Johanna Rolland, chiche que vous osez quand même construire l’Arbre aux Hérons !

Johanna va annoncer le lancement du projet d'arbuste au rouge-gorge. Une nouvelle idée plus en rapport avec les moyens collectés par le fonds de dotation.

« Le projet d’Arbre aux Hérons est sur le point d’être abandonné », annonce Presse Océan ce matin. Johanna Rolland s’inquiéterait de son coût et des réticences du préfet. En réalité, la décision n’a que trop tardé et semble déjà prise implicitement depuis un bout de temps.

Johanna Rolland avait posé le principe : pour que l’Arbre aux Hérons se fasse, un tiers de son coût devait être couvert par le secteur privé. Ce coût était évalué 52,4 millions d’euros à la mi-2021. Le Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons, chargé de la collecte auprès des mécènes et donateurs particuliers, doit donc trouver près de 17,5 millions d’euros. Une somme pas si énorme finalement puisque compensée à 60 % par des baisses d’impôt. Mais les mécènes ne se sont pas précipités pour soutenir un projet boiteux.

À fin 2021, nous l’avons dit, la situation financière du Fonds paraissait franchement mauvaise. Voici le niveau des fonds collectés depuis l’origine :

2017 2018 2019 2020 2021 Total
Collecte 45 000 809 708 2 603 470 751 868 771 371 4 981 417

Les cinq millions collectés paraissaient déjà assez décevants. Ils représentaient à peine 30 % de la somme à fournir. Et ce n’était que sur le papier, car la réalité est pire. À fin 2021, après plus de quatre ans d’existence, le Fonds n’avait fourni à Nantes Métropole que 2,8 millions d’euros, soit moins d’un sixième de la somme attendue. Il disposait aussi de 0,9 million d’euros de trésorerie en attente de transfert. Mais presque 30 % de sa collecte (1,4 million d’euros) n’était faite que de créances : les mécènes avaient promis de donner mais n’avaient pas encore versé l’argent. Peut-être voulaient-ils voir du concret avant de payer !

Or du concret, à présent, il y en a : depuis la mi-2021, l’Arbre aux Hérons a un début de réalité. Un prototype de héron mécanique est visible à côté des Machines de l’île. Pourtant, les dons n’ont pas augmenté, au contraire. En 2022, à ce jour, le Fonds de dotation n’a déniché que huit nouveaux mécènes – un par mois donc : GSF Propreté & services, Goubault imprimeur, Zen Organisation, 2A Organisation, Urbanne Magazine, ACM Ingénierie, Groupe Lambert et GSS Global Software Services. Encore l’un d’eux, Groupe Lambert, remplace-t-il en fait un mécène déjà présent antérieurement, Lambert Manufil (dont la PDG est aussi présidente du Fonds). Il semble par ailleurs que des mécènes aient retiré leur soutien. Le 22 novembre 2021, et à nouveau le 4 janvier 2022, sur sa page Facebook, le Fonds remerciait les « 58 entreprises (…) qui accompagnent ce projet ». Il devrait donc en être aujourd’hui à 65. Or il n’en affiche que 60.

Le Fonds de dotation en manque de fonds

Les mécènes ne sont pas tous égaux. Ils sont répartis en quatre catégories selon le montant de leur engagement :

Don minimum Nombre de mécènes
Héron impérial 500 000 2
Héron Goliath 200 000 6
Grand héron : 50 000 28
Héron cendré 5 000 24

Parmi les mécènes inscrits depuis le début 2022, en huit mois et demi donc, ne figurent que trois Grands hérons et cinq Hérons cendrés. Leur engagement collectif minimum s’élève ainsi à 175 000 euros – voire 125 000 euros si l’on exclut Lambert Manufil. Au rythme des années précédentes, on aurait dû plutôt se situer autour de 500 000 euros. À ce rythme, les 17,5 millions d’euros demanderaient des dizaines d’années.

Les recettes du Fonds baissent mais rien n’indique que ses dépenses de fonctionnement en font autant. Elles sont de l’ordre de 300 000 euros par an. En 2020 et 2021, environ 40 % des sommes allouées par les mécènes ont servi en réalité à faire fonctionner la structure dirigée par l’ancienne députée socialiste Karine Daniel. Si le Fonds n’a pas réduit drastiquement ses besoins, il est probable qu’il consomme maintenant à lui seul tout l’argent que les mécènes croient donner à l’Arbre.

Karine Daniel baisse les bras

Ce qui soulève un problème juridique. Les statuts du Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons et du Jardin extraordinaire imposent à son conseil d’administration de déterminer « le taux de prélèvement des sommes collectées, destiné à couvrir les frais de gestion et de fonctionnement du fonds ». On imagine mal qu’il ait fixé ce taux à 100 % ! Et il est déjà étonnant qu’il l’ait fixé à 40 %. C’est probablement le cas, pourtant, car devant l’importance du taux de prélèvement dans les comptes de 2020 et 2021, le préfet de Loire-Atlantique s’est certainement assuré, comme la loi le prévoit, qu’il ne constitue pas un dysfonctionnement grave…

Mais pour 2022, si Karine Daniel ne trouvait pas de nouveaux mécènes d’urgence, c’était le crash assuré. D’autant plus que Nantes Métropole doit impérativement veiller à ce que le fonctionnement du Fonds soit irréprochable : après la mésaventure du fonds de dotation de La Folle Journée, de nouveaux écarts feraient vraiment désordre.

Mais au lieu de redoubler d’efforts, le Fonds semble avoir baissé les bras, et depuis un moment. Il a cessé de publier ses « chapitres » semestriels sur les progrès de l’Arbre aux Hérons à l’intention des donateurs. Son site web n’est mis à jour qu’a minima. La seule « Actualité » indiquée en 2022 remonte au mois de mai. Sa version anglaise, qui annonce toujours un « opening in 2023 » paraît quasiment abandonnée depuis mars 2021 – hormis les statistiques de la page d’accueil, mises à jour automatiquement depuis la V.F. Sa page Facebook n’a plus qu’une activité ralentie depuis le mois de mars : aucune publication à ce jour en septembre, trois en août, deux en juillet (contre sept en septembre, sept en août et onze en juillet l’an dernier).

