Anne-de-Bretagne, deuxième pont le plus large du monde ?

Un pont, que dis-je, une péninsule… Comment dépenser un argent qu’on a pas pour sauver une idée qu’on a pas eue mais qu’on défend pour faire plaisir. Mais pour faire plaisir à qui ?

Nantes Métropole a récemment publié son projet de transformation du pont Anne de Bretagne. Ce sera un monstre de 61 m de large à l’un de ses bouts. Pas moyen de faire autrement si l’on veut que le tram passe… et pas moyen de se passer de tram si l’on veut faire le CHU.

Il a bon dos le débat. En 2015, Johanna Rolland avait invité les Métropolitains à s’exprimer sur le thème « Nantes, la Loire et nous ». L’un des quatre volets du Grand débat portait sur la mobilité et les franchissements. Sans surprise, les automobilistes, surtout ceux qui résidaient au sud de la Loire, s’étaient plaints d’avoir du mal à franchir celle-ci. Oubliant que le problème ne tenait pas au fleuve lui-même mais à leur désir de le traverser ! A fortiori quand un choix résidentiel les amenait à vouloir traverser tous en même temps aux heures de pointe.

Dès l’énoncé du Grand débat, Nantes Métropole n’envisageait pas d’autre futur qu’une augmentation permanente des besoins de franchissement, et surtout « du fait des grands projets urbains à venir », entre le pont Anne de Bretagne et le pont de Cheviré. Inviter les citoyens à s’exprimer en tenant compte de projets encore « à venir » était étrange. Mais cela revenait à flécher les propositions : si vous ne voulez pas que ça s’aggrave, réclamez des ponts.

Cela n’avait pas empêché des avis divergents, pourtant. Manifestement gênée aux entournures, la commission du débat avait bien été obligée de le signaler : « le projet du CHU sur l’Ile de Nantes questionne certains contributeurs sur l’accessibilité d’un tel équipement dont l’implantation insulaire continue d’inquiéter ». Si le franchissement de la Loire était déjà un problème et si la construction du CHU sur l’île de Nantes devait l’aggraver, la solution logique eût été de construire le CHU ailleurs. La commission était néanmoins parvenue à la conclusion souhaitée par Nantes Métropole : « devant la croissance annoncée du nombre de franchissements à court et moyen terme et l’ouverture programmée du CHU à l’horizon 2025, l’élargissement voire le doublement du pont Anne de Bretagne est à privilégier ».

Vastitude obligatoire

Sept ans plus tard, Nantes Métropole a fini par présenter un projet de transformation du pont Anne de Bretagne. La commission préconisait « l’élargissement voire le doublement » du pont ? « Le pont de 145 m de long verra sa largeur tripler jusqu’à 53 m en moyenne », annonce Johanna Rolland. Qui ajoute : « c’est l’exact équivalent du cours Saint-André ». Pas si exact, l’équivalent : si le cours mesure à peu près 53 m de large, sa longueur n’est pas de 145 m mais de plus de 200 m. Surtout, sa largeur est régulière alors que celle du pont varierait de 61 m côté nord à 48 m côté sud. Pour mémoire, elle est aujourd’hui de 18 m.

Veut-on de plus justes comparaisons ? Le pont de Cheviré n’est large que de 36 m. Le célèbre O’Connell bridge de Dublin, plus large que long, ne dépasse pas 50 m. Le pont le plus large du monde, Bay Bridge Eastern, à San Francisco, mesure 78,74 m et comprend dix voies d’autoroute. Le second du palmarès, à Boston, ne dépasse pas 55,7 m. Nantes a-t-elle le pont plus gros que le ventre ?

L’appel d’offres prévoyait un pont de 40 à 50 mètres de large. Mais les 61 m du côté nord ne sont pas une fantaisie d’architecte. À cause du tram, pas moyen de faire à moins. Le rayon minimal d’une ligne de tramway est de 25 m, or il s’agit d’avaler non pas une seule courbe à 90° mais deux ! On notera au passage que plus la courbe est serrée, plus les rails s’usent et doivent être remplacés souvent. Ce qui annonce pas mal de nuisances sur le quai de la Fosse pour les Nantais de demain. Sans parler des cyclistes qui, dans le sens Salorges vers Commerce, devront franchir pas moins de huit rails en biais au niveau du pont. Casse-gueule. Heureusement, le CHU ne sera pas très loin.

Un pont triplé pour une circulation divisée par deux

Pour le citoyen lambda, à l’époque du Grand débat, « doublement du pont Anne de Bretagne » signifiait implicitement doublement de son débit automobile. Cela aurait tenu du miracle, bien sûr, à moins de doubler aussi le quai de la Fosse. Or à l’époque, le pont comportait deux voies de circulation automobile dans chaque sens. Depuis, il est passé à deux voies dans un sens et une dans l’autre, puis, avec les « coronapistes » cyclables depuis 2020 (le covid-19 a le dos large), à une voie dans chaque sens.

Il n’est pas question de rétablir le statu quo ante : le futur pont a beau être énorme, il comprend une seule voie de circulation automobile dans chaque sens. Pour les conducteurs, en fait de doublement du pont, il y a division par deux ! Et le casse-tête du raccordement avec le quai de la Fosse et ses quatre voies de tram en courbe devrait imposer, en plus, un ralentissement du débit.

Du moins, une fois la construction achevée. En attendant, il faudra probablement passer par zéro débit. Le fait que le pont soit élargi ne signifie pas que la circulation sera maintenue sur la partie existante pendant les travaux. Car le projet prévoit de l’abaisser : toute la chaussée actuelle devra disparaître. Le chantier sera « volontairement sobre et responsable », mais ce sera quand même un chantier. Cela fait partie du prix à payer pour avoir un CHU sur l’île de Nantes. Les travaux devraient commencer au deuxième semestre 2024 pour s’achever en 2027.

Sven Jelure

Nantes Métropole : la RSE a besoin d’appui

La RSE team en pause déjeuner. Ils sont heureux au travail, mais ne savent absolument pas quel est leur rôle.

Nantes métropole recherche un prestataire pour une « Mission d’appui et de conseil auprès de la plateforme RSE de la métropole nantaise ». La RSE, la métropole investit dessus depuis longtemps. Trop longtemps peut-être.

Le sigle RSE peut signifier

  • « responsabilité sociale des entreprises »(environ 723 000 résultats sur Google)
  • « responsabilité sociétale des entreprises » (environ 571 000 résultats)
  • « responsabilité sociale de l’entreprise » (environ 493 000 résultats)
  • « responsabilité sociétale de l’entreprise » (environ 153 000 résultats)
  • « responsabilité sociétale et environnementale » (environ 76 400 résultats)

Nantes métropole le pratique en version « sociétale des entreprises ». De quoi s’agit-il ? Sur son site ad hoc, Nantes métropole a une réponse simple : la RSE, « schématiquement, c’est la contribution des entreprises au Développement Durable ». C’est aussi la définition qu’en donne Bercy.

Eh ! bien, si c’est du développement durable, pourquoi ne pas le dire ? Et si c’est l’affaire des entreprises, est-ce celle d’une collectivité locale ou d’un EPCI tel qu’une métropole ? Bien entendu, c’est un noble souci, une macédoine de bonnes intentions (« faciliter l’économie de proximité », « préserver la biodiversité », « lutter contre la précarité », « promouvoir l’égalité femmes-hommes »…), qui concerne tout le monde à des degrés divers – donc pourquoi pas AUSSI un EPCI ? – Mais si tout le monde se mêle de tout, on risque de dépenser beaucoup d’énergie sans avancer beaucoup. Or c’est bien ce qui a l’air de se passer.

