Le Voyage en hiver sera encore un grand succès l’an prochain

Un monde de dingue !

Le Voyage en hiver a duré six semaines, du 25 novembre 2023 au 7 janvier 2024. Il en a fallu cinq de plus pour en tirer un bilan présentable ! Le 14 février, enfin, Jean Blaise vient présenter le Grand Succès de sa manifestation. Avec ce large délai, compte-t-il que les Nantais montreront une mémoire de poisson rouge ? Le glorieux bilan imaginaire fait quand même tousser.

« Au Voyage en hiver tout le monde était content », écrit Philippe Corbou dans la version papier de Presse Océan le 15 février. « Jean Blaise, le boss du Van, Fabrice Roussel (PS) au nom de la métropole, Gildas Salaün (PS) élu au commerce de la Ville », etc. Mais la version en ligne de son article commence ainsi : « le Voyage en hiver s’est terminé sur un satisfecit général. Mercredi midi, c’était un peu le pays des bisounours au Voyage à Nantes. Tout le monde était content : Jean Blaise, le boss du Van », etc.

Tous les bisounours sont censés emboucher la même trompette : le Voyage en hiver 2023 est une superbe réussite. Jean Blaise a eu soin de s’entourer d’institutionnels et d’obligés qui ne risquent pas de le contredire. Le président de Plein Centre vient dire que les commerçants du centre-ville sont ravis de leur saison. « À Nantes, le Noël pas très joyeux des commerçants », titrait pourtant Presse Océan début janvier. Mais Plein Centre voit forcément les choses d’un œil plus enjoué : cette année encore, ses subventions augmentent (104 000 euros de subvention municipale et 35 750 euros de subvention métropolitaine).

Pas mieux que l’an dernier, mais plus cher

Hélas, même au pays des bisounours, certains s’expliquent mal, ou peut-être sont-ils mal compris. « Les indicateurs nous disent que la fréquentation a été bonne, puisqu’elle est stable avec celle de l’année dernière », déclare Gildas Salaün, quinzième adjoint à la maire de Nantes.

La gaffe ! La grosse gaffe ! Car la première édition du Voyage en hiver, fin 2022, a été un flop. « La cohérence d’ensemble de nos installations artistiques n’apparaissait pas vraiment de façon évidente », ergotait Jean Blaise, cité par Ouest-France, avant d’annoncer mieux pour 2023 : « Cette année, l’éclairage des façades et les compositions sonores créées par les cloches transformeront puissamment l’ambiance de la ville. » Cette transformation puissante n’est pas gratuite : d’une année sur l’autre, Nantes Métropole a rajouté 340 000 euros (+ 45 %) au budget initial. Si la fréquentation est « stable avec celle de l’année dernière », l’échec est cuisant.

D’autant plus que ce deuxième Voyage en Hiver a duré cinq jour de plus que le premier (+ 13 %) ! Comptait-on vraiment sur les décors d’Olinet, les cloches de Blais et la mère Noël de Virginie Barré ? On a surtout allongé d’une semaine le Marché de Noël : voilà au moins de quoi brasser des passants à coup sûr.

Cinq ans fermes

Le clan Blaise revendique 3,7 millions de visiteurs, comme ça, en vrac. Le chiffrage, fourni par Flux Vision, un service d’Orange, est établi d’après les signaux de smartphones. En soi, il ne veut rien dire. On a pu totaliser, par exemple, toutes les fois où un smartphone est passé à proximité d’une des installations du Voyage en Hiver. À la louche, je compterais alors pour un bon millier de « visiteurs » à moi tout seul. Flux Vision permet des analyses de fréquentation beaucoup plus subtiles, en particulier sur l’origine des visiteurs ‑ locaux, nationaux, étrangers… ‑ comme celle effectuée pour Loire-Atlantique Développement en 2022. Mais Le Voyage en hiver, c’est 3,7 millions, et débrouillez-vous avec ça…

Le vrai étonnement dans l’affaire est quand même que Jean Blaise persiste et signe : puisque ça marche très bien comme ça, quoi qu’en disent les polémiques forcément de mauvaise foi, on va continuer l’an prochain ! Peut-être tente-t-il de cacher la poussière sous le tapis. Peut-être s’essaie-t-il à la méthode Coué. Peut-être habite-t-il vraiment un monde parallèle. Le plus probable, cependant, c’est qu’il n’a pas le choix. Les guirlandes de Noël resteront exclues des rues de Nantes, moins par opiniâtreté que pour une raison toute bête : Le Voyage à Nantes s’est lié les mains en signant des contrats pour cinq ans. À cause de cette erreur stratégique du grand chef, les Nantais n’échapperont pas au Voyage en hiver.

Sven Jelure

Pour Nantes Métropole, le Héron sans arbre n’est plus une œuvre d’art

Et à la fin, qui est-ce qui paye ?

Nantes Métropole s’apprête à dépenser jusqu’à 220 000 euros H.T. pour une étude intitulée « Diaghéron », alias « la réalisation d’un diagnostic complet de l’état général du « Grand Héron » ». C’est à la fois une BONNE nouvelle et un terrible aveu.

Une bonne nouvelle parce que pour la première fois, Nantes Métropole passe une commande concernant l’Arbre aux Hérons sous forme d’un marché public ordinaire. Pendant des années, elle a considéré qu’elle pouvait s’en dispenser en invoquant l’article R2122-3 du code de la commande publique (ou son prédécesseur l’article 30 du décret 2016-360 du 25 mars 2016), car l’Arbre était pour elle une œuvre d’art jusqu’au dernier de ses boulons.

Elle utilisait systématiquement cette possibilité pour passer des marchés de gré à gré, toujours attribués aux mêmes : M. Orefice, M. Delarozière et la Compagnie La Machine. Pour la loi, il s’agit d’une possibilité, pas d’une obligation. Mais Nantes Métropole faisait comme si…

Son avis de marché (pour un Diaghéron) signale donc un changement de doctrine : pour elle, le Héron ne serait plus une œuvre d’art. Vu son état, certes, on est tenté d’y voir une épave, un héron-ventouse abandonné sur l’esplanade des Machines. Pourtant, il s’agit bien de cette œuvre pour laquelle Nantes Métropole, une cinquantaine de mécènes et 5 511 donateurs de Kickstarter ont versé quelque chose comme une dizaine de millions d’euros.