Quant au héron prototype qui devait servir à réaliser des essais en public tout au long de l’été 2021 (oui, bien 2021), il paraît abandonné depuis des mois. Nantes Métropole en a pris possession en mai dernier, sans exiger des constructeurs l’achèvement des études.

Bien entendu, l’argent n’est pas seul en cause : Nantes Métropole est très capable d’en jeter davantage par les fenêtres ! Comme le rappelait Fabrice Roussel, vice-président de Nantes métropole, « à titre de comparaison, la rénovation du musée d’arts de Nantes a coûté près de 90 millions d’euros » ! Il y a donc d’autres causes à l’abandon du projet. Les connaîtra-t-on un jour ?

Les Machines pas moins déficitaires à Toulouse qu’à Nantes

Nantes et Toulouse toujours plus proches. Merci les Machines.

« Je ne fais pas de politique ; je ne suis pas un homme d’affaires », assurait naguère François Delarozière dans un communiqué en défense de l’Arbre aux Hérons. Pas un homme d’affaires ? Ça n’est pas faute d’avoir essayé
(et ça dépend de quel genre d’affaires on parle, ajouteraient les cyniques).

Les activités de François Delarozière ont longtemps été localisées à Toulouse et non à Nantes. On le lui reprochait, car son association, La Machine, vivait en bonne partie de l’argent des contribuables nantais, via des commandes passées par Nantes Métropole. Il a fini par transférer son siège à Nantes… mais pour recréer très vite une autre association, La Machine Toulouse. Et à force de faire le siège des maires de Toulouse, de gauche, puis de droite (d’où peut-être le « je ne fais pas de politique »), il a fini par obtenir la création d’une sorte de musée personnel, la Halle des Machines, un immense bâtiment de 5 000 m², afin d’abriter ses grandes réalisations.

Mieux, il a obtenu en 2017 que La Machine Toulouse gère cet établissement dans le cadre d’une délégation de service public (DSP)*. En contrepartie de certaines obligations, l’association perçoit une contribution de la collectivité ; au-delà, elle fonctionne à ses risques et périls. Le principe en a été expressément affirmé devant le conseil de Toulouse Métropole : « La contribution est forfaitaire, comme dans toute DSP et correspond au risque commercial assumé par le délégataire. C’est lui qui propose un niveau de fréquentation, sur la base de tarifs que nous avons discutés, donc il prend un risque commercial (…). Ça veut dire, effectivement, qu’il peut faire plus ou faire moins. »

La contribution nette versée par la collectivité s’élève à 577 000 euros par an (632 000 euros de subvention moins 50 000 euros de loyer et 5 000 euros de frais de gestion). Soit environ 2 euros par visiteur, puisque François Delarozière tablait sur une fréquentation de 250 000 à 300 000 personnes par an.

Aides tous azimuts pour une entreprise en péril

Toute association recevant plus de 153 000 euros de subventions par an doit publier ses comptes au Journal officiel. La Machine Toulouse s’en est d’abord dispensée. Puis elle a été rattrapée par la patrouille : fin juin, elle a publié d’un coup ses comptes pour 2018, 2019 et 2020. Et là, on a mieux compris son silence antérieur.

Depuis ses débuts, malgré un lancement en fanfare, La Halle aux Machines perd beaucoup d’argent : 605 217,90 euros en 2018 (sur dix mois), 203 797,17 euros en 2019, 309 147,37 euros en 2020. Cela malgré les subventions, qui en 2020, crise sanitaire oblige, ont même été portées à plus de 1,15 million d’euros. Seul sujet de satisfaction : le Minotaure Café tourne très bien !

À fin 2020, on sonnait le tocsin. Le commissaire aux comptes de La Machine Toulouse a établi un recensement des mesures de sauvetage alors mises en œuvre :

  • Prêts garantis par l’État : 900 k€
  • Aide exceptionnelle de Toulouse Métropole : 362 k€
  • Subvention exceptionnelle du Conseil départemental : 25 k€
  • Aide d’urgence du concédant : 200 k€
  • Indemnités d’activité partielle : 215 k€
  • Demande d’aides au fonds de solidarité : 107 k€
  • Différé de remboursement des emprunts de 6 mois
  • Aides URSSAF : 243 k€.

Autrement dit, cette association qui a demandé à gérer elle-même, à ses risques et périls, un vaste établissement tout neuf payé par la collectivité, sollicite des aides publiques tous azimuts.

Que s’est-il passé depuis lors ? Les comptes pour 2021 auraient dû être publiés avant le 30 juin 2022. Ils ne l’ont pas été, ce qui n’est pas du tout bon signe. Néanmoins, l’établissement fonctionne toujours. Un miracle se serait-il produit ? Beaucoup d’entreprises aimeraient connaître la recette.

Bien entendu, les mauvais résultats de La Machine Toulouse ne concernent ni Nantes Métropole ni Les Machines de l’île. François Delarozière n’exerce aucune fonction de gestion à Nantes. Ce qui ne l’a pas empêché d’affirmer à plusieurs reprises que l’Arbre aux Hérons rapporterait de l’argent. Puisqu’il a amplement prouvé que, décidément, il n’est pas un homme d’affaires, on devrait avoir plus de mal à le croire à présent.

* Quand Toulouse Métropole a voté la DSP et approuvé le choix du délégataire, ce dernier était La Machine – celle de Nantes ‑, et non La Machine Toulouse, qui n’existait pas encore. C’est dire si le dossier était mal bouclé. Le contrat de DSP était un point sensible car les services juridiques de la métropole s’inquiétaient d’un « risque important de requalification en marché public » (conseil métropolitain du 15 décembre 2017).