Ressourcerie

La « plateforme RSE » municipale dispose d’une « équipe ressource » au sein du Service économie en transitions (SET) de la Direction économie et emploi responsable (DEER) de Nantes métropole » : responsable du service « en coordination », quatre chargés de mission, ½ temps d’assistanat/secrétariat… S’y ajoutent deux « personnes ressources » d’Audencia business school. Et surtout une « gouvernance partagée » assurée par un « meet up des ambassadeur.rice.s » [sic] réunissant soixante « têtes de réseaux » !

Bien entendu, c’est ingérable : malgré toutes ces têtes, ou plutôt à cause d’elles, il faut encore faire appel à un prestataire extérieur. Son premier rôle sera d’apporter « appui et conseil auprès de Nantes métropole dans l’animation de la gouvernance de la plateforme RSE » !

Une fois de plus, Nantes métropole a les yeux plus gros que le ventre : à force de bâtir des usines à gaz autour de sujets qu’elle maîtrise mal, elle doit appeler à l’aide des spécialistes réels ou supposés, au risque de rajouter encore de la complexité. On l’a déjà vu à maintes reprises, par exemple, voici trois mois, avec la « mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour évaluer certaines règles du Plan Local d’Urbanisme métropolitain de Nantes Métropole en faveur de la nature en ville et de la densité ».

Un fruit trop mûr

L’avenir de la RSE est incertain. Surexploité depuis une quinzaine d’années (et beaucoup plus dans sa version américaine, la « Corporate social responsibility »), ce concept flou est devenu une tarte à la crème : toutes les grandes entreprises font de la RSE. Les institutions vouées à la promouvoir se sont multipliées – la « plateforme RSE » nantaise n’en est qu’un exemple. Elles se congratulent mutuellement ; la Fondation Oïkos a décerné à Nantes métropole en 2021 le titre de métropole « la plus RSE de France ». Ça fait du bien de voir Nantes en tête ailleurs que dans les classements de la délinquance.

À force, le marché approche de la saturation. La RSE intéresse moins les conseils en management et autres gourous friands de nouveautés à vendre. The Economist a dénoncé voici quelques semaines les dévoiements de son financement. Bernard Leca, professeur à l’ESSEC, évoque « de nombreuses interrogations sur l’efficacité réelle de la RSE », en laquelle on voit parfois « un écran de fumée, dissimulant habilement la vraie nature du capitalisme d’entreprise ».

Dans l’entourage même de Nantes métropole, certains commencent à prendre leurs distances lexicales. La chaire RSE d’Audencia a été rebaptisée chaire Impact positif. Et André Sobcak, « monsieur RSE » à la fois chez Audencia et à Nantes métropole (il en était vice-président), a pris la tangente : en juin dernier, il a démissionné de ces postes pour devenir permanent d’Eurocities, lobby des grandes villes, à Bruxelles.

Nantes métropole a beaucoup investi sur le sigle RSE depuis douze ans (colloques, site web, voyages d’étude…). Il serait dommage que tant d’efforts se trouvent ringardisés. Après tout, embaucher un prestataire extérieur qui pourrait éventuellement servir de bouc émissaire, devenir celui sur qui on appuie après avoir été celui sur qui on s’appuie, n’est peut-être pas une si mauvaise idée.

Sven Jelure

Gérer l’Arbre aux Hérons : un exploit plus encore qu’une exploitation

Car il a vraiment l'air dubitatif ce héron. La CCI Nantes-Saint-Nazaire chercherait à communiquer à moindre frais qu'elle ne s'y prendrait pas autrement.

La Chambre de commerce et d’industrie (CCI) Nantes-Saint-Nazaire « a décidé, à l’unanimité, d’investiguer la possibilité et les conditions d’une réalisation [du projet d’Arbre aux Hérons] par des financements privés ». En quatre ou cinq ans, le secteur privé a été incapable de financer plus de 7,5 % du projet (6 millions d’euros sur 80 millions) comme l’y invitait Johanna Rolland ? Eh ! bien, on va lui demander d’en financer 100 % ! Telle est l’idée audacieuse du président de la CCI.

Yann Trichard, dont l’entreprise ne figure pas parmi les soixante mécènes actuels de l’Arbre, est l’auteur de la formule fameuse : « L’Arbre aux hérons sera à Nantes ce que la Tour Eiffel est à Paris ». Un cliché absolu, utilisé à tort et à travers dans le monde entier. J’en ai donné jadis quelques exemples étonnants (« La Tour Eiffel est à tout le monde »). Une recherche Google sur « ce que la Tour Eiffel est à Paris » (avec les guillemets) retourne aujourd’hui 22.000 résultats, plus 5.670 pour « ce qu’est la Tour Eiffel à Paris et même 18.200 pour « What the Eiffel Tower is to Paris » !

L’Arbre aux Hérons n’est pas mal placé dans la liste actuelle des comparaisons. Il vient même en troisième place, après « l’Atomium est à Bruxelles ce que la Tour Eiffel est à Paris » et « le Merlion est à Singapour ce que la Tour Eiffel est à Paris », précédant la Tour Hassan/Rabat et La Banque/Sancerre.

Sur le plan métaphorique, c’est tentant. Sur le plan économique, un peu moins. À l’échelle des agglomérations, cela voudrait dire environ 440.000 visiteurs par an (pas loin de 7 millions pour la Tour Eiffel), soit nettement moins que les 500.000 annoncés par MM. Orefice et Delarozière, et qui pourtant devaient laisser 15 % de déficit d’exploitation.

En réalité, la comparaison est difficile à soutenir. La Tour Eiffel, qui a longtemps été la plus haute construction du monde, offre une vue panoramique sur l’une des plus grandes capitales du monde. À 35 mètres de hauteur, contre 57 pour le premier étage de la Tour Eiffel, la plate-forme supérieure de l’Arbre aux Hérons ne permettrait pas de voir au-delà de la butte Sainte-Anne, 38 mètres. Resterait une belle vue sur la Loire, Trentemoult et le Bas-Chantenay : est-ce assez pour attirer des visiteurs du monde entier ?

Héroïques héronautes

On se représente difficilement les conditions d’exploitation de l’édifice. L’ascenseur pour le sommet a disparu du projet présenté l’an dernier : les amateurs de vol à dos de héron devront d’abord affronter un escalier métallique de 173 marches, soit la hauteur d’une dizaine d’étages. L’escalier construit par François Delarozière dans le Jardin extraordinaire en compte 177. Mais on peut y accéder directement par en haut… Idem pour les 54 marches du passage Pommeraye.

Le projet a été réduit à un seul héron volant, au lieu des deux prévus à l’origine. Il est censé transporter dix-huit personnes : douze dans des nacelles sous ses ailes et six sur son dos. Deux niveaux d’accès, donc, qui imposeront la présence permanente de deux surveillants chargés de vérifier le bon accrochage des ceintures de sécurité. Compte tenu du temps nécessaire pour les embarquements/débarquements, il n’y aura pas plus de cinq à six vols par heure, admettait Pierre Orefice, et cela paraît déjà optimiste. Le Héron baladerait donc au grand maximum 108 personnes par heure, contre 150 pour le Grand éléphant des Machines de l’île.

