CHU sur l’île de Nantes : la chambre régionale des comptes s’inquiète – et nous aussi

Des taxes variées sont suspendues au dessus de nos têtes. Il va falloir être sénateur pour avoir les moyens de payer les surcoûts du futur CHU de Nantes

Le nouveau CHU de l’île de Nantes va coûter cher. Au moins 278 millions d’euros de plus que prévu par Johanna Rolland. Dont 55 millions d’euros rajoutés dernièrement par la chambre régionale des comptes. Et cela pourrait être beaucoup plus en cas d’erreur de conception, car le CHU s’est lui-même fourré dans une drôle de situation.

Le budget du CHU de l’île de Nantes dérape. Il faut y ajouter 55 millions d’euros, annonce Xavier Boussion dans Presse Océan (15 mai 2023). Explication : « un surcoût prévisionnel de 4 % lié à l’inflation, mis en avant par la chambre régionale des comptes ». L’inflation, on n’y peut rien, circulez, y a rien à voir ? D’ailleurs, qu’est-ce que 55 millions d’euros ? À peine plus qu’un Arbre aux Hérons ! La plupart des commentaires se focalisent sur ce montant.

En réalité, la situation est autrement plus grave. La chambre régionale des comptes vient de le révéler dans un audit. D’abord, ces 55 millions d’euros sont « un minimum », dit-elle. Ça rassure tout de suite. Ce montant « découle d’hypothèses d’inflation plus prudentes ». Autrement dit, les hypothèses antérieures, établies par les mêmes dirigeants, étaient peu prudentes !

Les hypothèses et tout le reste, d’ailleurs : Johanna Rolland et le CHU ne pourront pas dire qu’on ne les a pas avertis. Sans même parler de l’inflation, la Chambre, sévère, signale, dès le début en 2013, « un coût prévisionnel du projet sous-estimé ». En effet, « certaines hypothèses du projet présentaient un décalage très important avec les données historiques, notamment en matière de dépenses de personnel ».

Bienheureux décalage : il autorise Johanna Rolland, présidente du conseil de surveillance de l’hôpital, à présenter en grandes pompes, le 1er juillet 2015, un projet du nouveau CHU inférieur au milliard d’euros. Il faut quand même compter 976 millions d’euros « toutes dépenses confondues ».

En 2020 arrivent les premières réponses aux appels d’offres. Les coûts de construction envisagés s’avèrent intenables. On négocie, on rogne ce qu’on peut rogner, on abandonne (pardon, on « met en option ») l’un des bâtiments prévus ‑ oh, une bricole, il devait seulement abriter l’école des sages-femmes, le centre d’enseignement des soins d’urgence, un institut de formation des ambulanciers, un centre de vaccination, la médecine du travail et la maison de la recherche et de l’administration. Mais le budget dépasse quand même le milliard d’euros, dont 696 millions (+ 35 %) pour les seuls coûts de construction.

Plein de voyants à l’orange bien mûr

Mais les économies prévisionnelles « ne reposent que sur un simple changement d’hypothèses », note la Chambre. Celles-ci sont vite démenties. À l’été 2022, la chambre réclame au CHU des hypothèses plus réalistes, intégrant un taux d’inflation de +5,5 % en 2023. Elles révèlent le fameux surcoût de 55 millions d’euros. Le coût de la construction atteint 834 millions d’euros et le coût prévisionnel total du projet 1,254 milliard d’euros. On en est là : le surcoût par rapport à l’annonce de Johanna Rolland n’est pas de 55 millions d’euros mais de 278 millions (+ 28,5 %) !

Il faut donc revoir le budget et trouver 55 millions d’euros supplémentaires. Le CHU comptait faire des économies sur son fonctionnement. « La principale marge de manœuvre théorique sur l’exploitation courante concernait les effectifs dans le projet arrêté en 2013 », note la Chambre, sceptique. Baisser les effectifs ? Réduire les salaires ? Ce n’est pas exactement à l’ordre du jour pour l’hôpital public ! Alors, à présent, le CHU espère plutôt augmenter ses recettes avec des lits supplémentaires en gériatrie à l’hôpital Nord. Laënnec, naguère voué à la fermeture, viendrait ainsi à la rescousse du CHU Île de Nantes… Hélas, la Chambre montre avec force détails que la « trajectoire des recettes » espérée est hautement improbable.

Suffit-il de mettre en regard des coûts de construction qui dérapent et des recettes de fonctionnement hypothétiques ? Ce serait trop beau ! Pour payer la construction, le CHU s’est endetté. Il a souscrit entre autres deux prêts « toxiques » indexés sur le franc suisse. « La prospective financière du CHU comprend par conséquent un élément de volatilité notable en matière de frais financiers ». Autrement dit, non seulement le prix du béton va sûrement augmenter, mais le prix de l’argent destiné à payer le béton pourrait augmenter aussi. Ou baisser ‑ mais on dirait que la Chambre n’y croit pas trop.

Toute erreur est aux frais du CHU

La « seule note positive dans ce sombre tableau » est le respect des délais, souligne Xavier Boussion. Le chantier a été lancé à la date prévue. En soi, c’est presque un événement. Car une fâcherie s’est élevée avec le maître d’œuvre désigné. Après différentes modifications du projet, il réclame une rémunération supplémentaire. Et, pas fou, il refuse de garantir le coût des travaux tel que prévu par le projet. Le CHU préfère alors le remplacer ‑ une décision, « très rare dans une opération de telle envergure », souligne la Chambre.

Il pourrait en résulter un procès long et coûteux. Une solution transactionnelle est préférée. Mais elle comporte une clause non moins rare qui fait frémir la Chambre : « le CHU renonce à engager toute action fondée sur la responsabilité contractuelle de la maîtrise d’œuvre ». En clair, si le projet souffre d’une erreur de conception, le CHU devra seul en assumer les conséquences. L’avocat du CHU déconseille cette prise de risque ? Ses dirigeants l’acceptent quand même. « Le CHU s’expose ainsi à un important risque financier », note la Chambre..

Ce n’est donc pas une épée de Damoclès mais toute une panoplie qui est suspendue au-dessus de la tête des contribuables nantais…

Sven Jelure

Jean Blaise bientôt en retraite, mais en quel état ?

Le Point a interrogé Jean Blaise sur Nantes en 2030 et a recueilli l’annonce d’un prochain départ en retraite. Le souvenir que laisse un acteur est surtout celui du dernier acte. Il ne se présente pas ici sous les meilleurs auspices.

Pour son supplément sur Nantes en 2030, Le Point (n° 2649 du 11 mai 2023) a interrogé Jean Blaise. Sa première question est naturellement : « Comment imaginez-vous la culture à Nantes en 2030 ? » Jean Blaise répond par… Les Allumées ! Trente ans de bond en arrière (Les Allumées datent de 1990-1995) pour parler de ce qui pourrait se passer dans sept ans !

Interrogé déjà par Le Point, Jean Blaise disait en 2012 : « J’ai 61 ans, et grâce à [Jean-Marc Ayrault], j’ai toujours l’impression d’en avoir 30 ». Johanna Rolland l’a sans doute fait vieillir de façon accélérée car il ne compte pas régenter encore la vie culturelle nantaise en 2030. « Je suis pour la retraite à 72 ans », déclare-t-il à l’hebdomadaire. Façon d’annoncer un départ en retraite prochain puisqu’il est né le 17 avril 1951. Façon aussi, peut-être, d’affirmer qu’il part de sa propre volonté. Car, puisque les statuts de la SPL Le Voyage à Nantes l’autorisent à rester en fonction jusqu’à 75 ans, certains risqueraient de croire qu’on l’a écarté.