Sven Jelure

Julien Gracq, géographe sans vagues

Honnêtement, Julien Gracq ne m’a jamais beaucoup impressionné, ni comme auteur, ni comme personnage. L’insistance ridicule mise par Jean-Marc Ayrault à se revendiquer de l’écrivain n’a rien arrangé. Il distribuait volontiers La Forme d’une ville à ses visiteurs.

Je l’ai déjà dit, « Julien Gracq n’a pas compris grand chose à Nantes. Juste retour des choses, Jean-Marc Ayrault n’a probablement pas compris grand chose à Julien Gracq. » Apparemment, il voyait chez lui une description chic de Nantes. L’avait-il vraiment lu ? Gracq n’a pas cherché à tromper le lecteur : il présente explicitement son livre comme la projection d’une âme adolescente sur les lieux qu’elle côtoie. Et qui, entre nous, ne se projette pas loin : Julien Gracq, c’est quasiment l’anti-Jules Verne, malgré l’estime maintes fois manifestée par le premier pour le second*.

Le culte gracquien à l’époque Ayrault a atteint des sommets grotesques. Voici une dizaine d’années, le site web de la mairie de Nantes a longtemps comporté ce passage :

La flèche de la cathédrale témoin des temps anciens, la grue de chantier dressée sur le bord du fleuve, l’architecture audacieuse du nouveau palais de justice, autant d’édifices qui, dans leur diversité, fondent l’identité et « la Forme d’une ville » (Julien Gracq).

La cathédrale de Nantes n’a jamais eu de flèche. Le plus cocasse est que Julien Gracq évoque lui-même « la cathédrale sans flèches ni tours, engluée dans les maisons comme une baleine échouée » ! Décidément, on citait La Forme d’une ville sans l’avoir lu. (Cela dit, la cathédrale a quand même deux tours…)

L’œil angevin

Hélas, ne pas se pâmer au nom de Gracq paraît du plus mauvais goût à Nantes : le conformisme de l’époque Ayrault a laissé sa marque. Je suis donc soulagé de pouvoir faire un pas dans le sens du culturellement correct en disant du bien de Julien Gracq, l’œil géographique, exposition de photos présentée jusqu’au 3 septembre à la médiathèque Jacques Demy. Les photos valent le coup d’œil, mais il faut lire aussi le livret qui les accompagne, également disponible en ligne. Rédigé par Israel Ariño, Jacques Boislève, Hélène Gaudy, Martin de La Soudière, Emmanuel Ruben et Jean-Louis Tissier, il est inégal mais plein de notations judicieuses.

Julien Gracq – mais peut-être serait-il plus juste de dire Louis Poirier – était professeur de géographie, et ça se voit. Il a laissé des centaines de photos, presque exclusivement consacrées à des paysages. Non pas des vues touristiques mais des descriptions composées de manière à révéler les lignes majeures des lieux visités. Les humains, inutiles, en sont quasiment absents – un enfant qui « s’éloigne en nous refusant son visage, intrus qui bientôt aura quitté le champ » (Hélène Gaudy), une femme « dont on ne voit que la coiffure et l’habit sombre, [..] qui ne semble pas photographiée pour ce qu’elle apporte à l’image mais pour ce qu’elle lui retranche » (idem)…

L’exposition, une sélection d’une cinquantaine de photographies, est présentée par thèmes géographiques : France, Montagnes, Espagne & Portugal, Amérique, Italie. On y voit des montagnes, des rivières, quelques bâtiments, des ponts… Constat frappant : pas une seule photo n’est consacrée à l’océan. S’il apparaît en quelques occasions, à l’instar des humains, c’est comme un élément de contexte inéluctable dans un cliché dont le sujet principal est autre : la statue de la Liberté, une vaste plage sous un vaste ciel, une falaise vertigineuse… Aucune vague, jamais. Julien Gracq/Louis Poirier est un géographe et un photographe, mais d’abord un Angevin.

Sven Jelure

* Et manifestée avec talent, il est juste de le dire, en particulier dans le n° 10 de la Revue Jules Verne (2001).

Julien Gracq, l’œil géographique
Médiathèque Jacques Demy, 24 quai de la Fosse, Nantes
Ouvert tous les jours de 10 h à 19 h jusqu’au 3 septembre 2022

Royal de Luxe : seul le mur reprend des couleurs

Des subventions pour quoi faire ? Qui peut répondre ?

Voici trente ans, Royal de Luxe a vendu son âme à Nantes contre une éternité de subventions. Le pacte ayraultien était un marché de dupes : l’âme vendue s’est étiolée et Nantes, qui croyait s’acheter une aura de phare culturel international, se retrouve Gros-Jean-Marc comme devant.

Royal de Luxe reste une icône. Ah ! La Véritable histoire de France ! Ah ! Le Géant tombé du ciel ! Ah ! La Visite du sultan des Indes ! Mais le Géant, c’était en 1994, la Visite, en 2005. Depuis lors, la pente est descendante : El Xolo en 2011, Le Mur de Planck en 2014, Monsieur Bourgogne et sa Fiat 500 en 2019… Au lieu de donner des moyens aux créateurs locaux (que pourraient faire les carnavaliers nantais avec les mêmes budgets ?), Nantes les a confiés à une troupe compradore qui accuse aujourd’hui l’âge de ses artères.

Qui, à Nantes, pourrait encore dire ce qu’a fait Royal de Luxe en 2021 ? Quelques animations scolaires du côté de Bellevue, un « livre » géant fumant en haut d’un immeuble… Fort bien, mais elles nous ont coûté 821 156 euros de subventions publiques plus 96 717 euros de non-loyer pour l’énorme usine de Chantenay. De quoi payer à l’année des dizaines d’animateurs scolaires.

Il y a bien eu aussi un petit spectacle — pardon, une « situation imaginaire » — à Calais, « La Grande évasion », mais ce sont les Calaisiens qui l’ont payé (142 703 euros, semble-t-il), et ce fut apparemment un flop.