Le Grand éléphant assure à ses passagers une protection élémentaire contre les intempéries. Pas l’Arbre aux Hérons. Subir des giboulées dans ses nacelles d’osier sera sûrement une expérience intéressante. Tout comme la balade sur des planches mouillées entre des rameaux dégoulinants secoués par les rafales. Fatalement, les interruptions de service pour cause de pluie ou de vent seront nombreuses. Quant aux canicules, elles imposeront probablement la fermeture de l’Arbre. Le toboggan du Voyage à Nantes a souvent été fermé pour cause d’échauffement du métal, alors qu’il était accroché à la façade nord du château et non exposé en plein soleil toute la journée dans une carrière où la température est réputée supérieure de 2 à 4 degrés à celle des environs. Et, pour le visiteur, il ne s’agirait pas de glisser en bas d’un toboggan mais de gravir 173 marches ! De quoi risquer le coup de chaleur. Pour parer aux risques juridiques, l’exploitant de l’Arbre ferait bien de réclamer un certificat médical aux hardis héronautes.

Les conditions seront rudes aussi pour les machines exposées sur l’Arbre. Quelle sera l’espérance de vie de ces mécaniques délicates une fois sorties de la Galerie des machines ? L’exemple de celles de La Roche-sur-Yon, pourtant conçues pour être amphibies, n’incite pas à l’optimisme. Les frais d’entretien pourraient monter vite.

Quant au « financement privé », il n’aurait a priori aucune raison de bénéficier du statut du mécénat, qui permet aux entreprises de ne supporter que 40 % du coût de leurs dons. La douloureuse montera sensiblement. Mais après tout, la Chambre de commerce et d’industrie rassemble des gestionnaires qui savent ce que signifient compte d’exploitation, fiche de salaire et police d’assurance. Confiance, donc.

Sven Jelure

Quelques questions « bonus » sur l’Arbre aux Hérons

Le financement du projet d'arbuste au rouge-gorge serait déjà bouclé grâce à la revente du prototype à une société de nettoyage en Floride

Johanna Rolland a annoncé le 15 septembre l’abandon du projet d’Arbre aux Hérons. La bouture cultivée depuis 2004 est mise au rancart. Nous avons déjà souligné la bizarrerie du moment choisi et des surcoûts annoncés. Mais l’épisode laisse aussi en suspens bon nombre d’autres questions plus ou moins cocasses, qui invitent à raisonner par l’absurde. En voici quelques-unes.

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À quel moment l’abandon du projet aurait-il dû être annoncé ?

Essai de réponse : Quand l’acier a pris 56 %, c’est-à-dire jamais.

Johanna Rolland, on l’a dit, aurait pu annoncer l’abandon du projet bien avant le 15 septembre. À cette date, elle a excipé de deux raisons : l’obligation de passer des marchés publics ouverts, qui aurait coûté 13 millions d’euros, et l’inflation. Plus précisément, elle a déclaré : « la situation internationale et notamment la guerre en Ukraine a entraîné une augmentation du coût de l’acier de 56 %. Ça plus l’inflation, ça représente une inflation de 15 millions. »

Au 9 juillet 2021, lorsque le projet a été officiellement présenté et évalué à 52,47 millions d’euros, l’acier était coté 1 780 dollars la tonne au NYMEX. Une augmentation de 56 % l’aurait amené à près de 2 777 dollars. Après avoir atteint un pic vers 1 940 dollars la tonne en septembre 2021 (+ 9 %), il était tombé à 975 dollars juste avant la guerre en Ukraine. Après un court rebond en avril-mai, il en était à 800 dollars, soit à peu près autant en euros, le 15 septembre 2022 lors de l’abandon du projet.

D’où cette question « bonus » corollaire : Où donc Johanna Rolland achète-t-elle son acier ? Pas de réponse à ce jour.

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En dehors de l’acier, quel aurait été le surcoût dû aux autres fournisseurs ?

Essai de réponse : au moins 14 millions, soit + 26,7 %.

Selon Johanna Rolland, le dérapage du budget de l’Arbre a pour premier coupable le prix de l’acier. La présentation du projet d’Arbre aux Hérons publiée le 9 juillet 2021 indiquait : « il pèse plus de 1 000 tonnes ». Ce n’est pas très précis, et puis l’Arbre ne devait pas contenir que de l’acier mais aussi du bois, du béton, des câblages, etc. Retenons néanmoins 1 000 tonnes d’acier à 1 780 dollars la tonne, soit 1,78 millions de dollars.

Le coût de l’Arbre était alors arrêté à 52,47 millions d’euros. L’acier représentait donc 3,4 % de son coût. Compte tenu de sa baisse intervenue depuis lors, il coûterait aujourd’hui moins de 1 million de dollars – ou à peu près autant en euros. Le prix de l’acier intervient, littéralement, pour moins que rien dans la hausse du coût de l’Arbre, puisqu’il baisse !

Néanmoins, supposons un instant que l’acier, au lieu de baisser, ait gagné les 56 % allégués par Johanna Rolland. Il en serait à 2,78 millions d’euros. Le coût officiel passerait de 52,47 millions d’euros à 53,47 millions d’euros. L’acier en représenterait 5,2 %.

Cela signifie que les 15 millions d’augmentation du budget invoqués par la maire de Nantes seraient imputables aux autres fournisseurs (dont La Machine) à hauteur de 14 millions d’euros. Soit une inflation, hors acier, de 26,7 % par rapport aux 52,47 millions annoncés en juillet 2021.

D’où cette question « bonus » corollaire : Quels fournisseurs augmentent leurs prix de 26,7 % en quatorze mois ? Pas de réponse à ce jour.

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Qu’aurait coûté l’entretien de l’Arbre aux Hérons ?

Essai de réponse : 18,2 millions d’euros en onze ans.

Nantes métropole a voté l’an dernier un budget de 0,915 million d’euros pour une rénovation du Carrousel des mondes marinsdix ans après sa mise en service. C’est près de 10 % de son coût de construction. À l’aune de cette dépense, on obtiendrait pour l’Arbre aux Hérons environ 5 millions si l’on se base sur le budget initial, ou près de 8 millions si l’on se base sur la révision de Johanna Rolland.

Mais la comparaison n’est pas judicieuse. Le Carrousel, bien moins exposé aux intempéries que l’Arbre aux hérons, exige forcément moins d’entretien. Bien meilleure est la comparaison avec les treize animaux mécaniques de la place Napoléon à La Roche-sur-Yon, également conçus par François Delarozière et construits par La Machine. Leur entretien occupe trois personnes en permanence depuis onze ans. Hélas, « les soins quotidiens prodigués par les « vétérinaires » des animaux –  une équipe d’agents d’entretien de la Ville au service de la place Napoléon – ne suffisent plus » (Le Journal du Pays yonnais, 30 septembre 2022). La ville vient donc de commander – à La Machine, bien sûr – des travaux de rénovation. Coût : 1,3 million d’euros, soit 54 % de ce qu’avait coûté la construction (2,4 millions d’euros).