Économies immédiates

On connaîtra peut-être un jour les raisons de ce revirement. Mais on en voit tout de suite le résultat financier : 220 000 euros c’est une somme presque ridicule par rapport aux millions d’euros dépensés au nom de l’art. Fin 2017, Nantes Métropole a commandé aux prestataires cités plus haut, la « Réalisation d’une étude de définition du projet d’arbre aux Hérons permettant de confirmer sa faisabilité ». Prix hors TVA : 2 575 000 euros, dont 140 000 euros de droits d’auteur à partager entre M. Orefice et M. Delarozière. (On note au passage que Nantes Métropole s’est fait rouler dans la farine puisque l’étude a conclu à la faisabilité du projet…)

Mais en même temps, cet avis de marché à 220 000 euros est le terrible aveu que le recours à l’article R2122-3 du code de la commande publique n’était absolument pas nécessaire précédemment. Nantes Métropole aurait probablement économisé des millions d’euros d’argent public en appliquant tout simplement la loi. Surtout si ses prestataires lui avaient rendu dès 2019 un verdict sincère : non, l’Arbre aux Hérons n’est pas faisable dans les conditions annoncées.

Sven Jelure

Périscolaire : la médiocrité du système nantais

La chambre régionale des comptes a consacré à l’Association Léo Lagrange Ouest (LLO) un rapport plutôt sanglant. « Sanglant » est une métaphore, bien sûr, puisque la Chambre y use comme toujours d’un langage très mesuré. Ses critiques les plus féroces sur l’accueil périscolaire à Nantes peuvent paraître anodines au lecteur distrait.

La ville de Nantes en prend pour son grade au passage. Le contraire serait étonnant. Elle a confié à LLO ses 115 accueils périscolaires. Ce qui représente pas mal d’argent : 120 millions d’euros sur six ans et demi. Or, LLO n’est pas pour elle un prestataire lambda mais un endroit où elle compte beaucoup d’amis.

Léo Lagrange Ouest dépend d’une vieille organisation, la Fédération Léo-Lagrange, dont le nom rend hommage à un ministre du Front populaire. Celle-ci a été créée voici plus de 70 ans par un futur Premier ministre de François Mitterrand, Pierre Mauroy, alors patron des Jeunesses socialistes. La Fédération est restée très proche du Parti socialiste depuis lors. Alain Chenard en a été un haut responsable avant d’être maire de Nantes. Plus récemment, Philippe Grosvalet, ex-président du conseil départemental de Loire-Atlantique aujourd’hui sénateur, y a fait carrière pendant vingt-cinq ans avant de devenir politicien professionnel.

Cette proximité peut expliquer que la chambre régionale des comptes pointe un certain laxisme dans leurs relations. En particulier, l’accord passé par la Ville avec LLO pour la période 2022-2024 est affecté de plusieurs irrégularités qui « fragilisent [sa] validité ». Le flou règne aussi sur les conditions d’évolution du prix des marchés. Qu’on se rassure : ce prix augmente ! Par ailleurs, la ville s’est lié les mains envers LLO : en pratique, il lui est impossible de résilier leur accord cadre, ce qui « entraîne un déséquilibre certain dans les négociations ». Mais tant que la confiance règne…

Confiance aussi quant aux services facturés. La ville ne contrôle pas bien les heures effectuées par LLO, pas plus que les prestations « complémentaires », commandées en toute imprécision. La Chambre a même déniché une « refacturation à la ville de Nantes, par LLO, des surcoûts liés à une mauvaise évaluation des moyens humains nécessaires à la réalisation de la prestation au stade de l’offre ». Quant aux paiements, ils sont effectués avant exécution des prestations, ce qui « constitue un manquement caractérisé […] et est financièrement risqué en l’absence de constitution de garantie à première demande du cocontractant. »

Des « arrangements » avec le droit de grève

La bienveillance financière de la ville envers LLO est-elle justifiée par une qualité de service impeccable ? Même pas ‑ les parents ne peuvent que le constater. Et la Chambre aussi : dès la première page de son rapport de 72 pages, elle indique que « Le pilotage financier et qualitatif de cette activité n’est pas correctement assuré ». Et aussi que « La qualité du service doit […] être renforcée. Le turn-over et l’absentéisme élevés des équipes sont en effet susceptibles de nuire à la sécurité des enfants accueillis ». Une sécurité mal assurée pour les enfants ? Voilà une information qui fait froid dans le dos des parents.

La situation tient pour une part à une culture de la grève instaurée dès la conclusion du premier contrat entre la Ville et LLO en 2018. Johanna Rolland avait fait semblant de taper sur la table sans guère se faire respecter. La grève prend chez LLO des formes pernicieuses : « Des salariés peuvent se déclarer grévistes afin d’inciter la direction à fermer le site, puis venir travailler, entraînant une perturbation du service (l’ouverture d’un service ne pouvant se décider à la dernière minute), sans impact salarial pour eux. » Aux grèves s’ajoutent des « débrayages » abondants et d’une légalité douteuse : « un animateur ayant débrayé 15 mn (5 mn matin, midi et soir) sur une journée où il devait assurer 6h d’accueil paralysera le service pour toute la journée mais sera payé à hauteur de 5h45mn ». Et la facture sera payée par la ville de Nantes bien qu’aucun service n’ait été ouvert pour les enfants !

Paradoxalement, les Nantais s’en sortiraient mieux si la Ville ne faisait pas appel à un prestataire car « en tant qu’opérateur privé, LLO dispose de moyens juridiques plus limités pour organiser le service en cas de grève qu’une collectivité locale gérant le même service en régie ». Faire travailler des amis n’est pas toujours la garantie d’obtenir le meilleur service !

Sven Jelure

Affaire Steve : fiasco judiciaire

Sauf erreur, personne n’a encore parlé de « fiasco judiciaire » dans le dossier de la disparition de Steve Maia Caniço lors de la Fête de la musique 2019. Pourtant, l’instruction s’avère déjà beaucoup plus longue que productive.