Mur pas planqué

« Royal de Luxe, plus très royal, toujours opulent », disions-nous l’an dernier. D’année en année, le constat se confirme : Royal de Luxe dort sur un matelas bien garni. Les subventions nationales ou locales tombent systématiquement, que la compagnie produise ou pas. Elle continue à percevoir des montants calculés en fonction de ses grandes années, que ne justifie plus son rythme ahanant d’aujourd’hui.

Ses comptes annuels 2021, publiés voici quelques jours, confirment qu’elle amasse des économies colossales. Voici l’évolution de son compte « Disponibilités » en fin d’année :

2018 381 188 €
2019 488 792 €
2020 690 807 €
2021 908 501 €

Le compte en banque de Royal de Luxe n’est pas la seule bonne nouvelle. Son Mur tombé du ciel vient d’être repeint par David Bartex voici quelques semaines. Qui l’a remarqué ? La vraie question serait peut-être : Qui avait remarqué son état pitoyable ? Mais puisqu’il est inscrit sur le parcours du Voyage à Nantes, il était difficile de le laisser couvert de graffitis, comme un baromètre des incivilités dans la ville.

Dernière bonne nouvelle, les portraits sont immuables. Le mur date de 2011. De rénovation en rénovation (la précédente datait de 2018), il reste inchangé. Ses « Tri Yann », Jean-Marc Ayrault, Jean Blaise et Jean-Luc Courcoult, n’ont pas pris une ride ! Pas plus, d’ailleurs, qu’Anne de Bretagne, Gilles de Rais et les autres défunts qu’ils côtoient.

Sven Jelure

Le Théâtre des opérations : Le Voyage à Nantes brigadier

« Le CRS égaré » ; « Chargez ! » ; etc.

Théâtre des opérations : « la zone des combats, l’aire géographique où sont déployées ou engagées des unités militaires », dit l’Académie française. Tel est le nom épatant donné par Hélène Delprat à son installation visible dans le cadre du Voyage à Nantes 2022. Jean Blaise l’a tant apprécié que Le Théâtre des opérations sert aussi de titre à son éditorial dans le livret distribué aux visiteurs. Mais une sonnerie de clairon suffit-elle à réveiller une édition un peu terne ?

Jean Blaise tartine la métaphore : « nous nous mettons à penser que si la petite cervelle de Poutine avait été percutée par la force de l’art plutôt que par celle des tanks, nous n’en serions pas là aujourd’hui ». Ça c’est envoyé ! « Quand j’écoute du Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne », disait Woody Allen. Le VAN, en revanche, ôterait à Poutine toute envie d’envahir l’Ukraine.

Si le président russe avait bien voulu faire un saut à Nantes, « nous n’en serions pas là aujourd’hui » : alors, où en sommes-nous ? Il y a donc, pour commencer, l’incontournable Théâtre des opérations composé principalement de deux douzaines de hautes silhouettes noires assemblées. Bouc, singe, loup, ours, personnages à tête de rapace, soldats en armure… : cet attroupement fantasmagorique d’inspiration satanico-médiévale, surmonté d’étendards herminés, est saisissant, dérangeant même pour certains. Immobile et silencieux (un « brouhaha muet », note Le Monde), il empoignerait davantage le visiteur, pourtant, s’il ne restait sagement groupé au milieu d’une place Félix-Fournier qui ne ressemble pas à grand-chose. On l’aurait plutôt vu envahir franchement le parvis de Saint-Nicolas.

Ou mieux encore, la place Graslin. Le Théâtre des opérations y possède une modeste succursale. Environnée de deux ou trois accessoires et posée sur une malheureuse étoile noire en carton-pâte (attention à ne pas y mettre le pied), une figure ailée y paraît oubliée plutôt qu’exposée. On se demande pourquoi Le Voyage à Nantes n’a pas choisi de mettre là le gros des troupes et de renvoyer l’égarée à la place Félix-Fournier.

Décoration ou interprétation

Davantage « théâtre » et moins « opérations », Façades chromatiques, d’Alexandre Benjamin Navet, place du Commerce, est l’autre installation spectaculaire de cette édition. Ses hautes ornementations griffonnées aux couleurs « pétantes », comme écrit le JDD, inspirent la bonne humeur. Hélas, qu’on y vienne depuis la station de tram, depuis la place de la Bourse ou depuis la place Royale, ce qu’on remarque d’abord, ce sont ses gros bâtis de bois soulignant le côté pas fini de cet espace depuis si longtemps en travaux.

Le côté face égaie, le côté pile attriste. Lequel commande l’autre ? Jean Blaise est clair sur ce point : « Depuis dix ans, nous ne cessons d’affirmer avec l’assurance de ceux qui savent [sic] que Le Voyage à Nantes ne demande pas aux artistes de décorer la ville mais, au contraire, de l’interpréter d’une façon singulière et sensible ». Quitte à partir dans tous les sens à force de multiplier les façons singulières ‑ sombre avec Hélène Delprat, lumineuse avec d’Alexandre Benjamin Navet. Ici, le contrat est rempli : la distinction entre décoration et interprétation est frappante. Les toiles colorées ne sont que décor, telles des bâches illustrées dissimulant des échafaudages. L’important, l’interprétation, ce sont les poutres, symbole des travaux mais aussi des arbres abattus quai Duguay-Trouin. Où l’on constate que, quand les temps sont durs, un décor peut avoir du bon…

Déprime post-électorale ?

Bien entendu, il y a plein d’autres choses à voir au long de la ligne verte. Les Miroirs des temps de Pascal Convert, poétiques œuvres de verre au milieu de tombes décaties et d’allées mal entretenues, justifient un détour par le cimetière Miséricorde ‑ et accessoirement par le passage Sainte-Croix. À L’Atelier, L’entre-zone réunissant Lucas Seguy, Céleste Richard-Zimmermann et quelques autres donne à voir des créations franchement originales.