Si l’on extrapole à l’Arbre aux Hérons, on parvient à 28,3 millions d’euros (54 % de 52,47 millions), ou après inflation à 43,5 millions (54 % du coût révisé par Johanna Rolland). Mais il est vrai que l’Arbre aux Hérons est une structure plus complexe. On pourrait alors raisonner d’après le nombre de machines à entretenir : treize pour La Roche-sur-Yon, plus de trente pour l’Arbre. Soit, à raison de 100.000 euros l’unité, plus de 3 millions d’euros. Prenons la moyenne des deux approches, en nous contentant des 52,47 millions du devis d’origine. Résultat : environ 16 millions d’euros. Auxquels il faut ajouter les vétérinaires des animaux, par principe deux fois plus nombreux à Nantes qu’à La Roche-sur-Yon puisqu’il faut entretenir plus de trente mécaniques au lieu de treize : environ 200.000 euros par an. Soit au total une dépense moyenne annuelle d’environ 1,65 million d’euros pendant onze ans.

D’où cette question « bonus » corollaire : Par quels mécènes Nantes Métropole comptait-elle faire financer 1/3 de cette dépense supplémentaire ? Pas de réponse à ce jour.

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Combien de jours par an l’Arbre aux Hérons n’aurait-il pu ouvrir pour cause d’intempéries ?

Essai de réponse : au moins une centaine.

Les promoteurs de l’Arbre aux Hérons avaient invité le public à assister à un démonstration du prototype de héron près des Nefs de l’île de Nantes. Ils y ont vite renoncé : « Hélas, les conditions météorologiques annoncées pour ce samedi 1er octobre, avec notamment de fortes rafales de vent, nous contraignent à reporter ces test à vue et ce moment de partage avec les nantais et le public de La Machine. » Les rafales, selon Météo France, pouvaient atteindre 45 km/h.

Or il s’agissait de tests au sol. On imagine ce qui se passerait à 45 m de hauteur. Quarante-sept jours par an en moyenne (statistiques météo de 1981 à 2010), des rafales d’au moins 57 km/h soufflent à Nantes. On peut sans doute tabler sur une centaine de jours par an pour les rafales d’au moins 45 km/h.

Il faut compter aussi avec les jours de grande chaleur. L’INRS recommande de fermer les entreprises quand la température dépasse 33°C. Le danger peut venir aussi du métal chauffé. Pour éviter les brûlures, Paysage glissé, le toboggan en acier installé de 2017 à 2021 par Tact Architectes et Tangui Robert sur un rempart du château des Ducs de Bretagne, fermait quand la température du métal atteignait 42°, ce qui n’était pas rare. Pourtant, il était tourné vers le Nord. L’Arbre aux Hérons, lui, aurait été entièrement exposé au soleil au Sud et à l’Ouest. Il est probable que son escalier de 173 marches aurait souvent été condamné en été pour éviter des coups de chaleur (avec intervention des pompiers à pied dans les hauteurs).

Enfin, il y a la pluie, plus fréquente que les vents violents et les canicules. Les Nantais y sont résistants, mais il y a des limites. L’Arbre aux Hérons est toujours représenté sous le soleil, mais voyons la réalité en face : les jours de grosses averses, il aurait sans doute été déserté.

Au total, il est difficile de dire combien de jours en moyenne annuelle ces intempéries auraient obligé l’Arbre à fermer (et les visiteurs à repartir déçus), mais cent jours par an paraît un minimum.

D’où cette question « bonus » corollaire : Nantes Métropole comptait-elle prendre en charge le manque à gagner dû à ces jours de fermeture ? Pas de réponse à ce jour.

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À quand la réunion publique prévue au pied du prototype de héron est-elle remise ?

Essai de réponse : aux calendes grecques.

« Ce n’est que partie remise, nous allons prochainement vous donner un nouveau rendez-vous pour ce moment joyeux et haut perché », assuraient François Delarozière, Pierre Orefice et la compagnie La Machine en annonçant que leur démonstration du 1er octobre n’aurait pas lieu pour raison météorologique. Leur communiqué était publié sur le site web du Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons, pourtant créé par Nantes Métropole : de quoi mettre Carine Chesneau et Karine Daniel, président et déléguée générale du Fonds, en porte-à-faux vis-à-vis de Johanna Rolland.

Peut-être les rafales de vent n’étaient-elles qu’un prétexte. Le statut du héron prototype est douteux. Pendant sa construction, il appartenait à La Machine. Puis, après son achèvement sa propriété devait être transférée à Nantes Métropole… en principe le 30 septembre 2021 ! Vu le retard pris par La Machine, il a fallu apporter différents avenants au contrat entre ces trois acteurs. Le départ du prototype, notamment, a été repoussé au 31 août 2022, puis au 31 mars 2023.

Un contrat signé entre Nantes Métropole, La Compagnie La Machine et la SPL Le Voyage à Nantes fixe les conditions du séjour du prototype sur le parc des Chantiers. Le conseil métropolitain des 29 et 30 juin 2022 a validé une modification de ce contrat pour aller jusqu’à fin mars 2023. L’assurance (pour une valeur de 2,88 millions d’euros), le gardiennage et le nettoyage du prototype sont confiés au Voyage à Nantes, c’est-à-dire aux Machines de l’île. En dehors de ces missions, et sauf danger imminent, Le Voyage à Nantes n’a pas le droit d’intervenir sur le héron. Ses mises en mouvement à fins d’essais ou de présentation sont réalisées par La Machine, qui doit assurer sa propre responsabilité civile.

Cependant, « à compter du 1er octobre 2021, aucune mise en mouvement du Grand Héron ne pourra avoir lieu sans autorisation/validation préalable de son propriétaire, Nantes Métropole ». Il est même prévu que « toute autorisation de ce type et toute mise en mouvement et/ou intervention de La Machine sur le Grand Héron devra, a minima, être actée par écrit (y compris par mail). Ces autorisations devront indiquer la ou les date(s) ainsi que les horaires pendant lesquels La Machine aura à accéder au Grand Héron. » La Machine n’a même pas le droit de communiquer à propos du prototype, sauf pour dire où il se trouve. La confiance règne !

Ces signes de suspicion donnent à penser que, à fin juin dernier, si l’interruption volontaire de héron n’était pas encore arrêtée, les choses n’allaient pas au mieux entre Nantes Métropole et La Machine. Et l’on imagine mal que Nantes Métropole ait accepté la démonstration prévue le 1er octobre, ouvertement destinée à critiquer sa décision d’abandonner le projet. Le « moment joyeux et haut perché » ne devrait donc pas avoir lieu.

D’où cette question « bonus » corollaire : Se pourrait-il qu’une négociation en coulisse, assortie de quelques arguments sonnants et trébuchants, apporte un apaisement ? Pas de réponse à ce jour.

Sven Jelure

De l’Arbre aux hérons à l’Arbre aux goujats

Qui sont les vrai perdants de l'abandon de l'Arbre aux hérons ? Qui sera le grand gagnant ? Etc.

Le moment choisi par Johanna Rolland et Fabrice Roussel pour condamner l’Arbre aux Hérons surprend. Les raisons invoquées auraient pu l’être depuis des mois. Pourquoi avoir attendu la  mi-septembre 2022 pour annoncer sans préparation une décision dont la brutalité traumatise les acteurs du projet ?