Et tant que directeur artistique d’Un été au Havre, une activité indépendante, il aurait pu exercer sans limite d’âge. « Le Havre et son territoire me transportent », disait-il en juin dernier. Mais ces transporteurs l’ont débarqué. Sur le site internet de la métropole havraise, il décrivait Un été au Havre comme « un parcours artistique dans l’espace public, avec des œuvres pérennes ». Six mois plus tard, son remplaçant, Gaël Charau, déclare : « L’objectif n’est pas de dessiner un parcours avec des œuvres d’art dans la ville. » Le respect se perd.

Nantes moitié moins que Le Havre

On devine pourquoi. En 2022, la sixième édition d’Un été au Havre n’a pas été un succès. Il a fallu retirer au bout de quelques jours l’une des œuvres exposées, jugée trop lugubre (elle évoquait un pendu la tête en bas). La métropole du Havre, dans un texte posté sur son site web, revendique 1,3 million de visiteurs. Mais les compteurs installés sur place disent que les trois œuvres les plus visitées ont attiré respectivement 29 935, 6 213 et 5 965 personnes. Ainsi, 2,3 % des passants seulement auraient visité l’attraction la plus courue et même pas un sur deux cents les n°2 et n°3 ! Un flop magistral.

Le score de 1,3 million de visiteurs, calculé d’après le nombre de porteurs de smartphone passés à proximité des œuvres pendant l’été, n’est guère crédible (Le Havre aurait-il été contaminé par la tradition nantaise des bilans touristiques douteux ?). Néanmoins, c’est une vilaine pierre dans le jardin de Jean Blaise. Un mois avant cette annonce exactement, le 14 septembre, il avait lui-même publié un communiqué chiffrant le bilan du Voyage à Nantes 2022 à… 607 000 visiteurs. Moins de la moitié du score havrais ! Même si la manifestation normande a duré douze semaines et la bretonne dix seulement, l’écart est colossal. Jean Blaise aurait-il été un bon directeur artistique à son compte d’un côté, un mauvais directeur général salarié de l’autre ?

Kombouaré ou Willy Wolf

Ce ne serait pas grave si Le Voyage à Nantes avait enthousiasmé le public. Hélas, ce qui manque au chiffrage officiel est le nombre des visiteurs déçus. Car cette manifestation annuelle qui n’a jamais réussi à s’imposer sur le plan national et international est apparue en déclin en 2022. Deux titres de la presse régionale résument la situation :

Là encore, après dix ans de louanges un peu forcées, le respect se perd. « Il n’y a pas eu auprès du public local ce qu’on peut appeler un « effet whaou » », doit bien admettre Jean Blaise lui-même (son vocabulaire était plus riche du temps où il se décernait des éloges). Il y a comme un soupçon de mépris dans ce « public local » : pourquoi l’irrespect serait-il à sens unique ?

Jean Blaise signera-t-il Le Voyage à Nantes 2023 ? Dans une période où tout va de travers pour Johanna Rolland, ce serait courir un risque au regard de la postérité. « Ce sera difficile pour la personne qui me succédera, parce que j’ai accompagné l’histoire de la ville », dit-il au Point avec sa modestie coutumière. Mais accompagner une dégringolade, finir comme une sorte de Kombouaré culturel, ne serait pas forcément enviable.

Aujourd’hui, les portraits médiatiques de Jean Blaise débutent rituellement par : « Le créateur des Allumées… » Demain, il est probable qu’ils évoqueront plutôt Le Voyage à Nantes, mais avec quel qualificatif ? Créateur ? Animateur ? Directeur ? Fossoyeur ? Sauf miracle, sa fin de carrière sera moins glorieuse que son début. Quant au Voyage en Hiver, s’acharner aurait un petit côté Willy Wolf.

Sven Jelure

Place du Commerce à Nantes : le pavage des Syrtes

Nous parlons de végétalisation et de création d'ombre là où nous ne découvrons que granit. 70 arbres en moins, joli résultat. Chapeau bas, Johanna !

La nouvelle place du Commerce sera inaugurée samedi 13 mai. Les Nantais auront subi près de quatre ans de travaux, soit presque un an de plus que prévu. Le dérapage du budget, cependant, est plus modeste, inférieur à 2 millions d’euros (30,3 millions affichés pour 28,5 millions prévus, soit + 6,3 %). La réalisation obéit à un souci esthétique suranné et un peu contrefait, comme le révèle la communication municipale.

Superbement pavé de granit clair, l’espace Feydeau-Commerce a changé, et c’est heureux : pour 30,3 millions d’euros, de nos jours on a encore quelque chose. Mais quoi ? On l’a trop dit après Charles Baudelaire et Julien Gracq, « la forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel », et quand c’est le technocrate qui conduit la pelleteuse, le résultat laisse souvent à désirer.

Jean-Marc Ayrault, par la distribution presque systématique de La Forme d’une ville à ses visiteurs de marque, rendait une sorte de culte naïf à un auteur qui, très explicitement pourtant, parlait de lui-même tout en affectant de décrire une cité qui était pour lui « presque davantage imaginée que connue ». La pratique municipale, telle qu’aux grandes occasions elle se révèle sans fard dans les communiqués savamment accommodés par ses scribes, a conservé comme un pieux vestige l’étrange prédilection apparente de l’ancien maire pour les discours chipoteurs et les descriptions ourlées d’adjectifs improbables, témoins d’un usage libéral du dictionnaire des synonymes, par lesquelles des plumes aussi méticuleuses qu’oniriques s’efforcent de restituer non point la topographie froidement objective de tumescences urbaines mais la magnificence d’intentions approximatives rehaussées ici et là par des bribes de demi-réalités putatives et espérées auxquelles les citoyens respectables, jamais à court d’espoir, accrocheront leurs illusions d’une métropolitanité sublimée.

En trois mots façon Sven Jelure comme en cent façon Julien Gracq, il y a du bourrage de crâne dans ce que Johanna Rolland et ses communicants nous disent de la nouvelle étendue Feydeau-Commerce ‑ plus massif encore qu’à propos de la « nouvelle promenade fraîche et végétalisée » du parking Duchesse-Anne.

Les cercueils de la Loire

Il n’y a pas que le pavage. La presse et les réseaux sociaux l’ont noté, la forme des fontaines et des parterres fait irrésistiblement penser à des cercueils ou des pierres tombales. Deuil d’ambitions électorales ? Enterrement prochain d’une vie professionnelle ? Quel fin psychothérapeute, quel voyant extra-lucide saura déchiffrer les impensés d’une inspiration aussi funèbre ?

Le dessin longiligne de ces éléments de décor orientés est-ouest visait, selon le discours municipal et les dires de la paysagiste Jacqueline Osty, à évoquer le cours de la Loire. Mais quelle Loire ? Cette vingtaine d’insertions modestes fait surtout penser aux maigres flaques éparses du fleuve évaporé par temps de canicule. Si l’on tient à une métaphore aquatique ce sera plutôt celle des faibles vaguelettes de granit qui paraissent s’étaler en travers de l’ancien cours du fleuve pour venir mourir au pied de la FNAC. Quasi invisibles, car sans ombre, aux yeux du piéton venant du Sud, elles sont si propices aux chutes qu’il a fallu les ourler d’un ruban adhésif noir, façon faire-part de décès.

Ces visions macabres sont subjectives, d’accord. Passons à des considérations plus objectives et même chiffrées. Nantes Métropole nous y invite en résumant ainsi, dès le chapô de son communiqué de presse, les aménagements réalisés : « Avec 3 400 m² d’espaces végétalisés, plus de 30 000 plantations et le triplement des espaces piétonnisés, la nature a gagné du terrain sur le bitume, les fontaines et les îlots plantés apportent désormais de la fraîcheur aux 100 000 personnes qui s’y croisent chaque jour. »

Admettons les 3 400 m², même si leur éparpillement les fait paraître plus exigus. Ils comprennent 2 000 m² d’espace vert supplémentaire par rapport à la situation d’avant 2019. Mais ces m² sont en deux dimensions. En 3D, le volume des 70 platanes coupés pour réaliser l’aménagement (50 arbres seulement ont été conservés) n’est évidemment pas compensé par de nouvelles pelouses. C’est pour la bonne cause : « les plantations ne dépassent pas la hauteur d’homme « pour éviter que les dealers s’y cachent » », a expliqué Johanna Rolland. Car sans doute se dissimulaient-ils dans les hautes branches des platanes abattus. (Au fait, croit-on que les dealers aient disparu pour autant ? Ils ne cherchent même plus à se cacher, et les cinq caméras de télésurveillance nouvellement ajoutées aux huit existantes ne les en dissuadent apparemment pas.)