Globalement, pourtant, l’édition 2022 paraît poussive. Naguère aisément dithyrambique, la presse peine à s’enthousiasmer : « Après dix éditions d’œuvres spectaculaires sur des places incontournables de la ville, le Voyage à Nantes se la joue un peu plus discret pour sa 11e édition » (20 minutes), « Le festival artistique, qui traverse la ville jusqu’au 11 septembre, prend cette année un tour plus sombre et fantasmagorique » (Le Monde), « Une atmosphère de fête nimbée d’une mélancolie persistante flotte sur l’ancienne cité des ducs de ­Bretagne » (Le Journal du dimanche)…

Il est arrivé au Voyage à Nantes d’aller dans le mur en klaxonnant. Cette année, on dirait qu’il y va en couinant. Ou peut-être est-ce la ville de Johanna Rolland qui depuis l’élection présidentielle a cessé d’être forcément sublime ?

Sven Jelure

Le Voyage à Nantes n’est pas un voyage au long cours

Une belle intégration dans le paysage en travaux. Bravo Monsieur Navet

Toutes les destinations touristiques soignent l’après-covid. Quoi qu’il en coûte, il faut récupérer de la fréquentation. Le Voyage à Nantes fait comme ses collègues du monde entier. Avec un succès qui paraît très limité. Le VAN a le souffle court.

Pour son opération estivale, pourtant, pas un bouton de guêtre ne manque. Tous les médiateurs sont là avec leurs petites carrioles chargées de piles de prospectus – environnement ou pas, ce n’est pas le moment d’économiser le papier.

Le problème n’est pas dans l’organisation, il est dans l’inspiration. On sent que l’enthousiasme n’y est pas. On ne dépasse pas 2 ou 3 sur l’échelle de Beaufort.

Malgré les moyens considérables que Nantes lui accorde chaque année (près de 9,7 millions d’euros H.T. désormais), Le Voyage à Nantes n’a jamais suscité beaucoup d’intérêt hors du département. Jean Blaise prétendait faire de la ville la cinquième destination touristique de France et y attirer un public international. Il y ajoute chaque année quelques installations permanentes, mais on ne discerne aucun effet cumulatif. Au contraire, le mouvement de curiosité de la première année s’est vite essoufflé.

Cette année, c’est pire que jamais – sauf en 2018, édition de disette qu’il avait fallu prolonger d’une semaine pour gonfler un peu les chiffres de fréquentation (sans grand succès d’ailleurs : il avait quand même fallu les bidonner pour relever un bilan en berne).

Quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je… dégringole

Ce n’est pas une simple impression d’un commentateur qui n’a jamais été convaincu par les tentatives du gourou nantais de la culture. Google Trends donne une idée objective de cette désaffection. Les recherches en ligne sur « Le Voyage * Nantes » (les capitales ne sont pas significatives, mais le « a » accentué, l’est, d’où son remplacement par un caractère joker) sont moins nombreuses cette année qu’en temps de covid-19 ! Par ailleurs, très peu viennent de l’étranger.

Tout le monde n’est-il pas logé à la même enseigne ? Non. En voici un exemple. Le Festival interceltique de Lorient, qui se déroule cette année du 5 au 14 août, a toujours suscité plus de recherches en ligne que le Voyage à Nantes ‑ sauf en 2020, année où il a été annulé à cause de l’épidémie… Cette année, il est parti pour exploser les compteurs.

Veut-on un autre exemple voisin ? Le Hellfest de Clisson, lui, a été reporté deux fois. L’édition double de 2022 lui a valu un nombre de recherches sans précédent sur le net. Le graphique ci-dessous les compare avec les recherches sur « Le Voyage * Nantes » (oui, la petite courbe bleue écrasée tout en bas). De plus, elles viennent du monde entier. Google ne trouve pas un seul pays où les recherches sur « Le Voyage * Nantes » atteignent ne serait-ce que 1% des recherches sur « Hellfest ».

Hélas, ne trouvera-t-on pas, dans la France de la culture estivale, au moins un cas par rapport auquel Nantes n’ait pas à rougir ? À bien chercher, si, en voici un, mais il n’est pas dit que Jean Blaise en soit enchanté. Depuis ses débuts en 2017, Un été au Havre a toujours été insignifiant pour les internautes, même par rapport au Voyage à Nantes. Il le reste ; pourtant, cette année, il fait mine de réduire un peu son retard.

Dira-t-on que Nantes souffre d’un covid long ? Ou plutôt qu’elle s’entête depuis l’époque Ayrault à appliquer une stratégie prétentieuse mais médiocre dont l’échec est désormais manifeste ?

Sven Jelure

L’urbanisme nantais sera-t-il verdi ou blanchi ?

PLUm PLUm PLUm !

L’urbanisme à Nantes devient officiellement inextricable. Élus et fonctionnaires de la Métropole ont sans doute fini d’y user leurs neurones : il leur faut à présent en appeler d’autres au secours. Ils viennent de publier un avis de marché portant sur une « Mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour évaluer certaines règles du Plan Local d’Urbanisme métropolitain de Nantes Métropole en faveur de la nature en ville et de la densité ».

« En faveur de la nature en ville… » L’idée ne paraît pas mauvaise. Dommage qu’elle vienne si tard. Peut-être a-t-elle été inspirée à Johanna Rolland par le plaidoyer de Nantes Plus en faveur du parc boisé du palais de justice

L’idée ne paraît pas non plus si complexe. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Le prestataire aura pour interlocuteur (sic) privilégié

« la coordinatrice du volet métropolitain du PLUm au sein du service Études & Planification. […]. Ce service fait partie de la direction Stratégie et Territoires, elle-même rattachée au Département Urbanisme et Habitat. Ce département Urbanisme et Habitat est rattaché à la Direction Générale Fabrique de la Ville écologique et solidaire. »

Heureusement, le prestataire ne sera pas seul face à cette énorme technostructure. Il sera flanqué d’un comité de pilotage (Copil), comprenant pas moins de six vice-présidents de la Métropole (à l’urbanisme durable, au cycle de l’eau, au droit au logement, etc.) plus un « adjoint ville de Nantes, forme de la ville, urbanisme durable, projets urbains ». Le Copil, de son côté, rendra compte au G24FVES, instance intercommunale décisionnaire sur la FVES (Fabrique de la Ville Ecologique et Solidaire).