Pourquoi donc Johanna Rolland et Fabrice Roussel ont-ils attendu la mi-septembre 2022 pour annoncer que l’Arbre aux Hérons coûterait trop cher ? Porté à 80,4 millions d’euros au lieu de 52,4, son budget serait (1) trop élevé pour que les mécènes en supportent un tiers, (2) incompréhensible du commun des mortels.

Les mécènes n’allaient pas non plus supporter un tiers de 52,4 millions d’euros. On le sait au minimum depuis que le Fonds de dotation a arrêté ses comptes au 31 décembre dernier. Il n’était pas besoin d’attendre huit mois et demi pour s’en apercevoir.

Par ailleurs, 52,4 millions d’euros sont aussi incompréhensibles que 80,4 pour la plupart d’entre nous. Si l’on est partant pour 52,4 on l’est pour 80,4. Imaginez que vous gagnez 52,4 millions d’euros au Loto. Puis imaginez que vous gagnez 80,4 millions. Est-ce que ça fait une vraie différence pour vous ? Dans les deux cas c’est… beaucoup d’argent. Il n’était pas besoin d’attendre quatorze mois pour s’en apercevoir.

Enfin, on l’a dit, le calcul des 80,4 millions d’euros est loufoque. Il ne l’aurait pas été autant voici quelques mois, quand les cours mondiaux de l’acier étaient à leur sommet. Depuis lors, ils ont beaucoup baissé.

Comme des laquais

D’où ma question : pourquoi Johanna Rolland et Fabrice Roussel ont-ils attendu la mi-septembre pour afficher un raisonnement qui était moins faux en mai ? On eût compris qu’ils prissent leur temps pour préparer les esprits, amortir la déception des aficionados de l’Arbre, faire comprendre aux protagonistes du dossier que c’était fichu. Mais ce n’était pas du tout ça.

La douloureuse surprise de Pierre Orefice et de François Delarozière ne semble pas feinte : ils n’ont été prévenus qu’à la dernière minute. Carine Chesneau, présidente du Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons depuis janvier dernier, n’a été informée que quelques heures à l’avance. Idem pour le « groupe politique transpartisan » chargé d’étudier le dossier au sein du conseil communautaire, a été réuni à 9 heurespour apprendre une décision annoncée à 11 heures. Pas un message n’a été adressé aux 5 511 donateurs qui ont soutenu le projet sur Kickstarter.

Cette attitude paraît beaucoup plus incompréhensible qu’un budget de 80,4 millions d’euros. Même si le projet était mauvais, ses auteurs ont mouillé le maillot depuis vingt ans avec l’approbation et les hommages des dirigeants municipaux. On ne traite pas les gens comme ça. Ce n’est pas parce que Nantes Métropole leur a accordé de généreux contrats qu’il faut les congédier comme des laquais. Carine Chesneau, patronne d’une grande entreprise nantaise, y croyait vraiment. « Ce projet nous parle, il y a un lien avec notre propre histoire », déclarait-elle lors de son élection à la tête du Fonds de dotation ; « mon rôle, c’est de convaincre les entreprises que ce projet est vraiment chouette, y compris en termes de réseau ». Et la voilà obligée de téléphoner précipitamment aux soixante mécènes pour leur annoncer qu’ils se sont fait avoir. On imagine la tête des patrons d’ACM Ingénierie et de Global Sportswear Services, qu’elle a convaincus de se jeter dans la gueule du loup respectivement en juin et en août. Pas vraiment bon pour le relationnel « en termes de réseau » !

Même si Johanna Rolland et Fabrice Roussel ont eu besoin de quelques mois pour comprendre la situation et arrêter leur décision, pourquoi n’avoir pas attendu quelques jours de plus pour l’annoncer ? Cela aurait permis de mettre un peu d’huile dans les rouages. Quand on a procrastiné pendant des mois, on n’en est plus à une semaine près !

À moins qu’il n’y ait eu quelque élément d’urgence dans ce dossier, une raison grave, impérieuse, qui imposait d’accélérer le rythme au point d’oublier la simple politesse ? Le saura-t-on jamais ?

Sven Jelure

Les mystérieux surcoûts de l’Arbre aux Hérons inventés par Johanna Rolland

Tout ce que je dis trois fois est vrai. D'après les économistes de Nantes métropole, le coût du CHU devrait être supérieur à deux milliards d'euros.

À en croire Johanna Rolland et Fabrice Roussel, l’Arbre aux Hérons est abandonné à cause d’un surcoût. Aux 52,4 millions d’euros H.T. annoncés le 9 juillet 2021 s’ajouteraient 13 millions à cause de l’obligation de passer des marchés publics et 15 millions à cause de l’envolée du prix de l’acier. Total, donc, 80,4 millions d’euros.

Or, publié pourtant sur le site de Nantes Métropole, le calcul de l’augmentation du coût est carrément bidon. Cela saute pourtant aux yeux dès qu’on se penche dessus.

Passer des marchés publics au lieu d’une seule commande provoquerait « un renchérissement important du projet, de l’ordre de plus de 13 millions d’euros », assure la maire de Nantes. Comment le sait-elle ? La réponse est simple : elle n’en sait rien. Des essaims d’économistes ont étudié les coûts de transaction sans parvenir à une conclusion définitive. La maire de Nantes prétend néanmoins évaluer un surcoût avec un degré de précision inférieur au million d’euros (« de l’ordre de plus de »).

Un surcoût de 13 millions d’euros sur un budget de 52,4 millions, c’est plus 24 %. Énorme ! Mais les marchés publics ne porteraient pas sur 52,4 millions d’euros ! Dans le budget présenté par Johanna Rolland le 9 juillet 2021, « la part la plus importante (est) la conception et la réalisation de l’Arbre pour 39,611 M€ ». Le surcoût dû aux marchés publics serait donc de presque 33 % : encore plus énorme !

On admire la précision à 1 000 euros près de l’évaluation de juillet 2021. Mais elle n’est pas si étonnante. En 2018, Nantes Métropole a confié au groupement La Machine-Pierre Orefice-François Delarozière une « étude de définition du projet d’arbre aux Hérons permettant de confirmer sa faisabilité dans le respect des contraintes du site retenu, du coût d’opération défini et des contraintes réglementaires ». Pas le genre de travail qu’on fait sur un coin de nappe en papier : le budget était de 2 575 000 euros HT. C’est cette étude qui a permis ensuite de fixer le coût de 52,4 millions. Pour y parvenir, MM. Orefice et Delarozière ont nécessairement demandé des devis aux entreprises pressenties. Leur dossier de presse de juillet 2021 annonçait d’ailleurs que 90 % des entreprises retenues étaient régionales. Autrement dit, ils savaient déjà qui pourrait faire le travail et ils avaient été capables de spécifier le travail à effectuer.

Le meilleur moyen pour savoir : essayer

Ainsi, tous les éléments nécessaires pour établir les avis de marché, y compris même des prix de référence, sont déjà disponibles. Il ne reste qu’à les gérer. Nantes Métropole lance des marchés publics tous les jours ou presque. Elle sait ce que cela coûte et elle a du personnel ad hoc. Supposer que la procédure coûterait 13 millions d’euros, c’est estimer que son service des marchés publics serait considérablement moins efficient que le groupement La Machine-Orefice-Delarozière. Voilà qui est fort désobligeant pour les fonctionnaires de Nantes Métropole. À moins bien sûr – hypothèse d’école ‑ de supposer que les marchés publics seraient truqués et artificiellement gonflés. Mais l’hypothèse la plus plausible reste quand même que Johanna Rolland a tout simplement inventé ces 13 millions pour les besoins de la cause.