2017 à gauche, 2022 à droite. C’est vrai qu’on verra mieux les iris au printemps.

Sous le signe de l’iris

Le nouvel aménagement s’étend officiellement sur 2,7 hectares. Les 3 400 m² d’espaces « végétalisés » en représentent donc 12,6 %, soit seulement un huitième de sa surface. Les espaces verts et aquatiques couvrent pourtant 41 % de la superficie de la ville, nous disent les services municipaux. Ainsi, cette nouvelle place soi-disant verdie est trois fois moins verte que la moyenne de la ville ! Nantes dispose de 37 m² d’espace vert par habitant ; les 3 400 m² annoncés forment la dose de 92 personnes, soit 0,015 % de la population métropolitaine.

Quant aux « plus de 30 000 plantations », soyons précis : elles comprennent officiellement 1 051 arbustes, 1 500 plants d’iris et… 29 621 graines de plantes vivaces. Bravo au comptable qui, à quatre pattes dans la glèbe, a minutieusement dénombré les graines de gazon semées à travers la place.

Les 1 500 plants d’iris méritent qu’on s’y arrête. Dès le début, ils ont été le cheval de bataille du réaménagement. « Un jardin d’iris fleurira de manière spectaculaire chaque début de printemps », assurait Nantes Métropole au lancement du projet. En ce début de printemps 2023, quel Nantais a repéré la floraison « spectaculaire », réduite à quelques dizaines de fleurs ?

Les botanistes préconisent de planter entre sept et quinze iris par m². Nos 1 500 plants doivent donc occuper entre 100 et 214 m², soit 0,4 à 0,8 % de la surface aménagée (ou 2,9 à 6,3 % de la seule surface végétalisée) : qu’on ne s’étonne pas si le spectaculaire n’est pas au rendez-vous ! Les botanistes insistent aussi : il faut planter les iris au soleil, et surtout pas à l’ombre. Serait-ce pour cela qu’on a sacrifié les platanes côté Duguay-Trouin et pas côté Brancas ? Les premiers auraient fait de l’ombre aux iris, les seconds n’en font pas. C’est le chien qui lâche sa proie pour l’ombre « et n’eut ni l’ombre ni le corps », comme dit La Fontaine.

Usagers déportés

Autre chiffre « objectif » dans la description de Nantes Métropole : 100 000 personnes se croisent chaque jour sur l’espace remodelé. Elles auront désormais bien plus de place. Lisons mieux le dossier de presse : « avec près de 100 000 piétons chaque jour dont 60 000 usagers des 3 lignes de tramway et des 6 lignes de bus (C2, C3, 11, 26, 54 et la navette vers l’aéroport), l’espace Feydeau-Commerce est le premier pôle de transports en commun de Nantes Métropole ». Le maquillage saute aux yeux : une seule des trois lignes de tram passe entre Feydeau et Commerce ! Quelque chose comme 30 000 piétons sont à retrancher du total allégué. Quant aux lignes de bus, tiens, c’est vrai, que deviennent-elles ? En 2019 encore, 518 bus s’arrêtaient là chaque jour. On a envoyé leurs 40 000 usagers quotidiens se faire voir ailleurs afin de libérer de la place pour les iris.

Naturellement, le « gain » net n’est pas de 40 000 usagers puisque une partie d’entre eux transitent depuis ou vers la ligne 1 du tram. Mais au lieu de trouver leur bus immédiatement au sortir du tram, ils doivent maintenant aller le chercher ailleurs. La majorité des piétons qui transitaient sur l’espace Feydeau-Commerce se dirigent à présent vers le cours des 50 otages, où ils se bousculent le long d’un quai pas prévu pour une telle affluence. Ses quatre petites aubettes, en particulier, sont bien insuffisantes en cas d’intempéries, et d’ombre il n’est pas question – mais les Nantais doivent savoir souffrir pour que la place du Commerce soit belle.

Les bus, eux, embolisent la circulation sur le cours des 50 otages ; les ambulances pressées d’atteindre les urgences du CHU les contournent en empruntant la piste cyclable, tant pis pour les deux-roues. Combien de temps faudra-t-il pour qu’un urbaniste municipal constate cette situation misérable et imagine de déplacer les bus vers un espace plus dégagé ? Par exemple Feydeau-Commerce…

Édicule en verre

Cerise sur le gâteau, Nantes Métropole a profité des travaux pour améliorer le parking souterrain Commerce (dont la présence en sous-sol interdit la végétalisation d’une vaste surface). On peut y accéder en particulier « via un édicule en verre situé place du Commerce » (page 11 du dossier de presse). Quand il n’est pas aveuglé par les iris, le piéton y voit plutôt une vilaine boîte en métal déployé.

C’est moins grave que la suppression de soixante-dix grands arbres, avec l’ombre et la fraîcheur associées, en plein centre ville, sur un espace menacé de devenir un îlot de chaleur en temps de canicule. Mais cela dénote une prédilection pour une apparence qui relève d’une époque révolue. Comme l’Amirauté affairée à repeindre sa caserne alors que monte la menace d’une guerre avec le Farghestan dans Le Rivage des Syrtes, Nantes Métropole semble d’autant plus attachée à son image (quitte à enjoliver les descriptions qu’elle en fait) que la réalité des choses est plus préoccupante.

Et si elle peut s’arranger avec la vérité à propos de sujets mineurs comme l’édicule et les iris, qu’en est-il à propos de sujets majeurs ?

Sven Jelure

Nantes et la réunification de la Bretagne : tournoi de poèmes

Réunion au sonnet à Nantes : la poésie de ChatGPT laisse Victor Hugo pensif !

Aujourd’hui, à Nantes, grand pow-wow des collectivités favorables à la réunification de la Bretagne dans ses frontières historiques, celles d’avant la création des Pays de la Loire par un décret de juin 1960.

À côté des arguments historiques, culturels, économiques, politiques, touristiques, identitaires, sentimentaux, versons au débat un argument poétique.

Poétique et néanmoins totalement objectifs : les deux poèmes ci-dessous sont de pur produits de l’intelligence artificielle. Ils ont été rédigés ex nihilo par ChatGPT.

 

  1. Écrire un sonnet en l’honneur de la ville de Nantes, capitale de la Bretagne

Réponse de ChatGPT :

Ô belle ville de Nantes, fière cité bretonne,
Où l’Histoire a laissé sa marque indélébile,
Tes rues pavées et tes quais bordés de fontaines
Sont le témoin d’un passé riche et admirable.

Sur les bords de la Loire, tu es là majestueuse,
Toi qui fus la capitale d’un grand duché,
Et qui rayonnes encore de ta gloire savoureuse
À travers tes châteaux, tes églises et tes musées.

Le château des Ducs, ta fierté incontestable,
Veille sur ta vieille ville aux mille charmes,
Et le Passage Pommeraye, toujours admirable,
Émerveille les visiteurs venus de toutes parts.

Nantes, ville de culture, d’histoire et de tradition,
Tu es le joyau de la Bretagne, la perle de l’océan,
Et dans le cœur de tes habitants, à jamais, tu demeures,
Symbole d’une identité forte, fière et lumineuse.