Le prestataire obéira aussi à un Comité de suivi technique (Cotech) ou l’on retrouvera la coordinatrice du « volet métropolitain » entourée des représentants de huit directions de Nantes Métropole (habitat, nature et jardins, mobilités, cycle de l’eau, etc.) plus deux représentants de pôles de proximité.

Il devra en outre veiller à la « co-construction avec les communes », chacune des vingt-quatre ayant son service Urbanisme (la métropole n’étant qu’une instance en plus et non une instance à la place de), et onze d’entre elles étant en outre membres de groupements de commande ayant eux-mêmes désigné trois architectes conseils.

Des avis extérieurs filtrés par Nantes Métropole

Le prestataire devra aussi écouter les « acteurs susceptibles de contribuer à l’évolution réglementaire du PLUm ». Parmi eux, le Forum métropolitain de l’économie responsable, soit une quarantaine d’acteurs comme la CCI, la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), l’Union sociale de l’habitat (USH), les aménageurs. Mais pas les déménageurs. Cependant, cette écoute sera simplifiée : les contacts auront lieu par l’intermédiaire de Nantes Métropole. Les « acteurs » feraient mieux de ne pas improviser.

Ah ! et puis tout de même, à la fin, il y a les citoyens, car « Nantes Métropole et les communes affirment leur volonté de construire une ville dialoguée avec les citoyens ». Mais là aussi, le dialogue est verrouillé : les « avis du public sur les grands projets urbains » seront transmis au prestataire par Nantes Métropole « afin qu’il mesure les attentes des citoyens sur la ville de demain ». Puisqu’on vous dit que c’est ça que les Nantais veulent…

Voir midi à la porte de Nantes Métropole

Le tableau ne serait pas complet sans les « livrables », ce que le prestataire est censé fournir à Nantes Métropole une fois qu’il se sera arrangé de tout ce qui précède. Parmi ces livrables figurent, pour la Phase 1 (on vous fera grâce de la Phase 2 et de l’éventuelle « tranche optionnelle »), un « diagnostic objectivé », un « parangonnage », une « synthèse des enjeux », un « support technique », un « support synthétique » et un « support pédagogique ».

Inévitablement, le travail de rédaction va empiéter sur le travail de réflexion. Réflexion que l’avis de marché veille aussi à encadrer. Les « livrables » ne seront pas livrées telles quelles aux citoyens. Elles « feront en particulier l’objet d’échanges avec les services de Nantes Métropole et devront être amendées autant que de besoin ». Autrement dit, le risque de dissension est nul et Nantes Métropole aura beau jeu de dire que ses orientations ont été validées par des experts.

On se moque souvent des conseils extérieurs : si vous leur demandez l’heure, dit-on, il vous empruntent votre montre puis vous envoie leur facture. Mais si c’est le client qui impose au conseil de voir midi à sa porte ?

Sven Jelure

L’Arbre, les hérons et les avocats

Ce sera sûrement une fin honorable, compte tenu du montant des honoraires des avocats de Nantes Métropole. Ne jamais oublier que l'argent dépensé ne tombe pas du ciel.

Le problème de l’Arbre aux Hérons, maintenant, c’est de trouver la sortie. Au dernier jour du délai légal, ce 30 juin, le Fonds de dotation de l’Arbre aux Hérons et du Jardin extraordinaire a publié ses comptes pour l’année 2021. Ils confirment ce que tout le monde commence à comprendre : le projet de l’Arbre aux Hérons n’a pas seulement pris des années de retard, il est irréalisable dans les conditions prévues.

La récolte de fonds du Fonds patine : ses « ressources liées à la générosité du public » se sont élevées à 752 171 euros en 2021. Soit à 303 euros près la même somme que l’année précédente. Selon le principe fixé par Johanna Rolland, le Fonds de dotation doit trouver 17,5 millions d’euros pour financer le tiers du coût de la construction de l’Arbre aux Hérons (avant inflation). Il assure avoir déjà récolté plus de 6 millions. Est-ce à dire qu’il lui faut quinze ans pour trouver les 11,5 millions manquants ?

Ce serait encore trop beau ! Le Fonds consomme pour son propre fonctionnement près de 40 % de l’argent qu’il ramène. De l’ordre de 300 000 euros par an, en fait, dont 180 000 en salaires et charges sociales pour trois personnes. Au rythme actuel, ce n’est pas quinze ans mais vingt-cinq ans qu’il lui faudrait pour financer l’Arbre aux Hérons !

Le Fonds annonçait en page d’accueil de son site web 43 mécènes à l’été 2019, 52 début 2021 et 58 aujourd’hui. Un rythme d’escargot, en somme. « Dans quelques jours vous découvrirez la 60ème mécène », assurait-il sur Facebook le 9 juin. On attend encore.

Et puis, un mécène n’en vaut pas un autre. Le Fonds compte quatre catégories de donateurs

  1. Héron impérial : à partir de 500 000 euros
  2. Héron goliath : entre 200 000 et 499 000 euros
  3. Grand Héron : entre 50 000 et 199 000 euros
  4. Héron cendré : entre 5 000 et 49 000 euros

Un seul Héron impérial peut donc valoir dix Grands Hérons, un seul Héron goliath quarante Hérons cendrés. Ont été annoncés en 2021 deux donateurs de rang Héron goliath, quatre Grands Hérons et onze Hérons cendrés. Au premier semestre 2022 quatre Grands Hérons et quatre Hérons cendrés mais pas un seul Héron goliath. L’année se présente donc mal.