Il y aurait pourtant un moyen simple pour vérifier : lancer effectivement des appels d’offres assortis de prix plafonds. On verrait bien si les entreprises en situation de concurrence sont incapables de faire des économies sur les prix convenus entre elles et les créateurs de l’Arbre.

On pourrait même lancer un seul appel d’offres : Nantes avait pu freiner le dérapage des coûts du musée d’arts en s’adressant à un unique opérateur. Ainsi fait-on régulièrement pour construire des bâtiments publics. Ici, il ne serait sûrement pas trop difficile de confier la conception à MM. Orefice et Delarozière, tenant le rôle de l’architecte, puis de publier un avis de marché portant sur l’ensemble de la construction, avec un montant maximum conforme au budget de juillet 2021.

Et là, je prends les paris : la première offre reçue sera signée du groupement La Machine-Pierre Orefice-François Delarozière. Je parie même sur le prix final résultant de sa proposition : 52,4 millions d’euros hors taxes.

L’acier en chute

Mais non, s’insurgeront les rollandophiles, vous oubliez l’autre volet du calcul du surcoût : « la hausse des coûts de la construction ». Elle existe. Pour tout le monde. Le prix du nouveau CHU va sûrement augmenter : va-t-on cesser de le construire pour autant ? Les salaires des fonctionnaires vont augmenter : va-t-on les licencier ?

L’inflation affecterait bien sûr les dépenses à venir, pas celles qui ont déjà été faites. Sur les 52,4 millions prévus, 8,6 millions ont déjà été dépensés. Avec ses 15 millions, Johanna Rolland prévoit donc une hausse de 34,2 % sur les 43,8 millions restants. On confine à l’hyperinflation, là. C’est que, fait valoir la maire de Nantes, l’Arbre aux Hérons serait spécialement impacté à cause « en particulier du prix de l’acier qui a bondi de près de 56 % ». Mais 56 % entre quand et quand ? Implicitement, on suppose que c’est entre le 9 juillet 2021, annonce d’un Arbre aux Hérons à 52,4 millions d’euros, et le 15 septembre 2022, annonce de son abandon.

Les cours mondiaux de l’acier sont volatils. Globalement, le prix de l’acier a progressé de juillet 2021 au mois de mai dernier, puis a fortement chuté. Résultat, entre la fin août 2021 et la fin août 2022, il a perdu 26 %. Aujourd’hui, l’acier vaut moins cher que lorsque le prix de 52,4 millions a été annoncé ! À ce jour, ce n’est pas un surcoût de 15 millions d’euros que la maire de Nantes devrait prévoir, mais peut-être bien une baisse de quelques millions. Finalement, MM. Orefice et Delarozière pourraient même s’offrir le luxe de présenter une offre à 52 399 999 euros !

Sven Jelure

L’Arbre aux Hérons était « trop », mais par rapport à quoi ?

Trop, c'est trop ! Il y avait aussi « Bien, c'est bien », « Chaud, c'est chaud ou « Cher, c'est cher. Etc.

« Avec Fabrice Roussel, premier vice-président de Nantes Métropole, il nous apparaît aujourd’hui qu’un projet d’Arbre aux hérons à 80 millions d’euros, c’est trop » : par cette phrase reprise sur le site web de Nantes Métropole, Johanna Rolland a signé l’acte de décès de l’Arbre aux Hérons. Sa déclaration restera dans les annales de la langue de bois.

Certes, 80 millions d’euros, c’est beaucoup d’argent. Mais pourquoi est-ce « trop » ? La maire de Nantes en donne deux explications.

Voici la première : « Trop parce que ce montant ne permet à l’évidence pas de respecter le principe fondamental d’un financement en trois tiers que j’ai toujours fixé et ainsi de respecter la crédibilité de la parole publique. » Mais à 52,4 millions d’euros, et même à 35 millions comme annoncé par le conseil métropolitain du 17 février 2017, respecter ce « principe fondamental » était déjà mission impossible. C’était déjà inscrit « à l’évidence » dans les comptes du Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons au 31 décembre 2021. Et en réalité, ça l’était déjà dans ses comptes au 31 décembre 2019. Avoir attendu la mi-septembre 2022 a-t-il renforcé la « crédibilité de la parole publique » ?

La deuxième explication du « trop » est encore plus sibylline : « Un tel projet à 80 millions d’euros ne nous apparaît pas compatible avec ce qui doit être engagé, avec ce qui peut être compris ». En quoi un Arbre aux Hérons à 52,4 millions était-il plus « compatible » qu’un Arbre à 80 millions ? En quoi était-il plus compréhensible ? À 52,4 millions, c’était « un investissement tout à fait raisonnable », assurait Fabrice Roussel sur le site de Nantes Métropole. En octobre dernier, il avait justifié ce « raisonnable » en proposant à Ouest-France une référence parlante :  « À titre de comparaison, la rénovation du musée d’arts de Nantes a coûté près de 90 millions d’euros ». Eh ! bien, quoi ? À 80,4 millions, on en est encore loin !

Mieux même, la différence entre les 52,4 millions d’euros prévus encore la semaine dernière et les 80,4 millions d’aujourd’hui est bien inférieure à la différence entre les 34,6 millions d’euros prévus pour le musée d’arts et les 88,5 millions qu’il a finalement coûtés ! Une dépense que Nantes Métropole n’a jamais qualifiée de « pas compatible avec ce qui doit être engagé »

Décidément, la logique de « ce qui peut être compris » paraît tout à fait incompréhensible. Elle l’est pourtant bien davantage que les « raisons » qui portent le coût de l’Arbre de 52,4 millions à 80,4 millions d’euros. Sur lesquelles on reviendra bientôt.

Sven Jelure

Johanna Rolland, chiche que vous osez quand même construire l’Arbre aux Hérons !

Johanna va annoncer le lancement du projet d'arbuste au rouge-gorge. Une nouvelle idée plus en rapport avec les moyens collectés par le fonds de dotation.

« Le projet d’Arbre aux Hérons est sur le point d’être abandonné », annonce Presse Océan ce matin. Johanna Rolland s’inquiéterait de son coût et des réticences du préfet. En réalité, la décision n’a que trop tardé et semble déjà prise implicitement depuis un bout de temps.

Johanna Rolland avait posé le principe : pour que l’Arbre aux Hérons se fasse, un tiers de son coût devait être couvert par le secteur privé. Ce coût était évalué 52,4 millions d’euros à la mi-2021. Le Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons, chargé de la collecte auprès des mécènes et donateurs particuliers, doit donc trouver près de 17,5 millions d’euros. Une somme pas si énorme finalement puisque compensée à 60 % par des baisses d’impôt. Mais les mécènes ne se sont pas précipités pour soutenir un projet boiteux.