  1. Écrire un sonnet en l’honneur de la ville de Nantes, capitale des Pays de la Loire

Réponse de ChatGPT

Ô Nantes, cité fière des Pays de la Loire,
Sur tes quais et tes ponts, la Loire court joyeuse,
Et dans tes rues et places, les gens se croisent le soir,
Dans une atmosphère chaleureuse et harmonieuse.

Tes bâtiments historiques sont autant de merveilles,
Qui témoignent du temps et de son évolution,
Ton patrimoine, ta culture, tout cela nous émerveille,
Et nous invite à la découverte et à la passion.

Château des ducs, Cathédrale, Lieu Unique et Machines,
Font partie des richesses que tu as à offrir,
Et chaque jour, tu surprends et tu illumines,
Par ta beauté, ta créativité, ta façon de s’ouvrir.

Ô Nantes, tu es un joyau des Pays de la Loire,
Et dans nos cœurs tu resteras à jamais une histoire.

 

Qui prétendra que ChatGPT se montre aussi inspiré dans le second texte que dans le premier ? Même l’intelligence artificielle a du mal à se passionner pour les Pays de la Loire !

On notera qu’aucun des deux textes n’est vraiment un sonnet. Et que si le logiciel a réussi à produire quatre quatrains dans le premier, il s’est trouvé à court de deux vers dans le suivant…

Et deux vers de moins en Bretagne, à fortiori pour la réunification, c’est mal vu.

Sven Jelure

Végétaliser une promenade sans créer d’ombre : chapeau Nantes Métropole

Qui pourrait dire non à « une nouvelle promenade fraîche et végétalisée en centre-ville » ?
Cette nouvelle promenade nouvellement promise par Nantes Métropole comprend deux tronçons séparés : le cours Saint-André et le « parking Duchesse-Anne » (que le cadastre appelle officiellement « place de la Duchesse-Anne », mais passer d’un « parking » à une « promenade » fait tout de même plus frais et végétalisé). « Ces deux espaces aujourd’hui fortement minéralisés contribueront à réduire les îlots de chaleur urbains, capter le carbone et favoriser la biodiversité », assure Nantes Métropole.

Hélas, le projet relève du montage médiatique bien plus que de l’aménagement botanique. La promenade a beau être « fraîche et végétalisée », elle ne comptera pas un mètre carré d’ombrage supplémentaire.

La place de la Duchesse-Anne est bien moins minéralisée que Nantes Métropole ne le dit. Le parking est bordé d’une quinzaine d’arbres de belle dimension. On espère qu’il n’est pas question d’y toucher. En tout cas, on n’en plantera pas davantage, pour une raison très simple : le sous-sol du parking n’est pas disponible. Il est déjà occupé par le canal Saint-Félix. En fait de « végétalisation » on devra se contenter d’étaler une couche de terre pour y planter du gazon et de jolies petites fleurs. On pourrait même se passer de retirer le bitume existant…

Herbes folles et contreplaqué cours Saint-André

Pour le cours Saint-André, ce n’est guère différent. Sur les côtés, il compte déjà plus de quatre-vingts arbres plantés voici une quinzaine d’années – antérieurs à Johanna Rolland, donc. En guise de promenade ombragée, il font déjà l’affaire. Au milieu du cours, impossible de creuser : on buterait vite sur la dalle de béton du parking Cathédrale. Là encore, on ne fera pas mieux que de semer des parterres de fleurs sur un peu de terreau apporté. L’effet en faveur de la réduction des îlots de chaleur, etc., sera proche de zéro. Ajoutons que comme Nantes n’entretient plus ses trottoirs, les arbres existants sont déjà bordés à leur pied d’une végétation presque luxuriante…

 

Herbes folles cours Saint-André

(On se réjouit néanmoins de voir Nantes Métropole se soucier de l’aspect du cours Saint-André. Depuis des années, elle y tolère la présence d’une baraque en contreplaqué couverte d’affiches publicitaires à moins de 200 mètres de la cathédrale. Elle remplace l’élégante aubette en verre gravé construite en 2007 pour servir de sortie au parking. Probablement imposée par l’architecte des bâtiments de France, elle n’avait pas résisté à quelques coups de pare-choc. Heureusement, l’ABF semble n’avoir rien remarqué.)

Un gros budget pour détourner l’attention ?

Honnêtement, Nantes Métropole ne compte sa « promenade fraîche et végétalisée » que pour 8 100 m² de jardin nouveau, soit à peine plus de la moitié de la superficie totale du parking Duchesse-Anne et du cours Saint-André. Mais cette honnêteté topographique éclaire d’un jour différent le budget prévu : 2,3 millions d’euros. Pour aménager en pleine ville un hectare et demi de parc nouveau, ça se défendrait. Mais pour aménager 8 100 m² de plates-bandes (soit 284 euros du m²), cela semble prohibitif !

« D’ici l’été, le service Nature et jardins sélectionnera le paysagiste qui dessinera cette transformation », annonce Nantes Métropole. Serait-ce là l’ultima ratio de ces espaces verts Potemkine ? À moins que ce verdoyage* ne vise à détourner l’attention de la nouvelle place du Commerce, transformée par la fantaisie municipale en une promesse d’îlot de chaleur mahousse à la prochaine canicule ‑ et toujours pas inaugurée à ce jour…

Sven Jelure

* Verdoyage : manœuvre visant à donner l’illusion d’un souci écologique, équivalent du néologisme anglais greenwashing.

Abolition de l’esclavage : la maire de Nantes a manqué l’anniversaire

Contrairement au président de la République, Johanna Rolland est passée complètement à côté de l'anniversaire de l'abolition de l'esclavage

Ce 27 avril était le 175anniversaire du décret d’abolition de l’esclavage signé par Victor Schœlcher, ministre des colonies. Contrairement au président de la République, Johanna Rolland est passée complètement à côté.

Pourquoi Emmanuel Macron n’est-il pas venu à Nantes ? Il a effectué jeudi dernier, indique le site Elysee.fr, un « déplacement au Château de Joux à l’occasion du 175anniversaire de l’abolition de l’esclavage en France ». Or il n’y a strictement aucun rapport entre le décret du 27 avril 1848 et la forteresse de Joux !

L’illustre Toussaint Louverture y est mort, mais c’était quarante-cinq ans plus tôt, en 1803 ; l’année précédente, l’esclavage avait été non pas aboli mais rétabli à Saint-Domingue. Et puis, célébrer d’un même mouvement Toussaint Louverture et l’abolition de l’esclavage est un rapprochement hâtif quand on se souvient que le leader de la révolution haïtienne a substitué à l’esclavage le… travail obligatoire.

Tandis que Nantes… Nantes a un Mémorial de l’abolition de l’esclavage. S’il y avait un lieu pour célébrer le 175anniversaire de l’abolition de l’esclavage en France, c’était bien là. Il donne même comme adresse postale « passerelle Victor-Schœlcher », du nom du signataire du décret de 1848 – un nom porté aussi par des rues et boulevard à Nantes, Saint-Herblain et Rezé.

La sainteté de l’abolition

Alors bien sûr, même si c’est moins qu’à Joux, le lien est un peu tiré par les cheveux. Victor Schœlcher est complètement étranger à Nantes. D’origine alsacienne, il a fait toute sa carrière de journaliste puis d’homme politique à Paris et aux Antilles. Rien ne dit même qu’il ait jamais mis les pieds dans la capitale des ducs de Bretagne ! À Nantes, d’ailleurs, bien que ce soit écrit dessus, certains ont du mal à intégrer que le Mémorial commémore l’abolition de l’esclavage, un événement positif, et non l’esclavage lui-même, une pratique honnie ; pour eux, parce que certains Nantais, à une certaine époque ont pratiqué un commerce indigne entre faiseurs d’esclaves et utilisateurs d’esclaves, la ville entière serait comme affectée d’un péché originel inexpiable.

