? Elle dont l’entourage a si mal digéré l’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes malgré l’avis consultatif exprimé par les habitants de Loire-Atlantique…

Le doute est permis, quand même. Malgré le grand nombre d’avis négatifs exprimés lors de la consultation, Nantes Métropole bricole en ce moment un panel citoyen chargé de suivre le dossier. Il sera formé moitié par tirage au sort, moitié par désignation parmi les candidats qui se sont signalés au plus tard le 24 octobre. Une désignation sûrement pas faite au petit bonheur la chance. On parierait que ce panel se rangera à l’avis de Nantes Métropole plus volontiers qu’aux avis contraires massivement exprimés lors du débat public…

Cependant, ces contrariétés risquent fort de nuire à l’avancement du projet. Partout en démocratie, les grands travaux pré-électoraux sont soumis à une règle démagogique non écrite mais impérieuse : il faut qu’ils soient finis à temps pour une belle inauguration publique. Et surtout, pour que les citoyens oublient les désagréments subis pendant des mois. Si le projet CHU/pont Anne de Bretagne se fait, les Nantais devront pendant des mois slalomer sur un pont en pleins travaux et d’emprunter des bus de substitution pour cause de coupure de la ligne 1 du tramway… On se souvient des joies du chantier du Busway…

Mais ne soyons pas trop pessimistes. Johanna Rolland est à bonne école : elle n’aura qu’à observer comment Anne Hidalgo se débrouille dans un Paris en chantier permanent.

Sven Jelure

L’Arbre aux hérons : on n’a encore rien vu ! (surtout côté dépenses)

« L’Arbre aux Hérons est-il si cher ? » demandent aujourd’hui Anne Augié et Stéphanie Lambert dans Ouest-France. Bonne question.

« L’Arbre aux Hérons est-il si cher ? » demandent aujourd’hui Anne Augié et Stéphanie Lambert dans OuestFrance. Bonne question. Fabrice Roussel, vice-président de Nantes métropole, choisit d’y répondre par l’absurde : « À titre de comparaison, la rénovation du musée d’arts de Nantes a coûté près de 90 millions d’euros ».

Celle-là, il n’aurait pas osé la faire du temps de Jean-Marc Ayrault ! À propos du musée d’arts, voici ce que déclarait Jean-Louis Jossic, alors adjoint à la culture, au conseil municipal du 3 avril 2009 : « Sur le plan du coût des travaux nous nous en tirons bien, parce qu’en plus, les études ont été extrêmement bien conduites […]. Nous avons vu les choses au mieux, ce qui permet d’arriver à un montant total de 34,6 M € HT » Malgré ces études bien conduites et ces choses au mieux, le musée d’arts a finalement coûté 88,5 millions d’euros. Soit à peu près autant que le Guggenheim de Bilbao, 20 % plus grand et qui attire six fois plus de visiteurs.

Le coût de cette réalisation retenue comme comparaison par Fabrice Roussel a donc dérapé de 160 %. Un dérapage du même ordre conduirait le coût de l’Arbre aux Hérons au-delà de 136 millions d’euros… Au moins Jean-Louis Jossic avait-il des devis en main. Fabrice Roussel peut-il en dire autant ? En ce cas, le groupe de travail des élus sur le projet ferait bien de les éplucher. Il ferait bien aussi de réclamer des appels d’offres ouverts, sans se laisser intimider par les oukases de François Delarozière.

Opacité financière

Le coût de la construction n’est pourtant qu’une partie de l’histoire. Comment se prononcer sur un dossier où l’on n’a pas chiffré, fût-ce sur un coin de nappe en papier :