À fin 2021, nous l’avons dit, la situation financière du Fonds paraissait franchement mauvaise. Voici le niveau des fonds collectés depuis l’origine :

2017 2018 2019 2020 2021 Total
Collecte 45 000 809 708 2 603 470 751 868 771 371 4 981 417

Les cinq millions collectés paraissaient déjà assez décevants. Ils représentaient à peine 30 % de la somme à fournir. Et ce n’était que sur le papier, car la réalité est pire. À fin 2021, après plus de quatre ans d’existence, le Fonds n’avait fourni à Nantes Métropole que 2,8 millions d’euros, soit moins d’un sixième de la somme attendue. Il disposait aussi de 0,9 million d’euros de trésorerie en attente de transfert. Mais presque 30 % de sa collecte (1,4 million d’euros) n’était faite que de créances : les mécènes avaient promis de donner mais n’avaient pas encore versé l’argent. Peut-être voulaient-ils voir du concret avant de payer !

Or du concret, à présent, il y en a : depuis la mi-2021, l’Arbre aux Hérons a un début de réalité. Un prototype de héron mécanique est visible à côté des Machines de l’île. Pourtant, les dons n’ont pas augmenté, au contraire. En 2022, à ce jour, le Fonds de dotation n’a déniché que huit nouveaux mécènes – un par mois donc : GSF Propreté & services, Goubault imprimeur, Zen Organisation, 2A Organisation, Urbanne Magazine, ACM Ingénierie, Groupe Lambert et GSS Global Software Services. Encore l’un d’eux, Groupe Lambert, remplace-t-il en fait un mécène déjà présent antérieurement, Lambert Manufil (dont la PDG est aussi présidente du Fonds). Il semble par ailleurs que des mécènes aient retiré leur soutien. Le 22 novembre 2021, et à nouveau le 4 janvier 2022, sur sa page Facebook, le Fonds remerciait les « 58 entreprises (…) qui accompagnent ce projet ». Il devrait donc en être aujourd’hui à 65. Or il n’en affiche que 60.

Le Fonds de dotation en manque de fonds

Les mécènes ne sont pas tous égaux. Ils sont répartis en quatre catégories selon le montant de leur engagement :

Don minimum Nombre de mécènes
Héron impérial 500 000 2
Héron Goliath 200 000 6
Grand héron : 50 000 28
Héron cendré 5 000 24

Parmi les mécènes inscrits depuis le début 2022, en huit mois et demi donc, ne figurent que trois Grands hérons et cinq Hérons cendrés. Leur engagement collectif minimum s’élève ainsi à 175 000 euros – voire 125 000 euros si l’on exclut Lambert Manufil. Au rythme des années précédentes, on aurait dû plutôt se situer autour de 500 000 euros. À ce rythme, les 17,5 millions d’euros demanderaient des dizaines d’années.

Les recettes du Fonds baissent mais rien n’indique que ses dépenses de fonctionnement en font autant. Elles sont de l’ordre de 300 000 euros par an. En 2020 et 2021, environ 40 % des sommes allouées par les mécènes ont servi en réalité à faire fonctionner la structure dirigée par l’ancienne députée socialiste Karine Daniel. Si le Fonds n’a pas réduit drastiquement ses besoins, il est probable qu’il consomme maintenant à lui seul tout l’argent que les mécènes croient donner à l’Arbre.

Karine Daniel baisse les bras

Ce qui soulève un problème juridique. Les statuts du Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons et du Jardin extraordinaire imposent à son conseil d’administration de déterminer « le taux de prélèvement des sommes collectées, destiné à couvrir les frais de gestion et de fonctionnement du fonds ». On imagine mal qu’il ait fixé ce taux à 100 % ! Et il est déjà étonnant qu’il l’ait fixé à 40 %. C’est probablement le cas, pourtant, car devant l’importance du taux de prélèvement dans les comptes de 2020 et 2021, le préfet de Loire-Atlantique s’est certainement assuré, comme la loi le prévoit, qu’il ne constitue pas un dysfonctionnement grave…

Mais pour 2022, si Karine Daniel ne trouvait pas de nouveaux mécènes d’urgence, c’était le crash assuré. D’autant plus que Nantes Métropole doit impérativement veiller à ce que le fonctionnement du Fonds soit irréprochable : après la mésaventure du fonds de dotation de La Folle Journée, de nouveaux écarts feraient vraiment désordre.

Mais au lieu de redoubler d’efforts, le Fonds semble avoir baissé les bras, et depuis un moment. Il a cessé de publier ses « chapitres » semestriels sur les progrès de l’Arbre aux Hérons à l’intention des donateurs. Son site web n’est mis à jour qu’a minima. La seule « Actualité » indiquée en 2022 remonte au mois de mai. Sa version anglaise, qui annonce toujours un « opening in 2023 » paraît quasiment abandonnée depuis mars 2021 – hormis les statistiques de la page d’accueil, mises à jour automatiquement depuis la V.F. Sa page Facebook n’a plus qu’une activité ralentie depuis le mois de mars : aucune publication à ce jour en septembre, trois en août, deux en juillet (contre sept en septembre, sept en août et onze en juillet l’an dernier).

Quant au héron prototype qui devait servir à réaliser des essais en public tout au long de l’été 2021 (oui, bien 2021), il paraît abandonné depuis des mois. Nantes Métropole en a pris possession en mai dernier, sans exiger des constructeurs l’achèvement des études.

Bien entendu, l’argent n’est pas seul en cause : Nantes Métropole est très capable d’en jeter davantage par les fenêtres ! Comme le rappelait Fabrice Roussel, vice-président de Nantes métropole, « à titre de comparaison, la rénovation du musée d’arts de Nantes a coûté près de 90 millions d’euros » ! Il y a donc d’autres causes à l’abandon du projet. Les connaîtra-t-on un jour ?

Les Machines pas moins déficitaires à Toulouse qu’à Nantes

Nantes et Toulouse toujours plus proches. Merci les Machines.

« Je ne fais pas de politique ; je ne suis pas un homme d’affaires », assurait naguère François Delarozière dans un communiqué en défense de l’Arbre aux Hérons. Pas un homme d’affaires ? Ça n’est pas faute d’avoir essayé
(et ça dépend de quel genre d’affaires on parle, ajouteraient les cyniques).

Les activités de François Delarozière ont longtemps été localisées à Toulouse et non à Nantes. On le lui reprochait, car son association, La Machine, vivait en bonne partie de l’argent des contribuables nantais, via des commandes passées par Nantes Métropole. Il a fini par transférer son siège à Nantes… mais pour recréer très vite une autre association, La Machine Toulouse. Et à force de faire le siège des maires de Toulouse, de gauche, puis de droite (d’où peut-être le « je ne fais pas de politique »), il a fini par obtenir la création d’une sorte de musée personnel, la Halle des Machines, un immense bâtiment de 5 000 m², afin d’abriter ses grandes réalisations.

Mieux, il a obtenu en 2017 que La Machine Toulouse gère cet établissement dans le cadre d’une délégation de service public (DSP)*. En contrepartie de certaines obligations, l’association perçoit une contribution de la collectivité ; au-delà, elle fonctionne à ses risques et périls. Le principe en a été expressément affirmé devant le conseil de Toulouse Métropole : « La contribution est forfaitaire, comme dans toute DSP et correspond au risque commercial assumé par le délégataire. C’est lui qui propose un niveau de fréquentation, sur la base de tarifs que nous avons discutés, donc il prend un risque commercial (…). Ça veut dire, effectivement, qu’il peut faire plus ou faire moins. »

La contribution nette versée par la collectivité s’élève à 577 000 euros par an (632 000 euros de subvention moins 50 000 euros de loyer et 5 000 euros de frais de gestion). Soit environ 2 euros par visiteur, puisque François Delarozière tablait sur une fréquentation de 250 000 à 300 000 personnes par an.