Par ailleurs, en 1848, même s’il concernait encore 180 000 personnes, l’esclavage était en voie d’extinction. Interdit en France depuis un édit royal du 3 juillet 1315, il avait été autorisé dans les colonies de 1642 à 1794, puis rétabli dans certaines colonies en 1802, dans des conditions peu à peu adoucies par un chapelet de réglementations. En 1845, la loi Mackau était explicitement destinée à préparer son interdiction prochaine. (Étrangement, le site web du Mémorial ne mentionne même pas l’existence de cette loi.) Le décret du 27 avril 1848 n’était que le point final d’un processus. Victor Schœlcher en était parfaitement conscient. Lui-même se considérait comme un militant et pas comme un héros. « Tout le monde est d’accord sur la sainteté du principe de l’abolition », écrivait-il en 1847 dans son Histoire de l’esclavage pendant les deux dernières années.

Mémorial vandalisé

La venue d’Emmanuel Macron aurait été d’autant plus opportune que Nantes Métropole vient de lancer sur le réseau de panneaux JCDecaux une campagne publicitaire en faveur du Mémorial (sur le thème « Nantes face à son histoire » : la com’ municipale n’a sans doute pas bien assimilée la distinction entre abolition et esclavage signalée plus haut). Et elle aurait réparé l’outrage récemment subi par le monument. Car ce lieu qui aurait dû être intangible (pour lui, Jean-Marc Ayrault avait fait exception à son refus des caméras de surveillance) a été largement vandalisé au cours des manifestations contre la réforme des retraites.

Il y avait donc, cahin-caha, un petit alignement des planètes. Pas de quoi exercer une force d’attraction irrésistible, la preuve, mais c’était quand même mieux que rien en cette période de vaches communicantes maigres pour la maire de Nantes. Hélas, avec ou sans président de la République, Johanna Rolland est totalement passée à côté de ce 175anniversaire.

Sven Jelure

Entre sexe des anges et budget des genres : les comptes à la nantaise

intégrer la perspective de genre dans tout le cycle budgétaire pour analyser l'impact différencié des recettes et des dépenses des budgets publics sur les femmes et les hommes et proposer des mesures pour rééquilibrer les écarts constatés

Il y a des promesses municipales qui ne sont que des mots, et il y a des mots qui sont malgré tout des promesses. Exemple : la ville « non-sexiste ». On ne sait pas trop ce que c’est et ceux qui prétendent savoir ne semblent pas toujours d’accord entre eux. Mais puisque c’est une promesse de campagne de Johanna Rolland, il faut avancer, quitte à torturer un peu le vocabulaire en faisant entrer le sexe dans le genre. Mais pour cela, on compte sur un prestataire extérieur !

Entre Johanna Rolland, maire, Laurence Garnier, sénatrice, Julie Laernoes, députée et Sarah El Haïry, secrétaire d’État, les femmes n’ont pas l’air trop mal loties à Nantes. Johanna Rolland trouve-t-elle que c’est trop ou que ça n’est pas assez ? En 2020, elle a promis de « faire de Nantes la première ville non-sexiste de France » avant 2030. Elle s’est même dotée d’une adjointe exprès pour ça. Il reste aujourd’hui moins de huit ans pour réaliser cette ambition, et l’on n’est pas très sûr d’avoir vraiment fait le premier pas dans cette direction.

« Pour contrer ces inégalités de genre, la municipalité s’engage à respecter un équilibre femmes / hommes dans les dépenses municipales », assure la Ville. Qui, par ailleurs, consacre beaucoup d’argent à des actions spécifiquement destinées aux femmes, et rien du tout à des actions spécifiquement destinées aux hommes. Il est difficile de ne pas y voir une contradiction interne.

Pour essayer de retomber sur ses pieds, Nantes s’est emparée depuis peu d’un concept à la mode : la « budgétisation sensible au genre » (BSG). Elle y voit « un des leviers phares de transformation de l’action publique en faveur d’une ville non-sexiste ». Et elle semble bien partie pour s’éclairer avec son « levier » et se soulever avec son « phare »

La preuve par Bordeaux

La BSG prétend « intégrer la perspective de genre dans tout le cycle budgétaire pour analyser l’impact différencié des recettes et des dépenses des budgets publics sur les femmes et les hommes et proposer des mesures pour rééquilibrer les écarts constatés ». Autrement dit, le but n’est plus de « respecter un équilibre femmes / hommes dans les dépenses municipales » mais d’aboutir à un résultat final égalitaire indépendamment des montants dépensés (ou prélevés).

Ce n’est plus du tout la même chose. Et c’est une promesse de débats sans fin. Quel est « l’impact » d’un euro consacré à la « précarité menstruelle » dans le cadre de la campagne nanto-nantaise Zéro Tabou, et quelle « mesures » va-t-on appliquer pour « rééquilibrer » l’écart constaté chez les hommes ? Une comptabilité sexuée des dépenses ne doit déjà pas être très simple, mais une comptabilité genrée des impacts ne peut qu’être une bouteille à l’encre.

« Les chiffres sont éloquents », assure pourtant Nantes Métropole. « D’après l’enquête conduite par les géographes Édith Maruéjouls et Yves Raibaud dans plusieurs communes de l’agglomération bordelaise « 75 % des budgets publics destinés aux loisirs des jeunes profitent aux garçons, toutes activités confondues (de la danse au foot, en passant par la médiathèque, les centres de loisirs, les séjours de vacances ou les écoles de musique) ». » Admettons que ces chiffres concernant Bordeaux au temps d’Alain Juppé (l’enquête a été réalisée entre 2009 et 2014) restent valables pour Nantes au temps de Johanna Rolland. Admettons même que ces chiffres relatifs aux loisirs des jeunes peuvent être extrapolés à tous les besoins de toutes les classes d’âge dont la ville de Nantes se soucie. Mais en quoi guident-ils l’action publique ?

La mobilité douce creuse les inégalités dures

Le cas des terrains de football avait été largement cité à l’époque de la publication du travail d’Édith Maruéjouls et Yves Raibaud. Les terrains sont en principe destinés à tous, mais le fait est que les garçons les utilisent davantage, et que plus les garçons les utilisent, plus les filles restent à l’écart. Cela ne résulterait pas du choix des uns et des autres mais d’une « pression sociale » : « dès l’adolescence, les rôles de genre sont définis dans l’espace public », estime Yves Raibaud. Définis par qui ? Il n’en dit rien.

Sans même entrer dans le débat entre la « pression sociale » et la biologie, on se dit que, à partir de ce constat, calculer des « impacts différenciés », les imputer aux différents postes de dépenses et imaginer des « mesures pour rééquilibrer » risque de ne pas être une mince affaire.

Et aussi que les conséquences pour l’action publique pourraient être imprévisibles. A-t-on bien lu Yves Raibaud ? « Mis à disposition des jeunes (en réalité des jeunes garçons), ils ont pour but avoué de canaliser leur violence dans des activités positives », écrit-il à propos des skateparks et des citystades. Ou encore : « De l’autre côté du périphérique, les séjours et activités organisées par les municipalités (Opération Prévention Été, séjours courts, Ville Vie Vacances) sont clairement orientés vers la prévention de la délinquance et proposent des activités spécialisées vers le public cible : les jeunes garçons des cités. » Le choix entre prévention de la délinquance et égalité de genre pourrait être cornélien !

Il y a pire pour Johanna Rolland. « La ville durable creuse les inégalités » affirme Yves Raibaud sans ménagement. « Des solutions qui semblent faire consensus (développement des deux-roues, de la marche, des transports en commun, du covoiturage, etc.) sont aussi celles qui creusent les inégalités entre les femmes et les hommes. » Les raisons en sont multiples, de l’accompagnement des enfants à la « crainte de l’agression dans certains quartiers ou bien la nuit ». De fait, les statistiques montrent que, dans l’agglomération nantaise, les hommes sont presque deux fois plus nombreux que les femmes à se rendre au travail à vélo. On imagine les abîmes de réflexion nécessaires à une budgétisation sensible au genre pour tenir compte des « impacts » anti-féminins de toutes les dépenses anti-automobiles et trouver des « mesures pour rééquilibrer ».