Dès le premier jour, l’affaire est des plus délicates. Rassembler des milliers de fêtards en pleine nuit sur un quai de Loire est une grosse prise de risque, intervention policière ou pas. En cas de pépin, la jurisprudence ne donne pas cher de Johanna Rolland. Exemple : une commune organise un feu d’artifice, une zone interdite est délimitée par un ruban, une personne le franchit, elle est blessé par une fusée qui retombe, le maire est condamné à six mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende car un ruban n’est pas une protection suffisante. (En l’occurrence, la limite était fixée à 150 m de la zone de tir, soit trois fois la largeur du quai Wilson, mais ne comparons pas ce qui n’est pas comparable, puisqu’à Nantes il n’y avait même pas de ruban.)

La maire de Nantes est mieux protégée que le quai. Dès la disparition de Steve signalée, bien avant que son sort ne soit connu et avant la moindre enquête, un narratif simple s’installe : Steve a été jeté à l’eau par une charge de police. Là, pas question sur l’organisation de la fête ou les pouvoirs de police du maire. Ce récit est propagé par une convergence, délibérée ou pas, entre des militants locaux, des membres de la presse locale (voire nationale puisque l’un d’eux est aussi correspondant du Monde à Nantes) et l’avocate de la famille de Steve Maia Caniço.

Charger le commissaire pour dédouaner la maire

Cette avocate déploie beaucoup d’énergie pour que l’enquête vise uniquement le commissaire de police qui a mené une intervention sur le quai Wilson. Selon Le Monde, elle « redoutait de voir délayées les responsabilités dans cette affaire ». En attaque, on clarifie, en défense, on obscurcit, dit un dicton en usage chez les avocats. Un seul suspect, c’est plus clair ! Mais dans une affaire où il y a mort d’homme, faire passer la tactique avant la recherche de la vérité est tout de même très moyen.

Et probablement très maladroit. Dans l’affaire du feu d’artifice évoquée plus haut, la commune a été condamnée à indemniser la blessée. En misant tout sur la responsabilité d’un policier, il n’est pas dit que l’avocate agisse dans l’intérêt de ses clients. En revanche, elle contribue à protéger Johanna Rolland, dont elle est très, très proche. Contre Attaque, qui détaille les liens entre elles, se montre sévère :

Bien sûr, ce n’est pas Johanna Rolland qui a poussé le jeune danseur dans la Loire, mais sa responsabilité dans la cascade d’événements qui ont abouti au drame ne fait aucun doute. Depuis le début, la mairie fait tout pour canaliser la colère légitime provoquée par la chute dans la Loire de jeunes nantais-es un soir de fête. Les camarades socialistes de l’avocate portent une responsabilité dans la mort de ce jeune homme qui ne souhaitait que danser pour la fête de la musique.

Instruction cabossée

Pour les « camarades socialistes », malgré tout, les perspectives paraissent moroses quand, fin 2022, l’instruction s’achève. Le procureur de la République résume : il y a eu « deux types de fautes », les unes au stade des préparatifs de la fête, les autres au stade de l’intervention policière, qui ont « contribué de manière certaine » au décès de Steve. La thèse du coupable unique est rejetée.

Volens nolens, les juges d’instruction ont remonté toute la chaîne causale. Une dizaine de personnes sont mises en cause pour homicide involontaire. Le préfet de Loire-Atlantique de l’époque, son directeur de cabinet et le commissaire de police sont mis en examen. La maire de Nantes, son adjoint à la sécurité et l’opérateur de sound system qui a déclenché la bagarre sont placés sous statut de témoin assisté.

L’instruction n’est pourtant pas sans reproche. En octobre 2022, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Rennes a infligé un double camouflet au juge. Elle a annulé la mise en examen de l’ancien préfet de Loire-Atlantique (qui reste tout de même placé sous statut de témoin assisté). Surtout, elle a prononcé la nullité d’une expertise vidéo commandée par le magistrat à une association ouvertement militante, spécialisée dans la lutte contre les violences policières. Un doute plane sur la neutralité de l’instruction.

Un très long délai de réflexion

Mais ce n’est rien à côté de la surprise du chef qui intervient fin 2023 : soudain, tout le monde descend, ou presque ! Ordonnance de non-lieu général, sauf pour le commissaire de police. La « cascade d’événements » s’est tarie. Après une année supplémentaire de réflexion, faisant suite déjà à plus de trois ans d’instruction, les juges considèrent que les fautes commises au stade des préparatifs de la fête ne sont pas « caractérisées ». Les protagonistes n’étaient sans doute pas conscients des dangers du quai Wilson.

À six jours de Noël – sûrement un hasard du calendrier ‑ ce coup de théâtre ne fait guère de vagues. Les Nantais sont absorbés dans la contemplation des œuvres du Voyage en Hiver. Libération s’étonne tout de même : en novembre 2022, le ministère public considérait que le directeur de cabinet du préfet avait « pleinement conscience du risque de chute en Loire », puisqu’il avait même été décidé de faire appel aux sauveteurs de la Sécurité Nautique Atlantique ! Et puis finalement non…

Est-ce un changement d’avis ou plutôt un aveu de faiblesse ? Au « cœur de l’enquête », selon l’expression du Monde en juin 2020, se trouve le téléphone de Steve Maia Caniço : « L’objectif, c’est d’obtenir une géolocalisation précise de Steve au moment du drame ». Ce moment, suppose-t-on, est immédiatement postérieur au dernier signal émis par le téléphone, à 4 h 33 secondes. Un premier nuage de gaz lacrymogène vient alors de balayer sur une centaine de mètres le quai Wilson (qui mesure environ 1 km de la grue Titan grise au pont des Trois-continents). Steve se trouve-t-il à cet endroit ? Sans une géolocalisation précise, le « cœur de l’enquête » est opaque.

Manque de discernement et de renseignements

Dans ces conditions, il est probable qu’une dizaine d’avocats, y compris ceux de la maire et du préfet, auraient défilé pour dire : « On ne sait pas où Steve est tombé à l’eau. On ne sait pas comment. Il a pu être poussé, il a pu glisser, il a pu être attiré par le chant des Sirènes [Il n’y a pas de Sirènes dans la Loire ? Qu’en savez-vous, surtout après 4 heures du matin ?]. Quant à reconstituer à l’envers un parcours depuis la grue jaune, lieu de la découverte du corps, jusqu’à un point de chute précis dans un autre bras de Loire cinq semaines plus tôt, c’est mission impossible. » Le non-lieu presque général coupe court à cette litanie improductive.