Aides tous azimuts pour une entreprise en péril

Toute association recevant plus de 153 000 euros de subventions par an doit publier ses comptes au Journal officiel. La Machine Toulouse s’en est d’abord dispensée. Puis elle a été rattrapée par la patrouille : fin juin, elle a publié d’un coup ses comptes pour 2018, 2019 et 2020. Et là, on a mieux compris son silence antérieur.

Depuis ses débuts, malgré un lancement en fanfare, La Halle aux Machines perd beaucoup d’argent : 605 217,90 euros en 2018 (sur dix mois), 203 797,17 euros en 2019, 309 147,37 euros en 2020. Cela malgré les subventions, qui en 2020, crise sanitaire oblige, ont même été portées à plus de 1,15 million d’euros. Seul sujet de satisfaction : le Minotaure Café tourne très bien !

À fin 2020, on sonnait le tocsin. Le commissaire aux comptes de La Machine Toulouse a établi un recensement des mesures de sauvetage alors mises en œuvre :

  • Prêts garantis par l’État : 900 k€
  • Aide exceptionnelle de Toulouse Métropole : 362 k€
  • Subvention exceptionnelle du Conseil départemental : 25 k€
  • Aide d’urgence du concédant : 200 k€
  • Indemnités d’activité partielle : 215 k€
  • Demande d’aides au fonds de solidarité : 107 k€
  • Différé de remboursement des emprunts de 6 mois
  • Aides URSSAF : 243 k€.

Autrement dit, cette association qui a demandé à gérer elle-même, à ses risques et périls, un vaste établissement tout neuf payé par la collectivité, sollicite des aides publiques tous azimuts.

Que s’est-il passé depuis lors ? Les comptes pour 2021 auraient dû être publiés avant le 30 juin 2022. Ils ne l’ont pas été, ce qui n’est pas du tout bon signe. Néanmoins, l’établissement fonctionne toujours. Un miracle se serait-il produit ? Beaucoup d’entreprises aimeraient connaître la recette.

Bien entendu, les mauvais résultats de La Machine Toulouse ne concernent ni Nantes Métropole ni Les Machines de l’île. François Delarozière n’exerce aucune fonction de gestion à Nantes. Ce qui ne l’a pas empêché d’affirmer à plusieurs reprises que l’Arbre aux Hérons rapporterait de l’argent. Puisqu’il a amplement prouvé que, décidément, il n’est pas un homme d’affaires, on devrait avoir plus de mal à le croire à présent.

* Quand Toulouse Métropole a voté la DSP et approuvé le choix du délégataire, ce dernier était La Machine – celle de Nantes ‑, et non La Machine Toulouse, qui n’existait pas encore. C’est dire si le dossier était mal bouclé. Le contrat de DSP était un point sensible car les services juridiques de la métropole s’inquiétaient d’un « risque important de requalification en marché public » (conseil métropolitain du 15 décembre 2017).

Sven Jelure

Julien Gracq, géographe sans vagues

Honnêtement, Julien Gracq ne m’a jamais beaucoup impressionné, ni comme auteur, ni comme personnage. L’insistance ridicule mise par Jean-Marc Ayrault à se revendiquer de l’écrivain n’a rien arrangé. Il distribuait volontiers La Forme d’une ville à ses visiteurs.

Je l’ai déjà dit, « Julien Gracq n’a pas compris grand chose à Nantes. Juste retour des choses, Jean-Marc Ayrault n’a probablement pas compris grand chose à Julien Gracq. » Apparemment, il voyait chez lui une description chic de Nantes. L’avait-il vraiment lu ? Gracq n’a pas cherché à tromper le lecteur : il présente explicitement son livre comme la projection d’une âme adolescente sur les lieux qu’elle côtoie. Et qui, entre nous, ne se projette pas loin : Julien Gracq, c’est quasiment l’anti-Jules Verne, malgré l’estime maintes fois manifestée par le premier pour le second*.

Le culte gracquien à l’époque Ayrault a atteint des sommets grotesques. Voici une dizaine d’années, le site web de la mairie de Nantes a longtemps comporté ce passage :

La flèche de la cathédrale témoin des temps anciens, la grue de chantier dressée sur le bord du fleuve, l’architecture audacieuse du nouveau palais de justice, autant d’édifices qui, dans leur diversité, fondent l’identité et « la Forme d’une ville » (Julien Gracq).

La cathédrale de Nantes n’a jamais eu de flèche. Le plus cocasse est que Julien Gracq évoque lui-même « la cathédrale sans flèches ni tours, engluée dans les maisons comme une baleine échouée » ! Décidément, on citait La Forme d’une ville sans l’avoir lu. (Cela dit, la cathédrale a quand même deux tours…)

L’œil angevin

Hélas, ne pas se pâmer au nom de Gracq paraît du plus mauvais goût à Nantes : le conformisme de l’époque Ayrault a laissé sa marque. Je suis donc soulagé de pouvoir faire un pas dans le sens du culturellement correct en disant du bien de Julien Gracq, l’œil géographique, exposition de photos présentée jusqu’au 3 septembre à la médiathèque Jacques Demy. Les photos valent le coup d’œil, mais il faut lire aussi le livret qui les accompagne, également disponible en ligne. Rédigé par Israel Ariño, Jacques Boislève, Hélène Gaudy, Martin de La Soudière, Emmanuel Ruben et Jean-Louis Tissier, il est inégal mais plein de notations judicieuses.

Julien Gracq – mais peut-être serait-il plus juste de dire Louis Poirier – était professeur de géographie, et ça se voit. Il a laissé des centaines de photos, presque exclusivement consacrées à des paysages. Non pas des vues touristiques mais des descriptions composées de manière à révéler les lignes majeures des lieux visités. Les humains, inutiles, en sont quasiment absents – un enfant qui « s’éloigne en nous refusant son visage, intrus qui bientôt aura quitté le champ » (Hélène Gaudy), une femme « dont on ne voit que la coiffure et l’habit sombre, [..] qui ne semble pas photographiée pour ce qu’elle apporte à l’image mais pour ce qu’elle lui retranche » (idem)…

L’exposition, une sélection d’une cinquantaine de photographies, est présentée par thèmes géographiques : France, Montagnes, Espagne & Portugal, Amérique, Italie. On y voit des montagnes, des rivières, quelques bâtiments, des ponts… Constat frappant : pas une seule photo n’est consacrée à l’océan. S’il apparaît en quelques occasions, à l’instar des humains, c’est comme un élément de contexte inéluctable dans un cliché dont le sujet principal est autre : la statue de la Liberté, une vaste plage sous un vaste ciel, une falaise vertigineuse… Aucune vague, jamais. Julien Gracq/Louis Poirier est un géographe et un photographe, mais d’abord un Angevin.

Sven Jelure

* Et manifestée avec talent, il est juste de le dire, en particulier dans le n° 10 de la Revue Jules Verne (2001).

Julien Gracq, l’œil géographique
Médiathèque Jacques Demy, 24 quai de la Fosse, Nantes
Ouvert tous les jours de 10 h à 19 h jusqu’au 3 septembre 2022