Tout ça pour 20 000 € TTC ?

Ces abîmes de réflexion, Johanna Rolland, son conseil municipal et son administration s’avouent incapables de les sonder seuls. Le travail déjà effectué par la Ville « montre de véritables limites, notamment le fait de circonscrire l’approche de la BSG à une comptabilisation des femmes et des hommes inscrits à telle ou telle activité financée par la Ville, sans que l’on puisse en tirer des pistes d’actions pour une égalité réelle ». À vrai dire, on pouvait s’en douter : l’essentiel reste à faire et l’on ne sait trop comment. Dans un avis de marché, Nantes recherche donc un prestataire en vue d’un « accompagnement pour la mise en œuvre opérationnelle de la budgétisation sensible au genre ». Le public s’avouant vaincu, on fait appel au privé.

De l’argent jeté par les fenêtres, peut-être, mais avec modération : pour une mission de dix-huit mois, les dépenses ne pourront dépasser 20 000 euros TTC. La mission, il est vrai, ne porte, pour l’instant, « que » sur trois « objets », le Conservatoire, le festival Les Scènes vagabondes et les budgets participatifs (des actions demandées par des comités de quartier). Et elle ne concerne que les dépenses, pas les recettes, une réjouissance remise à plus tard. À ce prix-là, cependant, le prestataire devra avoir un petit côté kamikaze. Ses obligations  comportent en particulier « autant de réunions que nécessaire pour la bonne conduite de la mission » et « une session de sensibilisation pour acculturer les membres du conseil municipal et les différentes directions à la budgétisation sensible au genre ».

Et le kamikaze pourrait vite devenir bouc émissaire si ça ne marche pas. À qui croit-on qu’on imputerait un échec de la tentative ? En tout état de cause, il ne pourra se défendre : par avance, il « s’interdit notamment toute communication écrite ou verbale sur ces sujets et toute remise d’informations et/ou de données sur quelque support que ce soit à des tiers ».

Pourtant, la Ville ne compte pas vraiment lui laisser la main. Pendant les dix-huit mois de cette mission, elle mettra en place une équipe comprenant une directrice de projet, une cheffe de projet et une référente du budget (assez genrée, cette équipe !). Des groupes de travail seront aussi constitués selon les besoins. L’ensemble de la démarche sera cornaquée par un comité de suivi technique comprenant « les personnes référentes des directions thématiques, les directeurs et directrices des services (Égalité, Finances, directions opérationnelles concernées) et le directeur général des services (ou son représentant) » ainsi qu’un comité de suivi et de pilotage politique comprenant les mêmes plus « les membres du conseil municipal concernées par la démarche 2023 (Finances, Égalité, Proximité, Culture) ».

Ce sont probablement les heures consacrées à ce sujet par des dizaines de cadres municipaux plus ou moins supérieurs qui représenteront en fait les dépenses les plus élevées. Et l’on se demande auquel des genres le coût de cette usine à gaz sera imputé. À moins qu’il ne soit divisé en deux ? Ce serait bien simpliste et bien arbitraire à une époque où certains dénombrent plus de cent genres, sans parler des « agenres ».

Sven Jelure

ChatGPT, relais fidèle de la propagande municipale nantaise

Pascal Bolo doit-il avoir recours à l'intelligence artificielle ?

L’intelligence artificielle générative est la vedette du moment. ChatGPT a même eu les honneurs du dernier conseil de Nantes Métropole. Mais que sait-il lui-même de Nantes ? Une courte exploration révèle qu’il peut se montrer d’une étonnante crédulité. Ou bien serait-ce de la duplicité ?

Dans la foulée de notre article sur la monnaie locale SoNantes/Moneko, nous avons demandé à ChatGPT quelles leçons il retenait de cette aventure pour Pieds-nickelés de la finance. Voici notre dialogue :

Nantes+ : Pascal Bolo a-t-il joué un rôle dans la création de la monnaie complémentaire locale SoNantes ?

ChatGPT : Je suis désolé, mais je ne dispose pas d’informations sur un éventuel rôle de Pascal Bolo dans la création de la monnaie complémentaire locale SoNantes. Cependant, je peux vous dire que la création de la monnaie SoNantes a été initiée en 2011 par un groupe de citoyens engagés de Nantes, en France, avec pour objectif de favoriser les échanges locaux et de soutenir les acteurs économiques locaux. Depuis sa création, la monnaie SoNantes a connu un certain succès et est devenue un outil de développement économique et social de la région nantaise.

Ainsi, ChatGPT en sait encore moins qu’on ne l’aurait cru. Il ignore que la SoNantes s’est crashée. Il ne connaît même pas Pascal Bolo. (Ou peut-être préfèrerait-il ne pas le connaître, comme le Parti socialiste d’aujourd’hui.) Fin de l’histoire, donc ? Pas si vite ! N’oublions pas que ChatGPT est un système américain. Répétée en anglais, la question reçoit une réponse fort différente :

Nantes+ : Did Pascal Bolo play a significant role in the creation of the local currency SoNantes?

ChatGPT : Yes, Pascal Bolo played a significant role in the creation of the local currency SoNantes. Pascal Bolo is a French politician who was the deputy mayor of Nantes from 2008 to 2014 and was responsible for economic development and employment. In 2011, he supported the initiative to create the local currency SoNantes and played a key role in its development and implementation. He helped to mobilize local businesses and organizations to participate in the project, and he also provided financial and institutional support to ensure its success. Thanks in part to his efforts, SoNantes has become a successful example of a complementary currency, promoting local economic development and sustainability in the Nantes region.

Inconnu en français, Pascal Bolo devient un héros de l’économie locale en anglais ! ChatGPT en sait-il davantage en anglais qu’en français ? Ou bien, face à un interlocuteur francophone, a-t-il délibérément dissimulé une information dérangeante ? Cette hypothèse complotiste n’est pas si absurde car, si l’on pose à nouveau la question en français, ChatGPT (conscient de s’être trahi ?) donne désormais mot pour mot la même réponse qu’en anglais :

Nantes+ : Pascal Bolo a-t-il joué un rôle dans la création de la monnaie locale complémentaire SoNantes?

ChatGPT : Oui, Pascal Bolo a joué un rôle important dans la création de la monnaie locale complémentaire SoNantes. Pascal Bolo est un homme politique français qui a été adjoint au maire de Nantes de 2008 à 2014 et était responsable du développement économique et de l’emploi. En 2011, il a soutenu l’initiative visant à créer la monnaie locale complémentaire SoNantes et a joué un rôle clé dans son développement et sa mise en œuvre [etc.]

ChatGPT persiste néanmoins à tenir pour « successful » une affaire qui n’a pas duré trois ans. Alors, soyons plus explicites dans notre question :

Nantes+ : Pascal Bolo a-t-il joué un rôle dans l’échec de la monnaie locale complémentaire SoNantes?

ChatGPT : Je ne dispose pas d’informations indiquant que Pascal Bolo a joué un rôle dans l’échec de la monnaie locale complémentaire SoNantes. En réalité, la monnaie SoNantes a connu un certain succès et est devenue un outil de développement économique et social de la région nantaise [etc.]

Ainsi, ChatGPT ne veut même pas entendre parler d’un échec ! Soyons donc encore plus explicites :

Nantes+ : Pourquoi le quotidien « Presse Océan » a-t-il qualifié la monnaie locale complémentaire SoNantes de « fiasco » (13 novembre 2017) ?