Bien entendu, l’avocat du commissaire Chassaing pourra en dire autant. Mais il sera seul et craint que son client ne serve de bouc émissaire dans une affaire plus riche en émotions qu’en éléments objectifs. Il se référera sans doute au rapport établi par l’Inspection générale de l’administration (IGA), qui contient les principaux éléments connus. Pour mémoire, ses conclusions sont triples :

« 1. L’organisation administrative de la Fête de la musique a mobilisé […] les services de la ville et ceux de la préfecture de Loire-Atlantique, sans accorder une attention suffisante à la présence des sound systems sur le quai Wilson. «

« 2. La ville de Nantes et la préfecture de la Loire-Atlantique […] disposaient de moyens réglementaires pour davantage prendre en compte la sécurité de l’événement. »

« 3. […] la gestion des dispositifs de sécurité et de secours conduit à s’interroger sur la pertinence de certains choix opérés quai Wilson et à constater un manque de discernement dans la conduite de l’intervention de police. »

Dans ce « manque de discernement » maintes fois évoqué, certains voient la condamnation du commissaire. Or l’expression a manifestement été choisie pour éviter le mot « faute ». Et elle s’applique apparemment à la première partie de l’intervention policière, l’approche des lieux sans précautions particulières. Quant à l’emploi des gaz lacrymogènes, l’IGA le qualifie expressément de « légitime défense » car il fait suite à des incidents au cours desquels cinq policiers ont été blessés. Autrement dit, même une géolocalisation précise sur le quai Wilson ne préjugerait en rien de la suite que le désir primal de vengeance l’emporterait sur la présomption d’innocence.

Communication catastrophique

À ce stade, l’avocate sait forcément que son dossier est mal embarqué : elle a misé sur un narratif très difficilement démontrable. Quelles possibilités lui reste-t-il ? Présenter l’accusé sous le plus mauvais jour possible. Presse Océan lui a consacré deux pleines pages le 16 janvier ‑ une besogne confiée à un journaliste indépendant et non à un membre de sa rédaction. Grégoire Chassaing y est décrit comme « trop impulsif », « diversement apprécié », « un peu psychorigide », « parfois obtus », etc., aimables appréciations recueillies auprès de syndicalistes policiers qui ne sont pas de ses amis.

Or voici que le commissaire est promu ! Il prendra un nouveau poste le 1er juin, deux semaines avant le début de son procès. Évolution de carrière statutaire pour un fonctionnaire qui bénéficie de la présomption d’innocence, assure le ministère de l’Intérieur. « Provocation vis-à-vis de la justice », répond la mère de Steve (Presse Océan, 10 février 2024), qui s’exprime pour la première fois, dans les bureaux de son avocate. La douleur d’une mère qui a perdu son enfant est forcément poignante. Et voilà que sa propre avocate l’instrumentalise en vue de transformer un deuil privé en conflit police/justice ! Cette dernière cartouche parachève le fiasco.

Sven Jelure

Corsair joue un tour au préfet de Loire-Atlantique !

difficile de comparer Corsair et le fonds de dotation pour le développement culturel de la Ville de Nantes, mais si le préfet doit se tromper également, qu'il le fasse vite !

Il semble que le préfet accentue sa surveillance des fonds de dotation. Ce n’est pas forcément du luxe. Mais sa première sanction est à côté de la plaque. Il pourrait trouver un cas plus intéressant du côté des fonds de dotation créés par la ville de Nantes.

Corsair n’est pas du genre sabre entre les dents : c’est l’abréviation de « Confluent recherche santé innovation en région », un fonds de dotation lié à l’hôpital privé Confluent, alias les Nouvelles cliniques nantaises. Il se trouve malgré lui au centre d’une grande première administrative en Loire-Atlantique.

Un fonds de dotation est un organisme de mécénat destiné à collecter des dons pour aider à réaliser une œuvre ou une mission d’intérêt général. Corsair vise avant tout à « soutenir l’innovation technologique, scientifique, médicale ». Rien que de très classique. Le CHU de Nantes a lui aussi créé un fonds aux objectifs analogues.

Avec 11 160 euros de recettes en 2021, Corsair n’est pas une grande puissance financière. Mais comme tous ses homologues, il est soumis à quelques obligations. En particulier, la loi oblige les fonds de dotation à déposer à la préfecture leurs comptes annuels certifiés par un commissaire aux comptes ; ils doivent aussi les publier au Journal officiel. (Idem pour les associations recevant plus de 153 000 euros de subventions dans l’année.)

L’obligation n’était pas toujours respectée. Mais, depuis une loi du 24 août 2021, l’absence de publication des comptes est punissable d’une amende de 9 000 euros. Ce qui a fait réfléchir plus d’un dirigeant. L’épée dans les reins, plusieurs organisations de Loire-Atlantique ont régularisé leur situation ces derniers mois. Dernier en date, le Centre socioculturel intercommunal Mireille Moyon, à Paimboeuf, précédé par le NHG, le Fonds de dotation Réalités, etc.

Une double première départementale

La surveillance des fonds de dotation est exercée par le préfet. Elle ne semblait pas d’une grande sévérité jusqu’à présent. Or, le 19 décembre dernier, le préfet de Loire-Atlantique a suspendu pour six mois l’activité du fonds « CONFLUENT RECHERCHE SANTÉ INNOVATION EN RÉGION (CORSAIR) ». Motif : « Défaut de transmission des rapports d’activité et des comptes annuels 2017, 2018, 2019, 2020 et 2021, défaut de parution des comptes annuels au Journal officiel de la République Française ». C’était une première dans le département !

Hélas, le fonds récalcitrant avait publié ses comptes pour les cinq années en retard le 23 novembre 2023 ! Si bien que le préfet, qui lui-même devait être en retard dans ses lectures du Journal officiel, s’est trouvé obligé de publier ce 16 janvier une annonce d’annulation de la suspension. Ce qui est également, une première départementale.

Courteline aurait encore de quoi faire. Mais cet épisode aura sans doute poussé la préfecture de Loire-Atlantique à surveiller de plus près les publications légales des fonds de dotation. Et justement, il y en a un dont on aimerait bien voir les comptes : le Fonds de dotation pour le développement culturel. Ce fonds créé par la Ville de Nantes est l’une des vedettes de l’affaire de La Folle journée. Il n’a pas encore publié ses comptes des trois dernières années, et l’on pressent que ce n’est pas joli à voir : il est en liquidation judiciaire depuis tout juste deux ans.