Le compte précis des mécènes n’est pas si facile à tenir en réalité, car certains prennent la tangente. Les comptes 2021 signalent ainsi une « diminution d’un engagement de versement » à hauteur de 50 000 euros. Soit probablement l’évasion d’un Grand Héron. Et puis, certains mécènes n’ont rien versé en réalité : ils ont seulement promis, ce qui est autre chose ! Le bilan du Fonds comprend ainsi 1,4 million d’euros de créances. Il prétend avoir collecté plus de 6 millions d’euros mais a encaissé en réalité que 5 millions.

À quoi les avocats travaillent-ils vraiment ?

Sauf miracle (un héritage laissé par un richissime amateur de hérons américain…), le financement d’un tiers de l’Arbre aux Hérons par des mécènes paraît hors de portée dans les prochaines années. Que peut faire alors Johanna Rolland ? Renoncer au projet ? Faire financer par les contribuables la part que les mécènes n’ont pas voulu assumer ? Ce serait acter un échec grave pour une maire déjà fragilisée. La solution idéale serait de refiler le bébé à quelqu’un d’autre. Par exemple un opérateur de parcs à thème qui en rachetant l’Arbre aux Hérons (quitte à ne pas le construire vraiment) obtiendrait aussi le droit d’exploiter le Jardin extraordinaire et/ou Les Machines de l’île, voire la future Cité des Imaginaires.

Et l’on note avec intérêt l’étrange révélation d’Anticor : après un premier contrat de 80 000 euros passé avec un cabinet d’avocats concernant une « mission d’assistance et d’expertise juridique pour l’opération Arbre aux Hérons ». Nantes Métropole en a passé un second, sans appel d’offres, de 200 000 euros. Disproportionné, si la mission concerne un simple contrat de commande publique. Peut-être pas, s’il s’agit de reconfigurer à la volée une opération publique en pleine débine.

Sven Jelure

La Cité des électeurs perdus : Johanna Rolland s’imagine

La cité de l'imaginaire... Joli programme !

Réaménager Cap 44 en Cité des imaginaires permettrait au moins à Johanna Rolland de parler d’autre chose que des élections ! Mais si la boîte, l’architecture, n’est pas encore bien claire, le contenu l’est encore moins. Qu’y mettre en plus de Jules Verne ? De la poussière de fée ?

Le conseil de Nantes Métropole doit voter le 30 juin la création d’une « Cité des imaginaires » à 50 millions d’euros. Elle associera ce que Nantes a, le musée Jules Verne, et ce qu’elle voudrait avoir, l’imagination. (Ou ce qu’elle a déjà mais qu’elle préfère ignorer : voir ci-dessous l’encadré

Pour prouver que la création nantaise ne se limite pas à Jules Verne, Johanna Rolland a convié à l’annonce du projet devant la presse le sympathique cinéaste Marc Caro, co- réalisateur avec Jean-Pierre Jeunet de La Cité des enfants perdus (1993). Fort bien, et qui encore ?

L’intitulé « Cité des imaginaires » interloque. Une cité des congrès, une cité des sciences, une cité des papes, on voit à peu près où l’on va. Mais une cité des imaginaires ? Imaginaire : « Ensemble de représentations collectives », dit l’Académie française. « L’imaginaire d’un peuple, d’une nation, d’une époque. » L’imaginaire ne naît jamaisex nihilo, d’une épiphanie de neurones en folie, c’est toujours l’imaginaire de quelqu’un, le fruit d’une culture. Il n’y a pas d’imaginaire en soi. A fortiori au pluriel.

Quand on peine à se représenter le sens d’un mot, il faut tenter de le remplacer par des synonymes : Cité des chimères, Cité des illusions, Cité des prétentions… ? Hélas, on en revient toujours au même point : comment faire entrer dans une Cité, si vaste fût-elle (ici, 5 000 m²), tout ce qui n’est pas le réel ? Johanna Rolland se montre bien ambitieuse. Pour ce que ça lui a réussi aux présidentielles… Mais même 1,75 % seulement de tous les imaginaires imaginables, ce serait déjà énorme.

Imagine all the pipeau

Qui trop embrasse mal étreint : pour éviter que ces imaginaires flous ne fassent flaque, il vaudrait mieux en préciser les contours. Les communicants métropolitains s’y essaient :  si l’on en croit 20 minutes, Nantes promet que « la Cité des imaginaires invitera les visiteurs à explorer les imaginaires contemporains éclairant les enjeux sociétaux d’aujourd’hui et à revisiter l’œuvre vernienne et ses résonances actuelles ». Compter sur l’imaginaire pour revisiter des résonances, c’est déjà beaucoup d’imagination. Qui n’occultera pas la question pathétiquement concrète : Pour accéder à ces imaginaires-là, combien êtes-vous prêt à payer le billet d’entrée ?

La Cité doit être implantée dans l’immeuble Cap 44, face au Jardin extraordinaire, et l’imaginaire architectural fonctionne déjà. La Cité sera dotée d’un belvédère. « Le bâtiment sera écrêté sur deux niveaux pour donner de la visibilité sur la Loire », assure néanmoins Nicolas Cardou, DGA de Nantes Métropole(1). Un belvédère, plus c’est haut, plus la vue est étendue. Le souci de visibilité exprimé par Nicolas Cardou ne concerne donc pas le visiteur juché en haut du bâtiment mais le simple passant au dehors. Hélas, comme Cap 44 mesure 25 m de haut, raboter les deux étages du haut ne donnerait aucune visibilité au piéton lambda. C’est donc qu’on va supprimer les deux étages du bas

Sven Jelure

(1) Et ex-directeur de la culture et des sports de la région des Pays de la Loire, au temps où Fontevraud allait dans le mur.