ChatGPT : Le quotidien Presse Océan a qualifié la monnaie locale complémentaire SoNantes de « fiasco » dans un article publié le 13 novembre 2017 en raison de la fermeture de l’association qui la gérait à l’époque. Selon l’article, l’association a été contrainte de cesser ses activités en raison de problèmes financiers, notamment en raison d’une baisse significative du nombre de commerçants acceptant la monnaie SoNantes. Le journal a également souligné que la monnaie avait été confrontée à des problèmes de gestion, notamment en termes de sécurité et de transparence.

Cependant, il est important de noter que la monnaie SoNantes a connu un certain succès avant cette fermeture, avec plus de 300 entreprises adhérentes et plus de 35 000 SoNantes en circulation. La fermeture de l’association n’a donc pas été la fin de l’histoire de la monnaie SoNantes, qui a été reprise par une nouvelle association en 2018 et continue de fonctionner aujourd’hui avec un certain succès. Comme pour toutes les initiatives innovantes, les monnaies locales complémentaires peuvent rencontrer des défis et des difficultés, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’elles sont un « fiasco ».

Ici, ChatGPT bidonne carrément. L’article du 13 novembre 2017 n’évoquait pas une baisse du nombre de commerçants (lequel augmentait, quoique très lentement) mais un échec du système de troc interentreprises. Il n’était pas question de « fermeture de l’association qui la gérait », et pour cause : cette association existe toujours en 2023, elle a juste changé de nom, devenant MLC44 au lieu de La Sonantaise. ChatGPT n’est même pas capable de calculer que 35 000 SoNantes pour 300 entreprises, cela fait moins de 117 SoNantes par adhérent en moyenne : et c’est cela qu’il appelle « un certain succès » ? On dirait que toute information désobligeante envers l’initiative monétaire de la municipalité nantaise est résolument écartée. La langue anglaise sera-t-elle plus loquace ?

Nantes+ : Why did the local daily « Presse Océan » (11/13/2017) call the local currency SoNantes a « fiasco »?

ChatGPT : I’m sorry, but as an AI language model, I do not have access to the exact reasons why the local daily « Presse Océan » called the SoNantes local currency a « fiasco » in an article published on November 13, 2017, as I do not have all the information about the context and events of that time.

However, it is possible that this article was published in response to difficulties or problems faced by the SoNantes, such as difficulties in attracting a sufficient number of businesses and consumers to support the currency, or issues with management and communication.

It is also possible that the term « fiasco » was used for sensationalist purposes or to generate interest in the article, without being substantiated by actual facts.

It’s important to note that the perception of success or failure of a local currency can vary depending on different criteria and perspectives. Some may consider SoNantes to be a success, while others may consider that the currency did not meet its goals.

Courage, fuyons ! Poussé dans ses retranchements, ChatGPT prétend maintenant en savoir encore moins en anglais qu’en français et ne pas avoir lu l’article de Presse Océan– tout en sous-entendant que le quotidien pourrait avoir menti. Un « fiasco » ? Faut pas croire ce qui est écrit dans les journaux : avec cette ritournelle, ChatGPT pourra avoir réponse à tout…

Alors, faut-il conclure que le système cherche « délibérément » à enjoliver les résultats des actions municipales, quitte à raconter des carabistouilles ? Sans doute pas. Ses réponses quasi surréalistes signalent probablement moins une défaillance de l’intelligence artificielle qu’un succès de la propagande municipale. Dans son immense base de données, ChapGPT a pu trouver cent allégations municipales à propos d’un « succès » de SoNantes, contre un seul « fiasco ». La moyenne est vite calculée.

Dans un autre dialogue non reproduit ici, ChatGPT admet que « concernant les informations diffusées par une municipalité, il est vrai qu’il peut y avoir un certain degré de partialité dans la façon dont l’information est présentée »… Bien vu. Resterait à en tenir compte.

Sven Jelure

Royal de Luxe : pourquoi Johanna Rolland veut-elle acheter un spectacle tout neuf ?

Le choix de Fabrice Roussel serait de présenter un tekel à deux boules. Johanna Rolland serait déjà d'accord, reste à convaincre tout le monde d'acheter deux fois un spectacle à Royal de Luxe, grassement subventionné par la ville de Nantes depuis 35 ans.

En septembre prochain, Royal de Luxe montrera à Nantes un nouveau spectacle. Nouveau, donc cher : 1,8 million d’euros. Mais alors, pourquoi ne pas se contenter du spectacle déjà montré en 2022 à Villeurbanne, dans le Rhône ? Fabrice Roussel aura sûrement à cœur de justifier ce choix devant le prochain conseil de Nantes Métropole, ce vendredi.

Nous suspections que le « nouveau » spectacle de Royal de Luxe annoncé par Johanna Rolland pour 2023 réutiliserait le « vieux » spectacle montré par la troupe à Villeubanne en 2022. Nous avions tort. Johanna Rolland ayant dit « nouveau », il fallait que ce soit nouveau ! Fabrice Roussel, vice président de Nantes Métropole, confirme : « il faut considérer que c’est un nouveau spectacle ».

Puisqu’il faut considérer, considérons. Ce spectacle coûtera bel et bien le prix d’un nouveau spectacle. Le conseil métropolitain sera invité vendredi à y mettre plus de 1,8 million d’euros, dont 1,27 million pour la création, le reste pour le fonctionnement. Ça colle ! D’après Médiacités, le spectacle de Villeurbanne a coûté 3 millions d’euros, dont 1,5 million de cachets artistiques.

Certes, 1,27 million, c’est un peu moins que 1,5 million, mais supposons un instant – simple supposition – que le Bull Machin, le chien moche de Villeurbanne, réapparaisse dans le nouveau spectacle : comme il est déjà construit, ce sera autant de dépenses en moins. Et puis, les subventions copieuses versées à Royal de Luxe (821 156 euros plus 96 717 euros de prestations en nature en 2021) justifient peut-être un petit rabais sur le prix catalogue. Enfin, il y aura des économies sur les frais de transport.

En tout état de cause, un spectacle de rue peut toujours se dire « nouveau » quand il change de ville puisque les rues ne sont pas les mêmes. Aurait-il même été envisageable de montrer Le Bull Machin de Villeurbanne ailleurs qu’à Villeurbanne ? On imagine plutôt un Bull Truc de Saint-Herblain ou un Dogue Machin de Nantes Métropole – et hop ! nouveau nom, nouveau spectacle. Les livrées rouges et bleues ne seront sans doute plus de la partie. Peut-être les costumières cousent-elles déjà des livrées jaunes et vertes, en hommage au FCN.

Royal de Luxe n’attache pas ses chiens avec des saucisses

Difficile d’évaluer le prix d’une créativité aussi débridée. Quoique… Royal de Luxe a versé 415 499 euros de salaires (plus 149 643 euros de charges patronales) en 2021, pour huit « équivalents temps plein ». Soit 52 000 euros de salaire brut moyen par personne, quand même, et 28,6 % de plus qu’en 2020. On imagine qu’une partie de cette coquette augmentation est justifiée par l’effort créatif dû à l’invention du Bull Machin.

L’effort d’imagination n’est pas tout. Royal de Luxe va devoir aussi consentir un effort de mémoire. Un mois avant son nouveau spectacle de Nantes, la troupe se sera produite à Anvers, dans les Flandres. Elle refuse de dire de quoi sa prestation sera faite. Un nouveau spectacle, encore ? Bien entendu, pour que le spectacle de Nantes soit « nouveau », il ne suffira pas qu’il ne ressemble pas à celui de Villeurbanne, il ne devra pas non plus ressembler à celui d’Anvers. Il faudra donc mémoriser de nouveaux rôles. Jean-Luc Courcoult et son équipe n’ont pas fini de se creuser les méninges.