Sven Jelure

Nantes Métropole a perdu la clé des tuyaux

Le doublement en hauteur donnerait une meilleure vue sur la ville sans trop recouvrir la Loire. Cela permettrait de circuler en haut quand les travaux sont en bas et en en bas quand les travaux sont en haut.

Le pont Anne-de-Bretagne, qui relie le quai de la Fosse à l’île de Nantes, ex île Sainte-Anne, doit être élargi. Tous les modes de circulation – piétons, deux roues, automobiles ‑ seront maintenus sur le pont pendant les travaux. Et puis finalement non, une fois toutes les études effectuées dans cette perspective, et tous les contrats passés, ça va pas être possible. Ou plutôt, ça ne servirait à rien car au bout du pont il y a le boulevard Léon-Bureau qui, lui, sera coupé. Plus de boulevard, plus de pont.

On voit de temps en temps des ponts construits au milieu de nulle part, sans qu’aucune route y mène, et l’on incrimine chaque fois les fonctionnaires irresponsables, les politiciens corrompus, les collectivités versatiles, les écolos extrémistes, les réglementations absurdes et/ou les administrations inextricables. Mais Nantes Métropole ne souffre d’aucun de ces maux, n’est-ce pas ?

« C’est vrai que le passage du pont Anne-de-Bretagne est un point clé », déclare Nicolas Martin (EELV). Adjoint aux transports doux, il va devoir gérer un non-transport dur parce que sa clé n’a pas de serrure. À moins qu’il ne tape sur la table ? Car il y a de l’abus :

  • Nantes Métropole annonce que la circulation sera coupée pendant toute la durée des travaux du pont, soit plus d’un an. Où et quand a-t-il fallu à Nantes une année entière pour remplacer des canalisations sur 400 m de boulevard ? Et si les travaux du boulevard durent moins d’une année, pourquoi ne pas maintenir la circulation comme prévu pendant au moins quelques mois ?
  • On ne va pas élargir le pont Anne-de-Bretagne pour en faire un pont-jardin ou un pont-belvédère, comme le proclame Nantes Métropole, mais pour y faire passer deux nouvelles lignes de tramway. On a dû étudier tout leur parcours en même temps que le pont. On n’a pas découvert l’existence du boulevard Léon-Bureau au mois de novembre 2023.
  • Pour fermer le boulevard, on invoque la nécessité d’y remplacer des tuyaux vétustes. Mais on va aussi y créer deux lignes de tram, ce qui exige de défoncer pareillement la chaussée. En quoi les tuyaux seraient-ils plus exigeants que les rails, qui, eux, n’imposaient apparemment pas qu’on coupe la circulation ?
  • Les tuyaux, Nantes Métropole sait faire. Tiens, à deux pas de là, par exemple, on installe un vaste réseau de chaleur. Dans la plupart des cas, on se débrouille pour maintenir la circulation. Au pire, on aménage une déviation – ce que permettrait ici la rue Arthur III, presque parallèle au boulevard sur toute sa longueur.
  • Les entreprises de BTP sont capables de maintenir la circulation sur un pont en travaux. Elles devraient bien être capables de le faire aussi sur la terre ferme. Nantes Métropole a été capable d’exiger ce maintien pour le pont ; elle devrait en être capable aussi pour le boulevard.

Depuis la noyade de la belle Angèle et de son frère aîné sur son bateau doré, les ponts de Nantes n’ont jamais eu bonne réputation. Ça ne va pas s’arranger. Et attention ! le pont a deux bouts. Nantes Métropole a découvert bien tardivement les problèmes de l’un d’eux. A-t-elle exploré à fond tous ceux de l’autre, le quai de la Fosse ?

Sven Jelure

Johanna Rolland danse le moonwalk sur le pont Anne-de-Bretagne

Johanna Rolland présentera prochainement son projet de pont provisoire pour le Voyage à pied 2024.

Le plus anxiogène, dans le projet du pont Anne-de-Bretagne, c’est que Johanna Rolland avance à reculons. Elle avait annoncé que la circulation serait maintenue sur le pont pendant les travaux d’agrandissement. Et soudain, il n’en est plus question.

Mon taxi progresse doucement sur le quai de la Fosse. Le confort de la Tesla favorise une conversation détendue. Jusqu’à cette question innocente :

‑ Avez-vous déjà repéré des itinéraires de rechange pour la période de fermeture du pont Anne-de-Bretagne ?

Fatale imprudence ! Le chauffeur explose :

‑ Ça sera le bordel ! Comment on pourra faire ? J’en sais rien ! Ils sont fous !

En apprenant le 14 novembre que le pont sera fermé à la circulation du printemps 2024 au printemps 2025, plus d’un conducteur nantais ou péri-nantais a senti ses cheveux se dresser sur la tête. « Ça va être un sacré merdier ! » prophétise France3-régions. Faut-il que la situation soit grave pour que le service public use d’un tel langage !

Le maintien de la circulation n’était ni un fantasme, ni une simple éventualité. Publié en octobre 2020, l’avis de marché portant sur la construction du pont imposait expressément un « maintien de la circulation en phase chantier (sur et sous le pont pour tous les flux) ». Le marché a été signé le 29 septembre 2022 : les différents protagonistes ont eu le temps d’étudier le dossier. Dès décembre 2018, déjà, Nantes Métropole avait confié à Systra et à Barryquand et Frydlender, pour près de 400.000 euros H.T.,  une mission d’assistance pour étudier un nouveau franchissement de Loire.

En décembre 2022, un nouvel avis de marché portant sur la coordination en matière de sécurité et de protection de la santé insistait : « Il est précisé qu’il est impératif que la circulation pour tous les modes dans les sens Nord- Sud et Sud-Nord soit maintenue pendant toute la durée du chantier sauf coupure exceptionnelle et ponctuelle. »

Et voilà que cet impératif n’est même plus un conditionnel : fermé le pont sera.