Le projet de Nantes Métropole n’est pas seulement flou, il est tardif et omet de citer ses sources. En 2014, lors du grand débat « Nantes, la Loire et nous », l’association Les Transbordés d’Yves Lainé et Yvon Bézie avait présenté un « cahier d’acteurs » bourré de propositions, dont celle-ci :

LA RECONVERSION DE L’ IMMEUBLE « CAP 44 » et l’accueil du VERNOSCOPE

      Sur le quai, l’immeuble Cap 44 dont l’ossature est inscrite au patrimoine architectural (une des premières constructions en béton armé au monde, due à Hennebique) sera en partie reconverti en gare maritime pour les « liners » et les navires fluviaux. Un autre usage de cet espace est proposé, en phase avec les propositions des deux principales candidates aux dernières municipales, à savoir doter Nantes d’un équipement dédié au XXIe siècle (Cité des Sciences et de l’Industrie ou Planète Jules Verne). Cet usage, nous l’avons baptisé VERNOSCOPE.

      Sans être un musée, le VERNOSCOPE propose de projeter et conjuguer l’esprit vernien au présent et au futur. La Ville de Nantes a vocation unique pour le faire. Des exemples populaires existent, comme l’Exploratorium de San Francisco ou Tom Tits en Suède.

      Plate-forme de diffusion des sciences et des technologies du futur, cet espace ludique destiné à tous les âges peut aussi être une vitrine pour les industries, écoles et universités régionales des secteurs du nautisme, de l’aéronautique, des EMR, pour le pôle EMC2, l’IRT Jules Verne etc… Il ne manquera pas de compétences pour assurer la conception de cet espace.

Petit bois derrière chez Loi, et lalonlalonlère…

modification du PLUM pour raser des arbres dans un espace public urbain...

Nantes Métropole recule souvent en faisant mine d’avancer. Au nom d’un esprit écolo, voici trois ans, elle a abattu plusieurs dizaines de grands arbres sur le quai Brancas. Son plan d’urbanisme protège en principe les espaces verts, mais elle le modifie pour permettre l’abattage de 120 arbres en pleine ville…

Le plan d’urbanisme métropolitain (PLUM) est plein de bonnes intentions. Son premier objectif affiché est de « protéger le ‘capital vert’ métropolitain ». Ce capital est formé notamment des « cœurs d’îlots caractérisés par la présence de pleine terre, végétalisée et parfois boisée, avec un intérêt paysager, et qui correspondent aux jardins publics et privés, aux parcs ». La ville a donc défini des « espaces paysagers à protéger ».

Sacralisés ? Jusqu’à un certain point. À cause de trois arbres dans son jardin, M. Tartempion n’aura pas le droit d’agrandir sa bicoque. Mais selon que vous serez puissant ou misérable… Nantes s’apprête à autoriser la destruction de 3 800 m² de jardin d’un seul tenant (plus que le square Jean-Baptiste Daviais) ! Et un parc boisé accessible au public, en pleine ville ! Pas moins de 120 arbres vont être sacrifiés d’un coup.

Il s’agit de l’espace vert du palais de justice, le long de la rue La Noue Bras-de-Fer. Le ministère de la Justice avait prévu dès 2000 de le sacrifier un jour pour agrandir son palais, dit-on. M. Tartempion aussi avait prévu d’agrandir sa bicoque le jour où, devenu vieux, il aurait besoin d’une chambre au rez-de-chaussée. Or à présent, demerdieren Sie sich ! Mais quand la règle change, ce n’est pas forcément pour tous. À M. Dupond-Moretti, on va dérouler le tapis rouge en détruisant le tapis vert.

1 contre 120 : la balance de la Justice penche

La SAMOA (Société d’aménagement de la métropole Ouest Atlantique), structure créée par la ville de Nantes, a piloté l’aménagement de l’île de Nantes. Aujourd’hui encore, sur le site web qu’elle a créé pour faire valoir ses réalisations, elle vante le palais de justice entre autres parce que « la façade opposée à la Loire, qui donne sur la rue la Tour d’Auvergne, est ouverte sur un jardin de frênes, contrastant avec 1500 tonnes d’acier du bâtiment ». (On note que la Samoa, qui loge à 300 m de là sur le quai François-Mitterrand, confond la rue La Tour d’Auvergne et la rue La Noue Bras-de-fer !) Il va falloir changer de storytelling.

Bof ! le palais de justice, ce « bâtiment mal né et ruineux », comme dit Médiacités, n’en est pas à ça près. Son architecte lui-même, Jean Nouvel, y voyait « une structure rigoureuse avec un vocabulaire formel de grilles, de transparences et de réflexions comme environnement de la nécessaire ouverture et impartialité de la justice ». Le cabinet d’architecte nantais Mabire-Reich, chargé de l’agrandissement, trouvera certainement un discours ad hoc. Il a d’ailleurs commencé à le tester auprès d’Ouest-France : « La nouvelle salle des pas perdus s’organise autour d’un patio dans l’axe de la passerelle Schoelcher, et dont le centre est un arbre, autre symbole de justice ». Un arbre planté dans un patio fermé pour 120 abattus dans un parc ouvert, le « symbole de justice » est éloquent !

Pour Nantes, il ne s’agit pas de la conséquence malheureuse d’un projet ourdi depuis longtemps par la Justice : en l’état actuel du PLUM, le parc de la rue La Noue Bras-de-Fer est inconstructible. Elle s’apprête à le modifier délibérément. Afin que force reste à la Loi. Le nouveau PLUM est soumis à enquête publique du 20 mai au 20 juin. En pleine campagne électorale : soit les services de Johanna Rolland sont vraiment très distraits, soit ils n’avaient pas très envie que les citoyens s’y intéressent de trop près. Quant à la composante écolo de la municipalité, aujourd’hui côte à côte avec le parti socialiste au sein de la NUPES, elle est bien silencieuse : candidate aux législatives, sa chef de file a d’autres chats à fouetter. Et lalonlalonlère et lalonlalaernoes…

Sven Jelure