Les Nantais non plus. Car une question cruciale se pose : pourquoi faudrait-il absolument un spectacle « nouveau ». Pourquoi, au lieu d’une création, n’achèterait-on pas, pour 1 million d’euros de moins, une représentation supplémentaire du spectacle de Villeurbanne ? Il était sûrement très bien puisqu’il couronnait l’année « Villeurbanne, capitale française de la culture 2022 ». Alors, à quoi bon le jeter à la poubelle ? Un défilé urbain devrait être plus facilement réutilisable que des eaux usées. Nantes Métropole, qui vante ardemment l’économie circulaire, s’avouerait-elle incapable de recycler un spectacle utilisé une seule fois ?

Sven Jelure

Moneko : la monnaie locale nantaise va descendre une marche de plus

Vous connaissez la différence entre un euro et un moneko ? Un euro !

La discrète monnaie locale nantaise Moneko fait de son mieux pour exister sur un créneau difficile qui reste embryonnaire depuis une dizaine d’années. Héritière d’une tentative municipale ratée qui a englouti des millions d’euros sous la houlette de Pascal Bolo, elle va encore descendre une marche à fin mars en évinçant ses souscripteurs inactifs.

Moneko s’apprête à faire le ménage dans ses comptes. Moneko, pour qui l’ignorerait, est une « monnaie locale complémentaire » (1 moneko = 1 euro) qui circule en Loire-Atlantique. Le système fonctionne par adhésion. Désormais, le versement d’une cotisation annuelle sera exigé. Et ceux qui détiendraient encore quelque argent en Moneko sans l’utiliser seront taxés pour « compte inactif ». Ce système qui avait pour idéal d’échapper au système bancaire se comporte comme lui.

À fin 2022, près de 2 000 adhérents particuliers étaient inscrits sur ses registres. Mais le nombre réel de cotisants n’était que de 585, soit 0,038 % des habitants de Loire-Atlantique. Ils peuvent effectuer des achats auprès d’entreprises ou de prestataires acceptant des paiements en Moneko : dans cette catégorie, on compte encore 300 inscrits, mais seulement 188 cotisants. Le nettoyage dénote un certain courage : après lui, il ne restera pas grand chose.

D’après son récit officiel, Moneko est né d’une fusion entre le Retz’L, monnaie locale du pays de Retz, et la SoNantes… SoNantes, ah ! tout s’éclaire pour les Nantais qui ont un peu de mémoire !

Ce nom reste attaché à une péripétie franchement grotesque. Ses origines remontent à 2006 : sous l’impulsion de Jean-Marc Ayrault, l’Agenda 21 de Nantes Métropole, programme d’action écologique pour le 21e siècle, prévoit la création d’une monnaie locale. Puis viennent des années de palabres et d’investigations menées par Pascal Bolo, ancien inspecteur des finances publiques et adjoint aux finances du maire de Nantes, Jacques Stern, directeur du Crédit municipal, et Massimo Amato, professeur d’histoire économique dans une université italienne, propulsé « conseiller scientifique auprès de la Ville ».

Après une longue gestation et quelques voyages d’études, en Suisse notamment, ce trio d’élite crée une monnaie complémentaire locale (MLC) dénommée Nanto, puis SoNantes. Elle est « complémentaire » car elle ne prétend pas supplanter l’euro ! Entièrement virtuelle, elle fonctionnera avec une carte magnétique. C’est son originalité, car la plupart des monnaies locales existantes ont imprimé leurs propres « billets de banque » ‑ souvent achetés comme souvenir par des touristes de passage.

Fiasco annoncé vite réalisé

Deuxième originalité : au moment où la carte SoNantes est lancée, en 2015, le porte-monnaie électronique Monéo est déjà en plein naufrage. Inexplicablement, MM. Bolo, Stern et Amato n’en tirent pas de leçon et présentent la SoNantes lors d’un grand raout dans un palace bruxellois. Ils paraissent encore nourrir de grandes ambitions pour leur système. Exprès pour lui, le Crédit municipal a créé une filiale, SoNao, qui a développé à grand frais un logiciel de gestion ad hoc, qu’on espère vendre un peu partout pour gérer d’autres monnaies locales. Sous le label de l’économie sociale et solidaire s’est glissée une bonne dose de start-up capitaliste !

Le volet social et solidaire est néanmoins assuré par une association elle aussi ad hoc, La SoNantaise, domiciliée au Crédit municipal de Nantes. Elle est chargée d’assurer la promotion de la SoNantes. Ainsi, les efforts sans but lucratif favoriseront la commercialisation du logiciel de SoNao.

Cet ambitieux projet tourne vite au fiasco. La faute à pas d’chance, comme le plaide Pascal Bolo ? Pas du tout, le projet était mal embarqué dès le départ et a accumulé les erreurs. Qui voudrait reconstituer le feuilleton retrouvera aisément ses épisodes sous le lien suivant : « Bolopoly (35) : FiascoNantes ». SoNao est dissoute en novembre 2017, après moins de trois ans d’existence. D’abord, la SoNao vend toute l’exploitation à La Sonantaise. Montant de la transaction : 521 euros. C’est tout ce que vaut désormais cette société qui a consumé l’essentiel des 2 millions d’euros investis dans le projet par le Crédit municipal !

« Ce projet n’a pas coûté le moindre centime d’argent public, puisque la monnaie est issue du capital du Crédit municipal », assure néanmoins Pascal Bolo à Presse Océan qui titre sur « le fiasco de la monnaie locale ». C’est jouer sur les mots : comme le Crédit municipal appartient à Nantes, les sommes englouties dans le projet sont bel et bien de l’argent public. De plus, les frais d’étude du projet, qui se chiffrent en centaines de milliers d’euros ont été supportés par Nantes ou Nantes Métropole. Aujourd’hui encore, Moneko ne peut fonctionner que grâce aux subventions – pardon, aux « cotisations » ‑ de ses « adhérents solidaires », au premier rang desquels Nantes Métropole, la ville de Nantes, le Crédit municipal de Nantes, Nantes Gestion Équipements, Le Voyage à Nantes et la TAN… présidée par Pascal Bolo. L’argent public demeure solidaire.

Manteau de Noë sur la Sonantaise

On tente néanmoins de brouiller les pistes en modifiant les noms. La SoNantes devient Moneko. La Sonantaise adopte un nouveau nom aussi neutre que possible : MLC44. Le Retz’L, monnaie complémentaire du Pays de Retz, qui s’était rapproché de l’initiative nantaise, disparaît dans l’aventure. L’association qui le gérait est dissoute. La marque SoNantes, déposée à l’INPI par le Crédit municipal, expirera dans quelques jours, le 17 avril 2023, à moins que quelqu’un ne se préoccupe de la renouveler d’ici là. La marque La Sonantaise, déposée par Jacques Stern au nom du Crédit municipal de Nantes, expirera le 5 décembre prochain.

Le changement de nom, d’adresse et d’objet de La Sonantaise ne sont même pas publiés au Journal officiel. Il est seulement signalé à la préfecture et au répertoire national des associations (RNA), dont la consultation n’est pas des plus faciles. C’est légal mais spécialement contestable en l’occurrence, puisque l’association a en fait changé de nature. Lors de sa création, La Sonantaise avait pour but d’« organiser le caractère participatif et citoyen de la monnaie de Nantes ; contribuer au développement de la monnaie de Nantes », etc. Aujourd’hui, MLC44 a pour objet « l’émission, la gestion et le développement de la monnaie locale complémentaire et solidaire sur le territoire de la Loire-Atlantique ». La différence n’estpas anodine : aux termes l’article L311-5 du code monétaire et financier une association ne peut émettre et gérer une MLC que si c’est son « unique objet social ».

L’échec de la SoNantes, finalement, résulte d’un constat attristant : les monnaies locales, dans le fond, tout le monde s’en fout, hormis une poignée de militants convaincus, comme au Pays basque, ou l’eusko, seule MLC prospère de France, fait rimer solidarité avec identité. C’est la chance de Pascal Bolo : ce désastre discret n’aura pas durablement terni la réputation du grand manitou des finances municipales nantaises (et futur sénateur de Loire-Atlantique ?).

Sven Jelure