Voici encore un mois, le site de Nantes Métropole assurait, en rubrique « Dialogue citoyen » : « 2e semestre 2024 : préparation du chantier et démarrage des travaux (le chantier prévoit le maintien de tous les modes de circulation durant la durée des travaux) ». Jusqu’à l’apparition de cette mise à jour, le 24 novembre 2023 : « les études complémentaires ont montré la nécessité de réhabilitation préalable des réseaux d’eau du boulevard Léon Bureau. Ces travaux de réhabilitation préalable impliquent la fermeture de la circulation motorisée (sauf véhicules de secours) dans le secteur concerné à partir d’avril 2024 pour une durée d’un an. »

Le dialogue citoyen préfigure le pont : il est coupé !

Personne n’y a donc pensé ?

Bertrand Affilé, deuxième vice-président de Nantes Métropole, tente de faire valoir que « techniquement, le pont ne sera pas fermé à la circulation, les vélos et les piétons pourront d’ailleurs le franchir ». Bien essayé, mais spécialement sournois : c’est bien de « tous les flux » qu’il était question !

Les attributaires des différents marchés sont tous de grands noms dans leur domaine : les filiales de Vinci GTM Ouest et Dodin Campenon Bernard, spécialiste des ponts hors normes, SCE, expert entre autres en hydraulique urbaine, le cabinet d’architectes Dietmar Feichtinger Architects, Schlaich Bergermann Partner, Cimolai, concepteur de structures métalliques complexes, etc. Et en trois ans de réflexion, aucun d’eux n’aurait réfléchi au fait que, pour passer sur le pont, il faudrait d’abord emprunter le boulevard Léon-Bureau ? Et Nantes Métropole, qui a inspecté les canalisations du quartier quand une fuite est apparue sous le pont Anne-de-Bretagne en 2020, n’avait pas repéré qu’il faudrait les réhabiliter ?

Et tous ces experts capables de maintenir les circulations sur un pont en grand travaux ne seraient pas capables de les maintenir sur un boulevard, avec diverses déviations possibles, le temps de réhabiliter des réseaux d’eau ? Et il faudrait une année entière pour mener à bien cette réhabilitation ? On a l’impression que Nantes Métropole est en train de fabriquer petit à petit un rétroplanning improvisé, comme si le projet du CHU n’avait pas rendu ces étapes indispensables depuis des années. Décidément, ce projet ressemble de plus en plus à un caprice princier.

Une ligne rouge juridique à ne pas franchir

Par-dessus le marché (public), ce changement d’avis pourrait ouvrir une insécurité juridique. En renonçant à exiger le maintien de la circulation, Nantes Métropole accorde un avantage énorme au groupement chargée du chantier. Puisque c’était une condition du marché et que celui-ci a été attribué, cette exigence a sûrement été inscrite au contrat. Et voici qu’elle est abandonnée.

Le sujet est sensible. « Les clauses omises de manière inexplicables dans le cahier des charges ou les documents qui l’accompagnent (cahier des clauses administratives générales, notamment), peuvent être des éléments de preuve pour l’infraction de favoritisme », souligne l’OCDE dans un document sur La lutte contre la fraude et la corruption dans les marchés publics. En ajoutant, pour que les choses soient claires : « Lorsque ces clauses de pénalité existent, la connivence entre le décideur et l’entreprise se manifeste par leur non-application. De même, si des prestations indispensables au bon fonctionnement du projet ont été omises dans le cahier des charges de manière inexpliquée et que l’on constate l’absence de contentieux ou de recours contre les auteurs de ces fautes professionnelles (maître d’ouvrage, architecte, bureau d’étude…), l’enquêteur doit légitimement soupçonner l’existence d’une ou de plusieurs infractions pénales. »

Pour Bertrand Affilé, le pont Anne-de-Bretagne restera ouvert, c’est le boulevard qui sera fermé ! Mais cette argutie grossière risque de nourrir les soupçons au lieu de les écarter. On espère que les services juridiques de Nantes Métropole ont réglé la question avec plus de soin. Mais c’est encore un travail supplémentaire occasionné par un chantier dont le coût prévisionnel dépasse déjà largement le milliard d’euros.

Sven Jelure)à

ACCOORD : l’animation socio-éducative en mode furtif à Nantes

Une grille de rémunération pas très claire...

Le nouveau rapport de la chambre régionale des comptes sur l’ACCOORD est mauvais. Il y a du progrès : le précédent, en 2011, était TRÈS mauvais. Les critiques actuelles, d’ailleurs, sont-elles toutes bien dirigées ?

La situation de l’ACCOORD était si dégradée en 2011 que le commissaire aux comptes avait déclenché une procédure d’alerte. La Chambre avait incriminé les dirigeants, qui d’ailleurs changeaient sans arrêt (trois présidents, quatre directeurs généraux et six DRH en six ans). L’ancienne présidente de l’association lui avait reproché « d’exonérer les élus de la Ville de Nantes de leurs responsabilités, et d’accuser la gouvernance de l’ACCOORD de tous les maux ».

La Chambre a réitéré son contrôle cette année et commence son nouveau rapport d’observations définitives par une sorte de mea culpa subliminal : depuis 2011 « le rôle de la ville de Nantes a été réduit au sein des instances de gouvernance, ce qui permet à l’association de disposer d’une autonomie institutionnelle plus importante ». Autrement dit, « tous les maux » de 2011 auraient bien dû être reprochés à la Ville davantage qu’aux dirigeants. Voilà une injustice tardivement – et discrètement – réparée.

Aujourd’hui, les choses vont mieux. Tout n’est pas rose pour autant. Curieusement, le premier grief de la Chambre porte sur un point de détail : « Le rapport du commissaire aux comptes est incomplet chaque année depuis 2011. Il ne comporte pas la rémunération des trois plus hauts cadres dirigeants, prévue par l’article 20 de la loi n° 2006-586 du 23 mai 2006 relative à l’engagement associatif. » Fâcheuse lacune, évidemment. Mais pourquoi la reprocher à l’ACCOORD ? C’est le commissaire aux comptes qui n’a pas fait son boulot !

L’Association le trouve pourtant à son goût puisqu’il est en fonction depuis 2011 et qu’elle a renouvelé son mandat l’an dernier jusqu’en 2028 ! Il est tout de même formidable qu’en douze ans personne, en particulier aucun des huit représentants de la Ville au conseil d’administration de l’ACCOORD, n’ait remarqué le trou dans la raquette de son rapport ! Bien entendu, il faut plaider l’incompétence, car une connivence entre la Ville et l’ACCOORD serait contraire au code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes. On s’étonne quand même que la Chambre n’ait pas interrogé le Haut Conseil du commissariat aux comptes.