  • Les gros aménagements en voies d’accès, parkings et transports en commun – destinés à rester sous-utilisés le plus clair de l’année en l’absence de touristes – indispensables pour faire venir les 500 000 visiteurs espérés.
  • Le compte d’exploitation de l’Arbre aux hérons. Un parc d’attraction a vocation à couvrir ses frais, et même à gagner de l’argent (voire beaucoup d’argent dans le cas du Puy-du-Fou). Or il est déjà admis que celui-ci serait déficitaire. Fabrice Roussel envisage froidement que la collectivité supporte 15 % de son coût de fonctionnement – « mais 15 % de quelle somme ? » demande judicieusement Ouest-France. À eux seuls, 15 % des frais de personnel (65 équivalents plein temps)envisagés par Pierre Orefice représenteraient au moins 0,3 million d’euros par an.
  • Le gros entretien. Nantes métropole a récemment voté un budget de 0,915 million d’euros pour la rénovation décennale du Carrousel des mondes marins (un appel d’offres est en cours), soit près de 10 % de son coût de construction. Faudrait-il remettre au pot plus de 5 millions d’euros tous les dix ans pour entretenir l’Arbre aux hérons (a priori plus vulnérable aux intempéries que le Carrousel) ?
  • Les renouvellements d’attractions. Un parc d’attractions ne vit que si ses clients reviennent, mais ils ne reviennent que s’il présente des nouveautés. C’est pourquoi la Galerie des machines crée régulièrement de nouvelles attractions financées par Nantes métropole. Comme l’Arbre aux hérons devrait être déficitaire, qui paierait les nouvelles attractions ? Reviendrait-on demander aux mécènes de supporter un tiers de leur coût, comme pour la construction de l’Arbre aux Hérons ?
  • Les aléas possibles. En cas de gros problème du genre pandémie, on l’a vu, un tel équipement devient un gouffre financier : qui pourrait affirmer qu’il n’y aura jamais d’autre covid-19 ? Surtout, l’Arbre aux hérons risque d’être impraticable une partie du temps pour raisons météorologiques. Pluies, vent, grosses chaleurs, grands froids, rendraient sa fréquentation inconfortable, ou même dangereuse (alors qu’ils n’interrompent pas le fonctionnement des Machines de l’île).

Et puis, il faut bien évoquer le manque de fiabilité des réalisations de La Machine. Le Grand éléphant a connu plusieurs pannes cet été. Le Dragon de Calais aussi, à tel point que la ville ne veut plus commander les autres autres animaux mécaniques qui devaient l’accompagner. L’entretien des treize animaux de la place Napoléon à La Roche-sur-Yon occupe trois personnes à plein temps. Le cheval-dragon Long-Ma acheté par les Chinois a dû revenir à l’atelier l’an dernier pour un traitement anti-parasites. À Nantes même, la Métropole avait passé contrat avec La Machine pour la réalisation d’un prototype de héron afin de réaliser des essais en public pendant tout l’été 2021. Le héron a bien été installé sur l’esplanade des Riveurs le temps de tourner un documentaire, puis il est revenu à l’état de squelette et ne bouge plus depuis des semaines. Interrogée, une charmante hôtesse des Machines de l’île explique qu’on lui a ôté ses plumes pour éviter les intempéries ! Fragile, la bête. La Machine n’a pas rempli sa part du contrat.

Retombées surévaluées

« L’Arbre aux hérons, c’est notre tour Eiffel ! » va répétant Yann Trichard, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Nantes Saint-Nazaire. La Tour Eiffel a été imaginée en 1884. Elle a fait l’objet d’une convention entre Eiffel et l’État en juin 1887. Elle a été inaugurée en mars 1889 : cinq ans entre l’idée et la réalisation. L’Arbre aux hérons, voici dix-sept ans qu’il en est question ! Accessoirement, le coût de la Tour Eiffel (doublé par rapport à son premier chiffrage) a été couvert pour l’essentiel par des capitaux privés. La Tour, exploitée par une entreprise privée, est finalement très rentable. Si l’Arbre aux Hérons doit être notre Tour Eiffel, pourquoi Fabrice Roussel prévoit-il 15 % de déficit d’exploitation ? Et qu’attend Yann Trichard pour fonder la Société de l’Arbre aux hérons en y mettant son propre argent ?

« On vise plus d’un million de visiteurs par an sur l’ensemble des sites des Machines », assure François Delarozière. « Chacun dépensera en moyenne 35 € à Nantes lors de sa visite, ça rapporte ! » D’où sort cette estimation de 35 € ? Mystère. La moitié des visiteurs des Machines viennent des environs et n’ont pas besoin de dépenser un sou de plus. Une bonne partie des visiteurs sont des enfants : vont-ils claquer 35 € d’argent de poche à cette occasion ? Mieux encore : quand François Delarozière parle de « visiteurs », il faut comprendre « billets vendus », c’est-à-dire que le nombre réel de visiteurs serait bien inférieur au million. Et les retombées pour Nantes bien inférieures au montant espéré.

Le dossier de l’Arbre aux hérons reste donc bâclé, lesté d’obscurités et d’approximations, voire d’allégations bidon. Certes, l’argent n’est peut-être qu’une question secondaire. L’important est de se demander s’il est bon pour Nantes de jouer une partie de son image sur une attraction de fête foraine. Mais même sur le plan financier, cette affaire se présente sous les plus mauvais auspices. « L’Arbre aux hérons est-il si cher ? » Oh ! bien plus encore !

Sven Jelure