L’ACCOORD existe-t-elle ?

La chambre régionale des comptes révèle que le montant global brut non révélé par le commissaire aux compte serait de 238 164 euros brut en 2022. Faut-il diviser par trois ? Dans beaucoup d’associations, le président est bénévole ; la rémunération globale des trois principaux dirigeants n’est donc à diviser que par deux !  Ce qui donnerait ici des rémunérations à six chiffres et non plus à cinq. Quoique, selon la Chambre, le montant qu’elle indique vaudrait pour les trois principaux dirigeants salariés. Alors que la loi vaut pour les trois principaux dirigeants bénévoles et salariés ! Si même la chambre régionale des comptes s’emmêle, le commissaire peut invoquer des circonstances atténuantes.

En tout état de cause, le mutisme du commissaire aux comptes sur ce point ne nuit pas à l’information du public. Car l’ACCOORD se dispense tout simplement de publier son rapport ! Cette publication au Journal officiel est obligatoire pour toute association qui perçoit plus de 153 000 euros de subvention par an (l’ACCOORD en perçoit plus de 4 millions). Depuis la loi du 24 août 2021, son absence est punie en principe d’une amende de 9 000 euros. Mais si vous demandez au Journal officiel ce que l’ACCOORD a publié dans ses pages, vous n’y trouvez rien (elle est en bonne non-compagnie, notez bien).

Avec un peu de ruse, vous trouverez l’annonce de création de l’« Agence de concertation pour l’animation socio-éducative et le soutien à la vie associative », intitulé initial de l’association, en 1985 (oui, du temps de Michel Chauty). Mais sous l’intitulé ACCOORD, en principe son nom officiel depuis 2012, rien de rien, pas même l’annonce d’un changement de dénomination, a fortiori pas de comptes annuels. Rien non plus sous l’intitulé « Association pour la réalisation d’activités éducatives, sociales et culturelles de la ville de Nantes », nom que Franck Renaud attribue à l’ACCOORD dans un hors-série de Place publique qui lui est consacré. À qui faire confiance ?

Voilà l’ACCOORD réduite au rang d’association non déclarée, dépourvue donc de la personnalité morale, ce qui lui interdit en principe de posséder quoi que ce soit. Mais si même la chambre régionale des comptes n’y trouve rien à redire…

Sven Jelure

Le Voyage en hiver se fait sonner les cloches

Pascal Praud, animateur vedette de CNews, a forcément plein de qualités puisque c’est un ancien de Saint-Stan’. Mais les meilleurs eux-mêmes peuvent se tromper. Accuser Le Voyage à Nantes de chercher à détruire Noël dans une ville qui n’est plus elle-même (« À Nantes, Noël n’est plus Noël et Nantes n’est plus Nantes ») n’est pas très crédible. Jean Blaise et les siens ne méritent ni cet excès d’honneur ni cette indignité. Même s’ils le voulaient, ils ne seraient pas de taille.

Le Voyage en hiver cherche clairement à profiter de Noël, non à le démolir. Il le fait juste avec tant de maladresse qu’on pourrait s’y tromper. Il faut dire que l’accusation a été en quelque sorte avalisée par la Ville de Nantes quand elle a présenté Noël comme une fête « multiculturelle ». Fallait-il qu’elle juge la gaffe énorme pour retirer son tweet au bout de quelques heures ! D’ordinaire, elle persiste longuement dans ses erreurs ; il suffit de voir l’énorme quantité d’éloges encore adressés à l’Arbre aux hérons sur près d’un millier de pages de son site web. Jean Blaise lui-même avait cherché des verges pour se faire battre l’an dernier en annonçant vouloir créer avec Le Voyage en hiver « de nouveaux rituels étonnants pour nos publics de proximité ». Mais il a fait machine arrière cette année en affirmant : « Je crois être dans l’esprit de Noël et plus qu’avant ».

Le problème du Voyage en hiver est qu’il bouleverse une tradition à un moment où, presque tous, nous rêvons de tradition. Les Nantais assistent chaque jour à des changements qu’ils n’ont pas désirés. Les décorations de Noël leur apportaient, quelques jours par an, au moins une illusion de stabilité. Et voilà qu’on les en prive ! Alors qu’ils voient tous les jours à la télévision des reportages sur la « magie de Noël » dans d’autres villes ! « On peut aimer boire un vin chaud et voir des œuvres », plaide Johanna Rolland, qui sait ce qui touche le cœur des Nantais…

Quelle vanité a donc poussé une entreprise chargée d’une délégation de service public et financée à 75 % par la collectivité à abandonner brutalement les guirlandes lumineuses, parfaitement laïques au demeurant, qui donnaient le sentiment de marcher tous ensemble sous une même voûte ? Le Voyage à Nantes a ainsi a dressé beaucoup de Nantais contre ses décors inspirés des mascarons nantais qui, sans doute, auraient été appréciés dans d’autres circonstances.

Perseverare diabolicum : l’édition 2022 du Voyage en hiver a été un échec manifeste, immédiat et sans appel. Et voilà que Le Voyage à Nantes récidive en 2023, comme un joueur ruiné au casino qui prétend « se refaire » en misant davantage. En guise d’enjeu supplémentaire, il a juste ajouté deux-trois trucs (et 340.000 euros de budget supplémentaire, ce qui porte ses coûts au-delà du million). Pourquoi s’entête-t-il ? La réponse est bien sûr qu’il est coincé : il s’est lié les mains en signant des contrats pluri-annuels avec les artistes exposés. Peut-être aussi Jean Blaise n’a-t-il pas voulu partir en retraite sur un échec. Partir sur deux échecs est-il si enviable ?

Mais si les critiques sont injustes, il est bien possible que le grief de déchristianisation arrange quand même Le Voyage à Nantes. Ce dernier a un souci avec la laïcité. Après l’exposition d’un « croisé du Moyen-âge » place du Commerce cet été, le Voyage en hiver est un peu borderline avec un décor d’origine religieuse exposé rue des Carmes, et surtout avec ses concerts de cloches. Ceux-ci prennent de l’ampleur cette année avec les quatre cloches de Fontevraud installées dans les douves du château. Les textes d’application de la loi de 1905 permettent un usage « civil » des cloches des églises s’il obéit à des « usages locaux » ‑ or Le Voyage à Nantes, par ignorance ou par provocation, signale lui-même que ces usages locaux ont disparu depuis longtemps ! Jean Blaise a eu l’imprudence de le souligner dans un entretien avec Ouest-France : « On a retravaillé sur les cloches, qui étaient tellement abandonnées qu’on n’entendait même plus. Un travail réalisé avec le diocèse, avec son accord et sa bienveillance. » Lui reprocher son manque de religion contribue à le dédouaner…

Sven Jelure

Nantes Métropole : retour de la confiance à la dircom

Qui sera la souris, et surtout qui est le chat ?

Johanna Rolland a limogé son directeur de la communication pour « perte de confiance ». Elle en embauche un nouveau, dont le profil paraît mal adapté à un poste aussi délicat. Les candidats ne se sont peut-être pas bousculés au portillon.

Un bon directeur de la communication est précieux pour un maire. Au siècle dernier, Guy Lorant a longtemps fait vivre l’illusion d’un Jean-Marc Ayrault charismatique. Il a trompé jusqu’au président de la République ! Johanna Rolland, qui vient d’annoncer son intention de repiquer en 2026, ne comptait plus sur Xavier Crouan, directeur de la communication de Nantes Métropole depuis 2016 : elle l’a licencié cet été pour « perte de confiance ».

La marque d’une certaine fébrilité, sans doute. Et on la comprend :

1) L’insécurité dégrade chaque jour un peu plus la réputation de Nantes et de sa maire. Le plus habile des communicants n’y pourra rien sans une amélioration réelle. Le renforcement de la police municipale y pourvoira-t-il ? Il pourrait aussi apporter une menace différente. Les policiers nantais se sont mis en grève le jour où débutait la coupe du monde de rugby et leurs revendications salariales ont aussitôt été satisfaites ! Un renouvellement de la plaisanterie lors des Jeux Olympiques nuirait à la com’.

2) Les travaux des nouvelles lignes de tramway vont causer des perturbations de la circulation probablement sans précédent dans la ville. Et cela à la veille de l’élection ! S’il subsiste le moindre doute sur la pertinence de l’implantation du CHU sur l’île de Nantes, le mécontentement risque d’être lui aussi sans précédent.

3) Joëlle Kerivin, proche de Johanna Rolland, a été condamnée en mars dernier dans l’affaire de la SAEM Folle Journée. Benoist Pavageau, Jean-Luc Charles, très proches de Jean-Marc Ayrault, ont été mis en examen avec d’autres dans l’affaire du Carrousel des fonds marins, qui remonte à 2011. Une nouvelle affaire du même genre serait ravageuse. Or c’est quand les pouvoirs en place sont fragilisés que les cadavres sortent des placards. Dans un registre tout différent, l’affaire Steve finira bien par venir devant les tribunaux. La condamnation de la ville et de sa maire pour manquement à la sécurité n’est pas une hypothèse à exclure.

Les risques ne s’arrêtent pas là, bien entendu. En période pré-électorale, chacun d’eux peut vite tourner vinaigre. D’autant plus que le leadership de Johanna Rolland a souffert du score (1,7 % des voix !) d’Anne Hidalgo, dont elle était directrice de campagne, à l’élection présidentielle de l’an dernier. Combien de temps les autres composantes de la majorité municipale se diront-elles que la solidarité est plus porteuse que plombante ? Signe que la sérénité ne règne pas dans les hautes sphères, Nantes a récemment renforcé son dispositif de communication de crise. Elle s’est aussi offert pour un montant considérable des services de conseil en communication courant jusqu’à l’époque de l’élection municipale.

Une certaine expérience des temps moroses

Et voilà donc que débarque un nouveau dircom, Marc Péron, 43 ans, qui a dirigé pendant douze ans la communication de Nantes Université. Pourquoi quitte-t-il la relative quiétude universitaire pour les anxiétés métropolitaines ? A-t-il été saisi par quelque démon de midi ? Serait-il attiré par les ambiances déliquescentes ? L’ennui le pousse-t-il à voguer vers de nouvelles aventures ? Nantes Métropole lui a-t-elle fait un pont d’or ? Après tout, ça le regarde.

Le choix de Johanna Rolland, en revanche, interroge. Marc Péron a certes traversé des périodes difficiles, d’abord lors de la faillite de l’agence Aïki communication, qu’il dirigeait à Rennes avant 2011, puis à Nantes, où il a trouvé une situation dégradée. Inauguré en juin 2009, le pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) L’Université Nantes Angers Le Mans (L’UNAM), catoblépas réunissant les universités « ligériennes », était en pleine déliquescence. Déliquescence institutionnelle mais surtout scientifique : le gouvernement de Nicolas Sarkozy avait décidé de distribuer 1 milliard d’euros à une centaine de « laboratoires d’excellence » dont aucun ne relevait de L’UNAM. Un peu plus tard, celle-ci ratait aussi l’énorme budget des « initiatives d’excellence ». L’UNAM a disparu en 2015. Puis l’Université Bretagne Loire a été créée en 2016. Et a disparu en 2020.

Un choix par défaut ?

Mais c’est de l’histoire ancienne. Les ambitions ont été rognées. L’université évite de faire des vagues : il ne faut pas indisposer les grands barons, patrons des prestigieuses écoles d’ingénieurs. Son dircom a ainsi pu s’occuper de questions aussi importantes qu’un changement de nom (l’Université de Nantes est devenue Nantes Université) et de logo (le demi-U à gauche imbriqué dans un demi-N à droite est devenu un demi-N au-dessus d’un demi-U). Marc Péron a également pris des responsabilités associatives à la tête d’une organisation professionnelle.

Rien dans son C.V. ne le prédispose à gérer la communication d’une métropole – et implicitement d’une maire ‑ à l’approche d’une réélection municipale difficile. Johanna Rolland lui accorde néanmoins la confiance que Xavier Crouan avait perdue. Mais peut-être n’a-t-elle pas vraiment eu le choix. On ignore combien de candidats ont répondu à son offre d’emploi. Les communicants de haut vol aspirent rarement à piloter des navires en perdition.

Sven Jelure